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Un gouvernement de combat

Edouard Philippe, le Havre et la loi Travail

Désigné chef de l’exécutif, ce sera donc à Edouard Philippe de porter la « loi travail puissance 10 » qu’Emmanuel Macron appelle de ses vœux. Le choix du maire du Havre qui a œuvré à réprimer les militants actifs dans cette « capitale de la lutte contre la loi travail » au printemps 2016 est à ce titre hautement symbolique.

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Hier on apprenait la nomination d’Edouard Philippe, maire Républicain du Havre, à la tête de Matignon.

Au même moment, s’organisait près du Havre, point chaud de la lutte contre la loi Travail au printemps dernier, un rassemblement de soutien à Reynald Kubecki, co-secrétaire de l’Union Locale CGT du Havre. Ce dernier, et pour la 12ème fois en 6 ans, était convoqué dans les bureaux de la gendarmerie. Et c’est au poste que les syndicalistes CGT et leurs soutiens apprenaient la nomination à la tête de Matignon d’Edouard Philippe, qui n’a eu de cesse que de stigmatiser les militants du Havre, victimes d’un acharnement judiciaire pour avoir été les fers de lance de la contestation contre la Loi Travail au printemps dernier.

Le tout répressif pour clore un mouvement

En mai 2016, face à aux autorités locales, prenait place une incroyable mobilisation des travailleurs de la zone du Havre – dockers, ouvriers de la métallurgie, de la chimie – avec le blocage du terminal pétrolier et la mise en pénurie de carburant de la zone Grand-Ouest durant près d’un mois. La Havre, rebaptisée capitale de la lutte contre la loi travail, était à l’avant-garde du mouvement de contestation. « La zone industrialo-portuaire a été bloquée » actait le 25 mai 2016, l’actuel Premier Ministre et député-maire LR Edouard Philippe lors d’une de ses rares interventions à l’Assemblée pour une question au gouvernement.

A cette occasion, en plus de remettre en cause la fermeté du gouvernement à l’égard des « bloqueurs », il dénonçait, en référence à l’usage du 49.3, « un processus législatif qui ne vous fait pas honneur » et une « représentation nationale […] privée de débat » et l’incapacité du gouvernement à mener à bien un « dialogue social apaisé ». Il y a de quoi s’étonner de la part de Philippe, qui s’apprête à faire passer par ordonnance et en l’absence de concertation avec les syndicats la nouvelle mouture de la réforme du marché du travail. Il faut dire qu’à l’époque la droite, qui voit son programme être mis en place par un gouvernement PS, est en peine d’arguments.

Pour ce qui est du terrain et de la gestion de la contestation sociale, c’est par la force que les autorités s’emploient à casser le mouvement, dans la région du Havre comme dans le reste du pays. Le 27 mai, le terminal pétrolier de Donges est débloqué avec l’envoi des forces de l’ordre. Le 14 juin, lors d’une journée de mobilisation appelée à l’échelle nationale à Paris, les autorités cherchent à criminaliser les dockers du Havre. La fédération Nationale des Ports et des Docks CGT tout comme Philippe Martinez dénoncent alors les agissements des forces de l’ordre, qui ont « sans aucune explication possible, agress[é] notre cortège en faisant usage de leur matraque et de gaz lacrymogène ».

Au Havre, dès le mois de juin, ce sont les principaux acteurs de la contestation de loi Travail qu’on essaye de mettre au banc des accusés. D’abord, Laurent syndicaliste condamné par le tribunal du Havre à une peine de six mois de prison avec sursis, mise à l’épreuve pendant 18 mois avec obligation de réparer les dégâts commis à la permanence du PS du Havre.

Le 27 juillet, deux dockers comparaissent devant la justice, mais sont relaxés ; le 2 septembre, deux autres sont interpellés par la police à leurs domiciles respectifs, en plein congrès CGT avec la présence de Philippe Martinez sur la ville du Havre, et passent plusieurs heures en garde à vue. Puis la décision est prise de s’en prendre à la tête du mouvement : c’est alors au tour de Reynald Rubecki, co-secrétaire de l’UL CGT du Havre, d’être convoqué par la police, le 28 octobre, puis récemment le 15 mai. Un véritable acharnement judiciaire et une criminalisation du mouvement syndical s’inscrit, au Havre peut-être plus qu’ailleurs, dans la durée. Il est clairement question de déstabiliser l’organisation syndicale locale, de « couper les têtes » du mouvement de 2016 contre la loi Travail, de faire des exemples, pour prévenir les prochaines mobilisations. Dans cette gestion de la répression pour clore le mouvement contre la loi travail, Edouard Philippe, ex-Conseiller régional de Haute-Normandie (2004-2008), ex-conseiller général de la Seine maritime (2008-2012), maire et député local depuis 2010 et 2012, a certainement sa part de responsabilité. Une gestion qui lui a certainement valu, en plus de ses multiples accointances idéologiques avec le nouveau chef de l’État, son nouveau poste.

La réforme du marché du travail comme cheval de bataille

Preuve qu’il avait de quoi s’entendre avec le nouveau chef de l’État, à l’époque, Edouard Philippe se disait en accord avec la première version de la loi Travail. Et c’est par loyauté envers son parti, Les Républicains, et contre ses convictions, qu’il accepte bon an mal an de voter la motion de censure. Il faut dire que la réforme du marché du travail, c’est son cheval de bataille.

Face à Léa Salamé, invité sur le plateau d’On n’est pas couché en décembre 2014 pour discuter de la loi Macron, il montrait du doigt ses limites : « il faut revenir sur les 35 heures », il faut lever « les pesanteurs considérables qui pèsent sur le marché du travail », comme les « juridictions sur les lois prud’homales ». Du Macron tout craché. Concernant les 35 heures, Emmanuel Macron s’est déjà épanché sur la question : il est clairement pour une augmentation du temps de travail, tout comme pour l’insertion d’un plafonnement des indemnités prud’homales, points clefs de son programme pour le quinquennat.

Ces propositions, ce ne sont ni plus ni moins que les recommandations du rapport Attali, commandé sous Nicolas Sarkozy, que le gouvernement Hollande a entrepris de mettre en place et celui de Macron de renforcer. A ce titre, Jacques Attali, penseur de l’orthodoxie libérale à la française, proche d’Emmanuel Macron, n’est autre que l’animateur du Forum « Positive Economy » qu’Edouard Philippe a organisé au Havre.

Avec la nomination d’Edouard Philippe, ce que le gouvernement Macron en cours de constitution révèle déjà au grand jour, ce sont les profondes accointances idéologiques que partage le personnel politique français, du PS aux Républicains, par-delà le faux clivage partisan, véritable écran de fumée du pluralisme politique.

A la rhétorique du « changement », on opposera les similitudes de parcours entre le nouveau premier ministre et l’actuel président – passés tous les deux par l’ENA et par le PS avant d’en prendre la fuite – et leurs collusions idéologiques en faveur de l’ultralibéralisme. Mais le choix d’Edouard Philippe est celui, du point de vue de sa gestion de la contestation sociale dans sa circonscription, une nouvelle marque de continuité avec la période du hollandisme. Et c’est également un message envoyé aux travailleurs et aux opposants de la loi travail, dans sa version 2016 et dans celles qui sont sur le point de sortir : reprendre la contestation sociale à la manière des Havrais, en la généralisant au niveau national, pour faire plier un gouvernement qui la craint plus que tout.


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