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Déclaration politique du Parti des Travailleurs Révolutionnaire

Élections au Chili. Battre Kast et la droite sans placer aucune confiance en Boric

Le second tour des élections présidentielles au Chili, ce dimanche 19 décembre, se joue entre José Antonio Kast, le candidat d’extrême droite et du patronat, héritier déclaré de Pinochet, et Gabriel Boric, du Frente Amplio, appuyé par le Parti Communiste et soutenu par les sociaux-libéraux qui ont gouverné le pays pendant trente ans, dans la droite ligne de l’orthodoxie néolibérale. Le Parti des Travailleurs Révolutionnaires, section sœur de Révolution Permanente au Chili, a publié, le 8 décembre, sa position face au second tour, que nous relayons ici.

15 décembre 2021

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Kast représente tout ce contre quoi nous nous sommes battus au cours de la rébellion d’octobre et novembre 2019. Son but est de rétablir « l’ordre » en haussant d’un cran le niveau de la répression contre toutes celles et tous ceux d’entre nous qui se mobilisent pour exiger notre dû, ce que nous refusent les maîtres du Chili. Sa candidature incarne la réaction autoritaire de « l’ancien régime » et de la constitution pinochetiste contre les braises de la révolte qui couvent encore.

Ses premières cibles sont les femmes, les personnes LGBTI, le peuple Mapuche, les migrants et la jeunesse combative. L’un des axes centraux de son discours est « l’ordre » et la répression. Son projet vise à attaquer les conditions de vie des travailleurs dans leur ensemble. Son programme est taillé sur mesure pour les grandes entreprises et les multinationales : élever l’âge du départ à la retraite et défendre le système des fonds de pension privés (AFP), précariser l’emploi et rogner sur les droits syndicaux, baisser les impôts pour les millionnaires et appliquer une politique austéritaire impliquant une offensive redoublée contre les travailleurs et les travailleuses du secteur public, de la santé et de l’éducation. Même s’il a gommé certains des aspects les plus choquants et absurdes de son programme, c’est bien là le centre de gravité de son projet. En ce sens, Kast à la présidence représenterait une sorte de Piñera [le président actuel, de droite], à la puissance dix.

C’est la raison pour laquelle, après l’arrivée en tête Kast au premier tour, de nombreuses et de nombreux camarades ont décidé de voter pour Boric au second tour dans l’espoir d’empêcher l’ultra-droite de l’emporter. Beaucoup le feront en se bouchant nez, car ils n’oublient pas que c’est Boric lui-même qui s’est assis à la table de négociations avec les partis responsables de trente années de gestion néolibérale de l’héritage pinochétiste pour signer « l’Accord pour la paix et la Nouvelle Constitution » qui a permis à Piñera de sauver sa tête en novembre 2019.

En tant que Parti des Travailleurs Révolutionnaires, nous nous situons clairement du côté des travailleuses et des travailleurs, des femmes, des personnes LGBTI et des jeunes qui détestent Kast et qui veulent le mettre en échec. Notre appel est de battre la droite et son candidat à travers la mobilisation et la puissance de la classe ouvrière et des secteurs populaires, sans placer aucune confiance en Boric ni en son projet.

En ce moment, nous menons une campagne large, à la fois contre Kast et contre la droite dans son ensemble et contre le grand patronat. C’est dans cette perspective que se situe La Izquierda Diario et que nous organisons toutes les initiatives et actions possibles sur nos lieux de travail, les lycées et les universités et dans nos quartiers. En revanche, nous ne faisons pas partie de la campagne de Boric ou d’Apruebo Dignidad [la coalition qui soutient Boric, composée, notamment, du Frente Amplio et du PC Chilien]. Nous partageons cette bataille avec les camarades qui, conscients de ce que représente Boric, vont voter de manière critique pour lui, mais également avec celles et ceux qui veulent affronter la droite mais ne voteront pas pour Boric car ils considèrent qu’il ne représente pas les « revendications d’octobre ».

Nous invitons l’ensemble de ces camarades à mener cette campagne, partout où cela est possible, et y compris d’organiser des comités de mobilisations anti-Kast indépendants, non subordonnés à la coalition « Apruebo Dignidad ». Nous avons besoin d’unité et d’organisation indépendante du monde du travail, du mouvement des femmes, du mouvement étudiant et des quartiers, du peuple mapuche, si l’on veut battre la droite et les capitalistes qui ont consolidé leur pouvoir sous la dictature et, par la suite, au cours des trente années de gouvernements de centre-gauche et de centre-droit qui lui ont succédé.

Pourquoi ne placer aucune confiance en Boric ?

La politique du Frente Amplio et du Parti Communiste a consisté à vider les rues des mobilisations au profit, soi-disant, d’un changement institutionnel. Cette stratégie n’a aucunement été favorable aux classes populaires. C’est, à l’inverse, ce qui a permis à la droite de se renforcer. Les espoirs que la population avait placé dans la Convention Constitutionnelle, elle-même entravée dans son fonctionnement par mille obstacles institutionnels, ont été douchés. Cette Convention se situe à des années lumières des besoins urgents des classes populaires. Voilà pourquoi la droite a renforcé son poids au Parlement [à la suite des élections du 21 novembre] ou que certains candidats populistes néolibéraux à l’instar de Franco Parisi [arrivé en troisième position] a fait un bon score. Sans même parler du rôle catastrophique qui a été celui de la direction de la Centrale Unifiée des Travailleurs [de loin la principale organisation syndicale au Chili, dirigée par le PC]. Les dirigeants n’ont pas bougé le petit doigt pour s’opposer aux attaques du gouvernement Piñera au cours de la pandémie. C’est ainsi que le PC a, par exemple, voté la « Loi sur le chômage partiel » qui, en dernière instance, permet de licencier purement et simplement, ou encore que le Frente Amplio a accordé son soutien à la « Loi anti-barricades ».

Aujourd’hui, Gabriel Boric entend poursuivre dans cette direction. Au cours des dernières semaines, on a pu voir comment il donnait un coup de barre accéléré en direction du centre et de la modération. Il ne s’agit aucunement d’une tactique électorale. L’enjeu est de savoir quelle sera l’orientation d’un possible gouvernement Boric. Dernièrement, il a reçu le soutien de l’ancien président [social-libéral] Ricardo Lagos. Les économistes sur lesquels s’est appuyée la Concertation [coalition du PS et de la Démocratie-Chrétienne] dans les années 1990 ont fait leur apparition autour de Boric. Leur idée est de mettre en place un programme d’ajustement « acceptable » pour les classes populaires [« ajuste en las expectativas »] et de garantir qu’un possible gouvernement Boric respecte l’orthodoxie budgétaire [« responsabilidad fiscal »]. Boric a même réussi à soutenir qu’il était impossible d’amnistier toutes celles et tous ceux qui ont été arrêtés et condamnés dans le sillage de la révolte d’octobre… Il promet d’ailleurs davantage de policiers et un agenda sécuritaire renforcé.

Boric réitère la vieille recette des alliances avec les anciens partis de la Concertation, une nouvelle « Nouvelle Majorité » [appellation sous laquelle a été connue la coalition Démocratie-Chrétienne, Parti Socialiste et PC, qui a soutenu la seconde présidence de Michelle Bachelet, entre 2014 et 2018]. Cela veut dire une seule chose : liquider les revendications de la révolte d’octobre, tout en préservant les institutions les plus détestées du régime, à l’image des carabiniers.

Reprendre les revendications d’octobre et préparer les mobilisations de demain

Le grand patronat est sorti renforcé de la dernière séquence. Dans un contexte marqué par la stagnation économique, l’inflation, l’augmentation du travail informel et du travail précaire, il veut redoubler ses attaques contre nos conditions de vie. La crise politique, elle, n’est toujours pas résolue et les revendications sociales de la grande majorité de la population sont toujours sans réponse. Un Congrès dominé par une sorte de segmentation, à parts égales, entre l’extrême droite, la droite, le centre et la gauche, au sein duquel Boric pense pouvoir gouverner en passant des alliances avec l’ancienne Concertation, ne permettra d’imposer aucun changement de fond.
Le grand patronat fait le pari de l’ordre restauré et de la gouvernabilité. Il annonce un programme d’ajustement et des attaques contre le pouvoir d’achat (…). Aujourd’hui, il soutient Kast, mais le programme qu’il défendra si leur candidat perd restera le même. Boric représente un autre type de restauration de l’ordre : une restauration de centre-gauche et une stratégie de centre-gauche pour assurer la gouvernabilité.

C’est pour cela que nous devons, dès aujourd’hui, préparer l’unité et la mobilisation du monde du travail, des syndicats, des coordinations, des mouvements sociaux, des mouvements de femmes, du mouvement LGBTI, des organisations sociales et de quartier, des organisations de défense des droits humains et de défense des prisonniers politiques. Il faut, dès aujourd’hui, mettre en place des assemblées et des comités de lutte, développer l’auto-organisation par en bas pour défendre l’ensemble de nos droits et arracher les revendications pour lesquelles nous avons été des millions à descendre dans la rue et qui gardent toute leur actualité.

Aujourd’hui, cependant, les directions syndicales et les directions des mouvements sociaux maintiennent un profil passif. Elles appellent à voter Boric pour « contrer le fascisme » mais n’appellent pas à des AG, ne promeuvent pas la discussion politique et ne défendent pas non plus un programme qui parte des revendications d’octobre qui sont toujours d’actualité. Comme nous l’avons déjà dit, la stratégie consistant à vider les rues des manifestants ne peut que renforcer la droite et le grand patronat. Cette confiance en un « changement par les institutions », soumises aux partis qui ont gouverné pendant trente ans après la dictature, a conduit à la montée de Kast. Plus que jamais, nous avons besoin de renforcer l’organisation du monde du travail et de reprendre le chemin de la mobilisation la plus large et la plus unitaire en défense de nos revendications.

Le programme de Boric ne répond pas aux revendications urgentes du monde du travail et des classes populaires pas plus qu’aux revendications nées de la rébellion d’octobre 2019. C’est pour cela qu’il s’agit de construire une alternative du monde du travail, par le biais d’un programme capable d’affronter Kast, la droite et l’ensemble des partis qui ont gouverné depuis la fin de la dictature et qui renforce l’auto-organisation et la mobilisation pour arracher les revendications pour lesquelles nous avons luttées et pour en finir, une fois pour toutes, avec l’héritage pinochétiste, dans la perspective d’un gouvernement des travailleuses et des travailleurs.

Ce programme doit revendiquer l’augmentation général des salaire, l’accès à un vrai travail pour toutes et tous, sans précarité, l’éducation et la santé, publiques et de qualité, au service des besoins de la population, en finir avec les fonds de pension privés (AFP), un salaire et une retraite d’au moins 600.000 pesos, indexés sur l’inflation, le droit à un logement digne qui mette fin au business des banques et des grands groupes immobiliers, la liberté des prisonniers politique, le jugement des responsables de la répression, la dissolution des forces de police. Ce programme doit permettre de faire face à l’offensive répressive qui s’abat sur le Wallmapu, le territoire historique des Mapuche, dans le Sud du pays, pour mettre fin à la militarisation de la région et exiger le retour de leurs terres ancestrales aux communautés. Il doit mettre en avant les droits des femmes, le droit à l’IVG, gratuit. Il doit permettre d’en finir avec le pillage de nos ressources en nationalisant l’eau, le cuivre, le lithium, sous le contrôle des travailleurs et des communautés, et de renationaliser les entreprises privatisées dans le secteur du gaz et de l’électricité, au service des usagers, et placer ces ressources au service des nécessités de la population et non du profit.

Santiago du Chili, 8 décembre 2021

[Trad. CP]


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