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États-Unis

Élections de mi-mandat aux États-Unis : la « vague » républicaine confrontée au rejet des électeurs

Dans un résultat contradictoire, les électeurs ont rejeté les espoirs républicains d'une « vague rouge », choisissant au contraire de protéger l'avortement au niveau des États et de donner lieu à un gouvernement probablement divisé.

Sybil Davis

10 novembre 2022

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Cet article est une traduction d’un article initialement paru sur LeftVoice, journal faisant partie du même réseau international que Révolution Permanente.

Alors que de nombreuses élections sont encore trop serrées pour qu’un vainqueur soit annoncé - avec des recomptages, des seconds tours et des contestations à l’horizon - les élections de mi-mandat de 2022 ont livré un message clair : la soi-disant « vague rouge » que beaucoup attendaient ne s’est pas produite. Si le GOP peut encore remporter la Chambre des représentants, les rêves du parti de s’emparer d’une majorité écrasante à la Chambre et au Sénat sont hors de portée, car les démocrates conservent de nombreux sièges et remportent même quelques courses importantes, comme celle du Sénat de Pennsylvanie.

Les élections de mi-mandat de 2022 ont eu lieu à un moment plus droitier que plusieurs élections passées. Contrairement à la vague anti-Trump de 2018 et à l’élection de 2020 dans le sillage du mouvement Black Lives Matter, les « midterms » de 2022 ont montré une progression de la droite, plus particulièrement au niveau des États. Les républicains des États, de plus en plus alliés avec des secteurs de l’extrême droite, ont déclenché d’horribles attaques contre les droits démocratiques fondamentaux à l’autonomie corporelle, à l’auto-identification et au vote. Tous les indicateurs montrent qu’ils vont continuer à le faire. Pendant ce temps, les démocrates, même s’ils détiennent l’ensemble du gouvernement national, n’ont pas réussi à se défendre contre ces attaques, mais les ont plutôt utilisées pour transformer la peur en votes, tout en modérant leur discours contre la droite afin de séduire des secteurs des électeurs républicains qui ne sont pas nécessairement enthousiasmés par le Trumpisme.

Les démocrates ont d’abord présenté l’élection comme un référendum sur le droit à l’avortement - leur principal argument en faveur des électeurs était qu’ils protégeraient l’avortement au niveau de l’État et au niveau fédéral. Les républicains ont riposté en présentant l’élection comme un référendum sur l’économie (bien que les secteurs aient également cherché à en faire une autre bataille de la guerre culturelle). Lorsqu’il est apparu clairement que l’économie était en tête des préoccupations des électeurs et que même l’accès à l’avortement risquait de ne pas suffire pour garder entièrement le contrôle du Congrès, les démocrates ont tiré la sonnette d’alarme et ont tenté de réorienter leur campagne en ne promettant plus le droit à l’avortement au niveau fédéral mais en protégeant l’avortement dans les États au cas par cas et en différenciant leur propre vision de la lutte contre l’inflation de celle du parti républicain.

Les premiers résultats suggèrent que, bien que les démocrates aient changé de cap et parié qu’une focalisation trop étroite sur les droits reproductifs aliénerait leurs électeurs, le sujet de l’avortement a été crucial pour leurs gains électoraux cette semaine. Ceci dit, les craintes concernant l’économie continuent de guider les décisions de nombreux électeurs. Les sondages de sortie des urnes ont confirmé que les deux questions de l’avortement et de l’économie étaient centrales. Dans le sondage national de sortie des urnes réalisé par NBC, 31 % des électeurs ont déclaré que leur problème le plus important était l’inflation, tandis que 27 % (le deuxième chiffre le plus élevé) ont déclaré que c’était l’avortement.

Dans ce contexte plus à droite, le résultat est positif à court terme pour les démocrates, qui ont sauvé de nombreux sièges qui semblaient perdus quelques jours auparavant. Le soutien à l’avortement s’est également manifesté dans toutes les mesures électorales relatives à l’avortement [les citoyens américains votent pour des mesures législatives en même temps que pour un candidat à chaque élection, ndt] qui ont toutes été favorables à la protection de l’avortement, du Kentucky au Michigan. Cela souligne une fois de plus que la base est à la gauche de l’establishment politique et soutient massivement la protection continue de l’avortement. Il existe un soutien populaire dans tout le pays, non seulement pour codifier Roe v. Wade, mais aussi pour faire de l’avortement sur demande une loi fédérale. Mais les démocrates ne le feront pas. Au lieu de cela, ils privilégient une approche État par État, en gardant la question de l’avortement (qui est leur atout électoral le plus précieux) sur la table plus longtemps et en utilisant également les mesures de vote des États comme une tactique de mobilisation pour augmenter leurs chances dans ces États.

En effet, le succès de ces mesures électorales et le rejet d’une grande partie (mais pas de la totalité) des Républicains les plus conservateurs sur le plan social vont à l’encontre de l’argument avancé par certains secteurs de l’aile populiste du Parti démocrate - et même repris par la publication social-démocrate Jacobin - selon lequel les Démocrates se préparaient à l’échec en se concentrant trop sur l’avortement. Ces résultats vont à l’encontre de l’argument selon lequel la classe ouvrière se moque de l’avortement et ne s’intéresse qu’à l’économie. Toutefois, l’économie étant toujours en tête des préoccupations des gens, ce sursis temporaire pour les démocrates pourrait ne pas durer longtemps.

Pourtant, de larges secteurs se situent à la gauche des campagnes des deux partis. Cela se voit dans les mesures de vote, même en dehors de l’avortement. Le Maryland et le Missouri ont légalisé le cannabis (même si le Missouri est passé républicain) ; le Tennessee et l’Alabama ont voté contre l’interprétation abusive du treizième amendement [qui autorisait de facto l’esclavage dans les prisons, ndt] ; l’Illinois a voté pour inscrire la négociation collective dans sa constitution ; le Dakota du Sud (l’un des États les plus rouges de cette élection) a voté pour étendre la protection sociale Medicaid ; et le Nebraska et le Nevada ont voté pour augmenter le salaire minimum. Il s’agit de revendications politiques qui ne sont au programme d’aucun des deux partis.

Le fait qu’un si grand nombre d’élections aient été si serrées, même si les démocrates ont remporté plus de victoires que de défaites, est la preuve d’une polarisation et d’une instabilité continues au niveau national. En ce sens, les résultats des élections peuvent être considérés, de manière limitée, comme un rejet partiel de la droite. Mais les résultats ne doivent pas être considérés comme une adhésion aux démocrates. En d’autres termes, les démocrates n’ont pas gagné autant que les républicains ont perdu. Il est clair que de nombreux électeurs ont davantage peur que l’autre parti prenne le pouvoir qu’ils ne sont enthousiastes à l’égard des candidats présents sur les bulletins de vote. Les résultats de nombreuses initiatives électorales en sont un petit exemple. Ils reflètent l’évolution de la conscience parmi de larges secteurs de la population qui pointent vers les intérêts communs de notre classe dans la lutte à la fois contre l’exploitation et l’oppression, sur des questions allant du racisme aux soins de santé - des intérêts qui pourraient être organisés et combattus par un parti qui nous est propre et qui ne dépend pas des partis capitalistes.

DeSantis perce, Trump en difficulté

Étant donné que Trump se prépare - ostensiblement - à annoncer une campagne présidentielle en 2024, les élections de mi-mandat de 2022 peuvent être considérées dans le contexte des luttes intestines du parti républicain. À bien des égards, ces élections de mi-mandat ont été un test du pouvoir de Trump. Dans l’ensemble, il a remporté les batailles primaires entre son aile et l’establishment et a fait passer plusieurs de ses candidats triés sur le volet dans des primaires difficiles. Si les résultats sont (bien sûr) contradictoires, il semble clair que plusieurs des pertes républicaines les plus douloureuses ont été subies par des candidats soutenus par Trump : Oz et Mastriano en Pennsylvanie, Cox dans le Maryland, plusieurs courses au Parlement, etc. Trump a donc peut-être gagné la bataille des primaires mais perdu la guerre des « midterms » - même si les candidats trumpistes ont remporté des victoires importantes dans les courses au Sénat en Caroline du Nord et dans l’Ohio.

Cela ouvre un espace à l’establishment républicain pour riposter à Trump - le dépeindre comme responsable du manque de succès des élections de mi-mandat, le dépeindre, lui et ses candidats, comme peu sérieux et incapables de gagner des élections générales, et plus généralement essayer de le marginaliser en vue de 2024. Cette tentative a été aidée par l’un des seuls points lumineux pour les républicains de toute la nuit : la victoire de Ron DeSantis dans la course au poste de gouverneur de Floride.

DeSantis est une figure intéressante au sein du parti républicain. D’une part, il est étroitement lié au trumpisme et, sur le plan rhétorique, a appris beaucoup de Trump. Pour ne citer qu’un exemple, son discours de victoire de mardi soir est sorti tout droit du manuel trumpiste. Il a fermement condamné les « wokes » et a déclaré que « la Floride est l’endroit où l’idéologie woke va mourir ». Mais contrairement à Trump, DeSantis est beaucoup plus consensuel avec l’establishment républicain, tient la ligne républicaine dominante en matière de politique étrangère, et a une relation plus combative contre la classe ouvrière que Trump. Alors que Trump tente de se dépeindre comme un homme du peuple de droite pour attirer un secteur de la classe ouvrière blanche, DeSantis s’appuie sur une rhétorique de guerre culturelle visant la classe moyenne, qui s’inquiète de l’évolution des conceptions culturelles. Ceci, ajouté au fait que DeSantis est une figure politique beaucoup plus stable que Trump, fait de DeSantis un candidat beaucoup plus attrayant pour l’establishment républicain que Trump.

La forte victoire de DeSantis dans sa course et les bons résultats des républicains à travers la Floride (que beaucoup attribuent au leadership de DeSantis dans cet État), combinés aux trébuchements de Trump, le placent dans une position très forte pour disputer le leadership du parti. Alors que le coup d’envoi de l’élection de 2024 sera donné dans les prochaines semaines - car le cycle éternel des élections ne s’arrête jamais - il est clair que DeSantis sera une figure centrale - bien qu’il ait encore d’importantes faiblesses, comme son niveau incertain de soutien de la base trumpiste, une base qu’il est essentiel pour les candidats républicains d’exploiter.

Les démocrates s’accrochent

D’une certaine manière, la décision Dobbs, qui a annulé la décision Roe V. Wade, était la meilleure chose qui pouvait arriver pour les démocrates et Biden. Elle leur a permis de détourner l’attention de leur impuissance législative et de leur incapacité à tenir la grande majorité de leurs promesses programmatiques et de jouer leur air préféré : « votez pour vos droits ». Cet alarmisme familier a permis aux démocrates de masquer leur manque de résultats dans la lutte pour l’un des droits qui dépend selon eux du vote de mardi.

Pour sa part, Biden a passé l’une des meilleures nuits possibles. Il peut dire qu’il a subi les pertes de mi-mandat les plus légères de tous les présidents en exercice de l’ère moderne et qu’il a réussi à rassembler de nombreux secteurs de sa coalition. En réalité, l’avortement et les problèmes parmi les candidats républicains sont bien plus responsables du succès démocrate que le leadership de Biden, mais il est indéniable que ces résultats renforcent Biden en tant que leader du parti.

Dans l’éventualité probable d’un gouvernement partagé, cependant, la question de savoir comment Biden gouvernera au cours des prochaines années reste ouverte. Essaiera-t-il de faire passer son programme par le biais du Congrès, dans l’espoir que l’obstruction des républicains à la Chambre leur porte préjudice sur le plan politique ? Gouvernera-t-il par décret ? Les deux options sont risquées. À cela s’ajoute la question de savoir comment les démocrates vont se serrer les coudes et s’atteler à leurs tâches complexes au cours de la période à venir. Les démocrates n’ont pas réussi à trouver un consensus dans leurs rangs pour faire passer des lois plus ambitieuses lorsqu’ils contrôlaient les deux chambres du Congrès, alors pourront-ils trouver un consensus pour faire avancer efficacement un programme avec un contrôle partagé du Congrès ? Quel rôle la droite démocrate, toute puissante au cours des deux premières années du mandat de M. Biden, jouera-t-elle dans la période à venir ? L’aile progressiste continuera-t-elle à tenir la ligne, ou sentira-t-elle la pression de sa base pour causer plus de problèmes à Biden ? Toutes ces questions ouvertes auront un grand impact sur les deux prochaines années de Biden.

Ce qui est certain, et qu’il ne faut pas occulter, c’est qu’aucun des deux partis n’a de solution à la crise croissante. Malgré l’accent qu’ils mettent sur l’inflation, le seul moyen pour les républicains de la maîtriser est de plonger le pays dans une récession et de forcer la classe ouvrière à payer pour la crise - la même réponse que l’administration Biden entreprend actuellement. Malgré tous leurs discours sur l’avortement, les démocrates n’ont pas de plan (ou d’intérêt) pour le protéger réellement au niveau fédéral. Il y a des airs de jeu de patate chaude dans le gouvernement en ce moment. Aucun des deux partis ne veut assumer la responsabilité de la crise à venir, et tous deux cherchent des moyens de rejeter la faute sur l’autre. Dans ce contexte, la division probable du Congrès profite aux deux partis, car aucun d’entre eux ne doit assumer l’entière responsabilité de la crise.

Ce que cette élection montre, c’est que le populisme de droite - qu’il soit organisé sous le nom de Trump ou sous un autre nom - est là pour rester. Au fur et à mesure que la crise économique et les attaques contre les droits démocratiques s’aggravent, la nécessité pour la classe ouvrière d’avoir un parti qui lui est propre ne devient que plus claire. Nous devons construire un parti de la classe ouvrière avec une stratégie socialiste, un parti qui reprendra et organisera une réponse de la classe ouvrière aux attaques que nous subissons et qui combattra le régime bipartisan, qui est uni dans son désir de nous forcer à payer pour leur crise pendant que la bourgeoisie continue sans être touchée.

Nos moyens de subsistance, notre droit à l’autonomie corporelle et notre droit de vote ne devraient pas être constamment attaqués. Mais ils le seront tant que nous serons piégés sous le régime bipartisan du capitalisme. Les démocrates et les républicains sont des réactionnaires sans avenir. Nous devons construire quelque chose par nous-mêmes. Un parti qui représente les travailleurs nouvellement syndiqués, les jeunes transgenres, les défenseurs de l’avortement et tous les autres travailleurs qui réalisent que ce système ne nous réserve que douleur, misère et exploitation.


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