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La fin d’un cycle de gauche en Amérique Latine ?

Equateur : les enjeux de la présidentielle en Equateur

Alexandra Dupont Les résultats du premier tour des élections équatoriennes du dimanche dernier montrent une forte division de l’électorat entre le projet de Rafael Correa, incarné par son successeur, Lenin Moreno et celui de la droite, qui annonce déjà être prête à se rassembler pour faire face à un très probable deuxième tour le 2 avril.

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Le candidat du parti au pouvoir, Lenin Moreno, était en ballottage dimanche 19 février face à son adversaire de droite et ancien banquier, Guillermo Lasso, à l’issue du premier tour de l’élection présidentielle en Equateur, selon les premiers résultats partiels officiels.

L’ex-vice-président Lenin Moreno, candidat d’Alliance PAIS ( patrie fière et souveraine – AP), au pouvoir, a recueilli 38,87% des voix et pourrait affronter au second tour le banquier conservateur Guillermo Lasso, du mouvement Créant des opportunités (Creo), crédité de 28,50 %, selon ces résultats portant sur 81,90 % des suffrages exprimés et communiqués par le Conseil national électoral (CNE). Dimanche soir, l’ex-députée de droite Cynthia Viteri, qui a obtenu 15,4 % selon les résultats partiels, a apporté son soutien à la candidature de Guillermo Lasso, en cas de second tour.

Pour l’emporter dès le premier tour, le candidat d’AP devrait totaliser au moins 40 % des suffrages exprimés avec dix points d’avance sur le leader de l’opposition de droite, ce qui n’est loin d’être gagné.

Ces candidats expriment deux projets différents pour diriger l’Equateur. Le candidat du parti au pouvoir propose une continuité avec quelques changements de la politique menée par l’administration de Rafael Correa, alors que l’opposition de droite prône un tournant carrément néolibéral.

Les aspirations de la droite

Derrière la fausse promesse de création d’un million d’emplois, le principal candidat de l’opposition, Guillermo Lasso, exprime les aspirations des secteurs le plus concentrés du capital financier équatorien : aligner le pays andin à la vague de gouvernements de droite, de retour dans la région, comme ceux de Macri en Argentine ou de Temer au Brésil.

Lasso est un de plus grands banquiers en Equateur, et dans le passé, a été Ministre de l’Economie sous le gouvernement néo-libérale et répressif de Jamil Mahuad (1998-2000), qui n’a pas pu finir son mandat à cause d’une rébellion populaire. Lasso a été l’un des responsables de la dollarisation de l’économie équatorienne, qui a eu comme conséquences la perte de souveraineté sur leur monnaie, une augmentation sans précédents de l’inflation, ce qui a appauvri d’un seul coup les travailleurs et les secteurs populaires, ainsi que la confiscation de l’épargne des grandes secteurs de la classe moyenne.

Son projet actuel consiste à appliquer un plan d’austérité pour « mettre de l’ordre » sur les comptes de l’Etat pour attirer les investissements. Il veut sortir de L’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique - Traité de commerce des Peuples(ALBA - TCP), bloc économique et commercial formé à l’initiative de Hugo Chavez, et rompre avec les liens politiques développés avec la Venezuela et la Bolivie. L’objectif est de réorienter le pays vers l’Alliance du Pacifique, formée entre le Chili, la Colombie, le Pérou et le Mexique, et qui compte sur le soutien des Etats-Unis.

Une autre variante de l’opposition de droite, représentée dans le Parti chrétien-social, propose un plan similaire. De fait, la lutte pour la deuxième position lors de ce premier tour a joué le rôle d’une sorte de primaire de la droite pour élire le candidat qui sera présent le 2 avril.

La stratégie de l’Alliance PAIS au pouvoir

Lenin Moreno promet d’approfondir la « révolution citoyenne » de l’actuel président avec des mesures visant à créer plus d’emplois, de diversifier la production en dehors du secteur pétrolier et de renforcer l’éducation, entre autres. Il n’énonce pas les nouvelles mesures d’austérité qui, au nom des nouvelles coordonnées internationales, promettent d’être adoptées dans la continuité de la politique menée actuellement par le président Rafael Correa.

Néanmoins, le candidat Moreno se dit prêt à changer les méthodes de gouvernements qui, sous Correa, ont été très concentrées autour de sa personne, incarnant le chef charismatique du régime, à la manière des gouvernements populistes de Chavez au Venezuela ou d’Evo Morales en Bolivie. Moreno promet une ouverture du dialogue social comme réponse à une importante contestation des classes moyennes, attisée par la droite et les médias, expression de ras le bol face à l’autoritarisme et la corruption au sein du gouvernement.

Une consultation populaire a eu lieu en même temps que ces élections, à l’initiative de Correa, pour interdire aux élus de posséder des comptes bancaires offshore. Cette consultation est une réponse aux successifs scandales de corruption, mais elle cherche aussi à fragiliser Lasso, représentant de la bourgeoisie financière de Guayaquil qui a pour habitude d’extraire des capitaux vers les paradis fiscaux.

La “révolution citoyenne” de Correa

Dans la période 1997-2005, caractérisée par une importante crise sociale, politique et économique, plusieurs révoltes populaires ont vu le jour. Dès son arrivée au pouvoir en 2007, le projet réalisé par Rafael Correa se situait dans la vague des gouvernements post-néolibéraux qui se sont étendue dans la région depuis la première moitié des années 2000.

Des mesures à caractère social ont été mises en place, telles que des allocations pour les plus démunis, des réformes dans le régime politique pour retrouver la légitimité perdue ; plus d’intervention directe de l’Etat, en renégociant les contrats avec les grands monopoles nationaux et étrangers. Tout cela, en gardant l’essence même de la structure capitaliste, économiquement dépendant du pays, la dollarisation de l’économie nationale, le paiement de la dette extérieure, la vente à des capitaux étrangers des terres, des banques ainsi que des entreprises d’autres secteurs productifs.

Correa lui-même a reconnu les limites de sa “révolution citoyenne”. Par exemple, dans un entretien publié au journal El Telegrafo en janvier 2012, il a affirmé « à la base, nous sommes en train d’améliorer les choses avec le même modèle d’accumulation plutôt que de le changer, parce que nous ne souhaitons pas porter préjudice aux riches, néanmoins nous voulons une société plus juste et équitable »

Les dernières années, avec la chute de prix de matières premières, le gouvernement Correa a glissé à droite, tout comme les autres gouvernements « progressistes » latino-américains, avec l’application de plans d’austérité pour les travailleurs, alors même que, les capitalistes, eux, ont continué à s’enrichir.

C’est ainsi que les ports équatoriens sont désormais passés aux mains de capitaux étrangers, tout comme les principaux puits de pétrole et les mines. Ces appropriations ne se sont pas faites sans [répressions, notamment à l’encontre des peuples autochtones et des groupes écologistes - http://www.revolutionpermanente.fr/Equateur-Rafael-Correa-dissout-une-ONG-ecologiste-de-defense-des-terres-d-une-communaute-indigene].

Rafael Correa a aussi imposé des lois pour “flexibiliser” les conditions de travail à la faveur du patronat, tout en favorisant les entreprises de« l’agrobusiness », notamment avec l’envoi au Congrès de son projet de loi vulgairement appelée « Loi Monsanto », qui favorise cette société mondialement connu par sa politique de destruction écologique.

De la même manière, le président équatorien quitte le gouvernement avec une mesure de portée stratégique : la signature d’un Traité de Libre échange avec l’UE, qui ne fait que renforcer la nature exportatrice de matières premières de ce pays andin, ainsi que la dépendance économique qui va avec.

Toutes ces politiques d’ajustement, dissimulées derrière un discours progressiste, ont déjà eu pour conséquence une perte des acquis sociaux obtenus pendant les années de prospérité économique. C’est cela qui permet d’expliquer l’impossibilité dans lequel s’est retrouvé le parti au pouvoir d’obtenir les 40% des voix nécessaires pour éviter un deuxième tour, deuxième tour pour lequel une victoire est loin d’être assurée.


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