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Esclavage en Libye : une enquête d’Amnesty International pointe la responsabilité de l’Union Européenne

Une enquête menée par Amnesty International met en avant la responsabilité de l’Union européenne dans son ensemble, et l’Italie en particulier, dans les violations des droits humains commises contre les réfugiés et les migrants en Libye.

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Crédits photo : TAHA JAWASHI

On avait accueilli le discours de Macron et les réactions des dirigeants européens sur l’esclavage que subissaient les migrants en Libye avec circonspection. En effet, on se demandait comment, du fait de l’aide logistique et militaire apportée en Libye depuis plusieurs années, ces derniers avaient pu être aveugles à l’existence de tel phénomène. L’enquête d’Amnesty International montre qu’en plus de savoir l’UE apporte clairement son aide aux trafiquants et aux milices libyennes organisatrices de cette traite humaine.

Une situation propice à la traite humaine

Tout d’abord, l’enquête montre que les agents de la Direction centrale de lutte contre les migrations illégales qui travaillent dans les centres de rétention sont responsables des sévices infligés aux migrants et réfugiés détenus, et même de leur mort. Les gardiens des centres de rétention libyens sont en lien avec des groupes privés auxquels ils revendent les personnes détenues dans leurs centres.
Les garde-côtes sont également responsable de la situation. Dans un premier temps parce qu’ils ne respectent pas les règles d’abordage lorsqu’ils interceptent les bateaux qui quittent la Libye et sont responsables de nombreux naufrages meurtriers. Lorsque ce n’est pas le cas, ils les menacent et les maltraitent. Ils les débarquent ensuite pour les remettre dans les centres de détention. Des milices locales ont rejoint les garde-côtes libyens pour bénéficier d’un statut officiel et pouvoir ainsi conserver tranquillement le contrôle des voies de départ et gérer sans problèmes leurs affaires. Des garde-côtes collaborent également avec les trafiquants. Certains se font payer par les trafiquants pour leur assurer de pouvoir quitter le pays sans problème. Les gardes-côtes accompagnent les bateaux pendant la première partie de leur trajet ou laissent passer les bateaux qui ont un signe distinctif indiquant que le trafiquant les a payés.

Depuis l’intervention impérialiste en Libye et la chute de Kadhafi en 2011, le pays est livré à différents clans et tribus. Des groupes armés, des milices et des bandes criminelles agissent en dehors de tout contrôle de l’État parfois avec le soutien de celui-ci. Très implantés dans le sud du pays, ces groupes ont pour habitude de kidnapper les migrants et réfugiés, de les rançonner, les forcer au travail, tout en leur infligeant des mauvais traitements, pouvant aller jusqu’à la mort. Ce sont aussi ces groupes qui sont responsables du trafic de migrants que ce soit aux frontières sud du pays ou le long de la côte méditerranéenne. Certains localités, ou lieux désaffectés, sont entre leurs mains pour réunir toutes les personnes avant les départs en mer. En mars 2017, le ministre italien de l’Intérieur rencontre à Rome les représentants de trois tribus qui contrôlent les territoires du Sud de la Libye et un accord de paix est conclu entre elles pour permettre la création de garde-frontières dans cette région.

L’UE complice et acteur

Comme le montre l’accord entre les tribus du sud de la Libye et l’Italie, l’Union européen a une grande part de responsabilité dans les sévices infligés aux migrants en Libye. Le 3 février 2017, les dirigeants européens ont donné leur accord pour fournir aux garde-côtes libyens, et aux autres agences pertinentes, « un entraînement, des équipements et un soutien » pour lutter contre l’immigration. Ils soutiennent sans équivoque l’accord que l’Italie a conclu avec la Libye quelques jours auparavant dont l’objectif est de fournir une assistante technique et une assistance financière au ministère de l’Intérieur qui est responsable des centres de détention de migrant, former les autorités libyennes, notamment le personnel travaillant dans les centres de détention. Des fonds européens financent également ces centres où la détention est inhumaine.

Le Fond fiduciaire pour l’Afrique de l’UE ouvre un programme de financement de 46,3 millions d’euros pour « renforcer les capacités de contrôle intégré des frontières et des migrations par les autorités libyennes ». Ce programme vise plus spécifiquement les garde-côtes libyens mais aborde aussi la question de la coordination entre toutes les agences concernées en Libye par la question des migrants y compris celles qui sous couvert de lutter contre l’immigration font de la traite humaine.

Les 13 juillet et 26 août 2017, le ministre de l’Intérieur italien rencontre les maires de 14 villes libyennes. Il leur promet l’accès au Fond fiduciaire pour l’Afrique de l’UE en contrepartie de leur aide pour lutter contre le trafic de migrants. La même démarche conduit à un accord entre des milices impliquées dans le trafic de migrants et les autorités libyennes pour lutter contre les trafics de migrants, en fournissant aux premières bateaux, équipements et finances.

En effet, l’aide ne s’arrête pas à donner des fonds, l’UE y va de son aide matérielle et humaine. En septembre 2017, l’Agence Frontex détache un officier de liaison basé à Tunis dont la mission consiste à apporter son assistance aux autorités libyennes. Cette agence est responsable du contrôle aux frontières européennes. Elle est responsable de nombreux naufrages. L’opération Triton menée par elle prend le relais de l’opération « Mare Nostrum » menée par la marine italienne qui fait directement référence à la fois à l’expansionnisme romain et aux fascismes italiens.

Les États européens ont travaillé pour renforcer les capacités d’intervention des garde-côtes libyens. Cela passe par des formations, des transferts d’équipements et la mise en place d’un centre de coordination. En juin 2016, la mission navale européenne « EUNAVFOR MED » élargit sa mission pour pouvoir former les garde-côtes libyens. Cette coopération meurtrière va jusqu’à la livraison de navires pour faire la chasse aux migrants. En avril et mai 2017, l’Italie donne aux garde-côtes libyens, quatre navires rapides. Six autres navires devraient prochainement suivre.

L’Italie lance également une opération navale dans les eaux territoriales libyennes à la demande de ces dernières pour les soutenir dans leur action de lutte contre les migrations irrégulières et les trafics de migrants en août 2017.

Les gouvernements européens, et en particulier l’Italie, tout en prétendant vouloir sauver des vies en mer, apportent un soutien actif, lorsqu’ils ne participent pas eux même à la rétention et aux traitements inhumains, aux garde-côtes libyens. L’objectif est de réduire les arrivées sur le sol européen en bloquant les personnes en Libye. On est bien loin de toute idée humaniste. Ils ont joué un rôle dans l’interception des réfugiés et des migrants et dans la politique visant à les contenir en Libye, ils partagent avec la Libye la responsabilité des détentions arbitraires, de la torture, l’esclavage et autres mauvais traitements infligés aux réfugiés et aux migrants en détention.
« La politique de blocage des migrants et réfugiés en Libye a été mise en place alors même que les États européens connaissaient parfaitement le sort réservé aux réfugiés et migrants. Leur choix a donc été fait en n’ignorant pas les effets et conséquences prévisibles sur la vie et la sécurité de ces personnes » nous dit l’enquête.


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