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Les contradictions iraniennes exposées

Est-on au début d’un « printemps iranien » ?

Alors que les manifestations ne faiblissent pas et que la répression et les affrontements ont fait déjà plus de 20 morts, la question commence à être posée dans tous les milieux et dans la presse : le mouvement actuel peut-il devenir un « printemps iranien » ? Tout semble indiquer qu’on n’en est pas encore là mais poser la question exprime déjà la profondeur de la crise.

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Les manifestations sont parties jeudi dernier de la ville de Machhad et durant le weekend le mouvement a gagné le reste du pays, y compris Téhéran sa capitale. Malgré une forte répression combinée à des appels au calme du président Rouhani, le mouvement se poursuit et la nuit du lundi au mardi, il y a eu 9 morts supplémentaires faisant monter le chiffre total de victimes fatales à 21. Rien qu’à Téhéran, les autorités ont informé que 450 personnes ont été arrêtées.

Les manifestations ont pris les dirigeants du pays par surprise. Et il y a beaucoup de nervosité parmi les gouvernants et même parmi les figures de l’opposition conservatrice. Car bien que les manifestations aient été motivées pour des questions économiques, contre le chômage, l’inflation et la pauvreté en général, peu à peu elles sont devenues politiques.

En effet, les manifestants ne remettent pas seulement en cause le gouvernement mais la corruption et le régime lui-même. « Mort à Rouhani » ; « mort à Khamenei », on a pu entendre dans les manifestations en référence au président et au « guide suprême » respectivement. Il y a une remise en cause du régime profondément corrompu, au service d’une toute petite minorité privilégiée et riche, dans un pays regorgeant de richesses naturelles mais où 70% de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Le mouvement actuel, à la différence de celui de 2009 contre la fraude électorale du président d’alors Mahmoud Ahmadinejad, n’est pas parti ni se concentre à Téhéran. Ce mouvement n’est pas dirigé par les couches moyennes de la société. En effet, même si des manifestations ont lieu dans la capitale, il à surgi dans les villes de l’intérieur du pays et dans les zones où se concentrent les couches les plus défavorisées du pays. Comme on peut lire sur le site Alliance of Middle Eastern Socialists à propos des différences par rapport au mouvement de 2009 : « 1) [les manifestations] s’opposent directement à la pauvreté et à la corruption systémique ; 2) elles incluent une large participation de la classe ouvrière (hommes et femmes), beaucoup de chômeurs ; 3) les revendications exigent la fin de la République Islamique (…) et la fin des interventions militaires iraniennes en Syrie et au Liban ; 4) dans certains cas, des femmes ont courageusement enlevé leurs voiles dans des places publiques et ont encouragé d’autres à faire de même ».

Le New York Times remarque également cette différence géographique et, à sa façon, le caractère classe du mouvement actuel : « les gens vivant dans les provinces rurales, longtemps vus comme des soutiens des autorités, sont maintenant à la tête de la plupart des manifestations. Et même si les habitants de Téhéran sont aussi descendus dans la rue, la capitale n’est pas le centre de la contestation, comme cela avait été le cas en 2009. A Téhéran, beaucoup d’iraniens de classe moyenne partagent le mécontentement mais aussi craignent l’insécurité ».

Beaucoup de spéculations étaient faites dans les premières heures des manifestations pour savoir qui était derrière celles-ci. Certains parlaient d’une manœuvre des fractions conservatrice en lutte contre le président Rouhani réputé « modéré » et « réformateur ». Cependant, quoi qu’il en soi, en quelques heures on a pu constater que les manifestants visaient aussi bien les uns que les autres.

Des conséquences géopolitiques

Le mouvement actuel critique la politique extérieure iranienne et ses interventions militaires coûteuses en Syrie, au Yémen mais aussi son soutien au Hezbollah. Ces interventions sont fondamentales pour le capitalisme iranien car il s’agit de garder et élargir son influence régionale dans la lutte réactionnaire que Téhéran livre contre la monarchie saoudienne. Cependant, pour les travailleurs et les classes populaires, les milliards dépensés dans le soutien à des régimes dictatoriaux comme celui d’Assad en Syrie, deviennent une aberration face à la misère grandissante en Iran même.

Pour les États-Unis et leurs alliés régionaux comme l’Arabie Saoudite, le mouvement actuel apparaît comme un « cadeau » et une opportunité pour freiner partiellement l’avancée iranienne au Moyen Orient. Depuis la victoire d’Assad en Syrie, le renforcement du Hezbollah au Liban et la résistance des Houthis au Yémen, Washington et Riyad perdent du terrain dans la région. Ce n’est pas un hasard que Trump ait exprimé son soutien aux manifestations dès les premières heures.

En effet, ces manifestations expriment le fait que l’Iran mène une politique étrangère coûteuse, qui dure depuis trop longtemps déjà, alors que la situation économique dans le pays est catastrophique pour les classes populaires. La question est : pour combien de temps encore Téhéran pourra « se payer sa politique étrangère ». Cette question est importante car elle se pose également pour la Turquie mais aussi pour des alliés des américains comme l’Arabie Saoudite, et même pour la Russie. Autrement dit, si le mouvement actuel en Iran s’approfondit, on ne peut pas exclure qu’il crée un effet de contagion dans d’autres pays de la région. Ainsi, même si Trump célèbre aujourd’hui le mouvement de contestation iranien, cette dynamique pourrait se retourner très rapidement contre les intérêts de l’impérialisme nord-américain au Moyen Orient.

L’ombre du « printemps arabe »

La rapidité avec laquelle le mouvement a gagné l’ensemble du pays et la composition de classe de celui-ci, mais aussi les grèves et le mécontentement parmi les travailleurs et la jeunesse depuis des mois, font penser fortement au début de ce que l’on allait appeler par la suite « le printemps arabe ».

Comme lors du mouvement né en Tunisie en 2010-2011 presque jour pour jour, il n’y a pasr de « leaders » clairement identifiables et même si des revendications communes reviennent dans les différentes manifestations, il n’y a pas une plateforme claire de revendications non plus. Comme l’expliquait un manifestant : « les manifestations en cours en Iran n’ont pas de leader, c’est une mosaïque de petites manifestations. Les appels à la grève générale sont une tentative de donner une direction aux manifestations. Les appels à une grève nationale ont été faits surtout sur les réseaux sociaux lundi dans la nuit, mais le gouvernement a coupé les communications (…) Beaucoup de gens ne vont pas manifester tant qu’ils ne sauront pourquoi ils le font ».

Effectivement, l’entrée en scène du mouvement ouvrier, avec ses méthodes de lutte (la grève) et d’organisation (conseils de grève, conseils d’usine, dans les quartiers populaires, dans les lieux d’étude) pourrait donner une organisation, une plateforme de revendications et une direction au mouvement. Ce serait une façon aussi de permettre aux travailleurs, à la jeunesse et aux classes populaires de défendre leurs propres revendications et d’éviter que le mouvement soit capitalisé par des fractions conservatrices, pro-impérialistes ou d’autres variantes capitalistes.

Alors que depuis des années on évoque les conflits dans la région sans que les travailleurs et les masses interviennent défendant leurs propres intérêts, la contestation actuelle en Iran est une opportunité pour les exploités et les opprimés, comme la participation des femmes dans le mouvement le démontre. On assiste peut-être au début de l’irruption directe des masses des travailleurs et des classes populaires qui pourraient commencer à dicter l’agenda géopolitique dans la région ; le mouvement iranien montre la voie pour mettre fin aux conflits réactionnaires au Moyen Orient.

Il faut suivre de près l’évolution de la situation et d’ici faire tout pour aider le mouvement en Iran et exprimer notre solidarité, en espérant que la contestation gagne d’autres pays du Moyen Orient et renverse le reflux réactionnaire qui a suivi la poussée des masses lors du « printemps arabe ».


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