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Attaque historique

Etats-Unis. Sous Biden, le droit à l’IVG menacé par la Cour Suprême

Ce lundi, le journal Politico a fait fuiter un document confidentiel révélant que la Cour Suprême états-unienne est sur le point de lever la protection du droit à l'avortement au niveau fédéral, renvoyant à chaque État la possibilité de mettre en place sa propre législation en la matière. Une attaque historique sous l’administration Biden qui ne pourra être contrée que par une mobilisation féministe sur le terrain de la lutte des classes.

Gabriella Manouchki

3 mai 2022

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© Left Voice

Une remise en question de la jurisprudence Roe v. Wade, ou la voie ouverte à l’interdiction du droit d’avortement

Selon Politico, la Cour Suprême des États-Unis prépare l’abrogation de l’arrêt Roe v. Wade, rendu en 1973, qui garantit dans la loi le droit à l’avortement au nom du droit constitutionnel à la vie privée des femmes. Autrement dit, la plus haute juridiction états-unienne, composée de neuf juges nommés à vie par le président des États-Unis, est sur le point de remettre en cause la pierre angulaire du droit des femmes à disposer de leur corps.

En effet, le site révèle une version provisoire d’un projet de décision, qui aurait déjà été adopté par la majorité des juges de la Cour et devrait être finalisé début juillet, dans laquelle le juge conservateur Samuel Alito explique notamment que : « Roe était erronée de façon flagrante depuis l’origine. Son raisonnement était incroyablement faible, et la décision a eu des conséquences très dommageables. ». À charge contre cet arrêt historique, et plus largement contre l’ensemble du dispositif de protection constitutionnelle du droit à l’IVG qui en découle, ce document cherche à établir que l’avortement n’est pas « profondément ancré dans l’histoire et les traditions de la nation ». Comme le rapporte Mark Joseph Stern, «  le projet d’opinion d’Alito critique explicitement [l’arrêt] Lawrence v. Texas (légalisant la sodomie) et Obergefell v. Hodges (légalisant le mariage homosexuel). Il dit que, comme l’avortement, ces décisions protègent des droits factices qui ne sont pas ’profondément enracinés dans l’histoire’."

Il s’agit là d’un texte idéologique profondément réactionnaire, chargé symboliquement contre les acquis du mouvement féministe états-unien et international. L’abrogation de Roe v. Wade entérinerait la fin de la protection constitutionnelle du droit à l’avortement et renverrait donc à chaque État fédéré la responsabilité de légiférer en la matière sur son territoire, ce qui ouvrirait la voie à l’interdiction pure et simple du droit d’avorter dans les États les plus conservateurs qui attendent depuis longtemps cette décision. Les personnes précaires qui voudraient avorter devraient alors soit y renoncer et avoir un enfant contre leur gré, en s’exposant à des situations violentes pour la mère et pour l’enfant, soit avorter clandestinement et donc mettre leur vie en danger.

L’aboutissement d’une offensive réactionnaire de longue date

Cette décision de la Cour Suprême vient parachever une longue série d’attaques, initiée dès les lendemains de l’arrêt de 1973 par les secteurs les plus conservateurs de la classe dirigeante et ses relais évangélistes dans la société états-unienne. Ne pouvant obtenir l’interdiction du droit d’avorter, ces derniers ont cherché par tous les moyens à mettre en place des restrictions toujours plus contraignantes dans différentes sphères de l’État, comme le rappelle L’Obs : limitation des lieux spécifiques de prise en charge ou du nombre de médecins en capacité de pratiquer un avortement, protection des manifestations quotidiennes contre l’avortement devant les cliniques spécialisées, entraves au remboursement de l’avortement etc. Les femmes les plus précaires, qui n’ont accès le plus souvent qu’à la santé publique dans les limites du territoire, sont les premières touchées par la violence physique, psychologique et sociale de ces dispositifs, développés dès le début des années 1980 en particulier dans les États du Sud.

Dans ce contexte, depuis le début des années 2010, les restrictions ont augmentées. D’après les données du Guttmacher Institute, 483 nouvelles restrictions du droit d’avortement ont été mises en place entre le début de l’année 2011 et juillet 2019, soit 40% des restrictions depuis l’arrêt Roe v. Wade en 1973. En 2017, 89% des comtés du pays n’avaient pas de clinique pratiquant l’avortement, un chiffre qui s’élève alors à 96% au Texas. La campagne de Trump contre l’avortement, ainsi que la nomination par lui même de trois juges particulièrement conservateurs à la Cour Suprême, préparaient déjà le terrain de l’abrogation de Roe v. Wade réclamée de longue date par les secteurs évangélistes.

À la fin de l’été 2021, après plusieurs essais dans les Etats du Missouri, du Kentucky, de l’Iowa ou encore de l’Arkansas, le Texas adoptait, avec le consentement de la Cour Suprême, une loi restreignant l’avortement à un délai de six semaines de grossesse, soit un stade où l’on ne se rend généralement pas encore compte que l’on est enceinte. Cette loi a assorti cette mesure profondément patriarcale d’une prime offerte aux citoyens qui dénonceraient toute personne qui voudrait avorter ou aiderait une personne à avorter au-delà de six semaines. Il était alors estimé que cette mesure allait barrer la route à 85% des avortements pratiqués au Texas. "Il est ainsi clair que la suppression de l’amendement Roe v. Wade ferait l’effet d’un départ de feu auquel rien n’empêchera de dévaster l’ensemble des acquis des mouvements féministes américains.", écrivions-nous alors.

Dernièrement, la pression s’est faite encore plus forte avec l’adoption en mars au Missouri d’une proposition visant à empêcher les femmes d’aller avorter dans un autre Etat où l’IVG pourrait être plus accessible, sous peine de poursuites judiciaires. En avril dernier, c’est l’Oklahoma qui procédait à une quasi-interdiction en décidant de pénaliser les professionnels de santé qui pratiquent l’avortement. Au total, toujours selon le Guttmacher Institutute, près de la moitié des États ont déjà mis en place des interdictions strictes de l’avortement qui entreront en vigueur dès que l’arrêt Roe sera annulé - ce que l’on appelle des "trigger bans". Le projet de la Cour Suprême d’annuler la protection constitutionnelle du droit à l’avortement répond donc directement à ces décisions.

Contre la Cour Suprême, aucune confiance en Biden ! La nécessité d’une mobilisation féministe sur le terrain de la lutte des classes

Comme l’écrivent nos camarades de Left Voice à propos de la Cour Suprême : "L’institution des propriétaires d’esclaves, qui s’est prononcée contre les droits des esclaves, en faveur de la stérilisation forcée des handicapés, en faveur de l’internement des Américains d’origine japonaise, et qui a placé George W. Bush à la Maison Blanche contre la volonté de la majorité des électeurs, a, une fois de plus, montré son vrai visage."

La décision de la Cour Suprême, si elle est confirmée, interviendra sous l’administration Biden alors qu’il y a une majorité du Parti Démocrate au Congrès, l’équivalent du Parlement aux États-Unis. "Alors que certains libéraux réagissent déjà à cette situation en appelant les gens à voter lors des prochaines élections de mi-mandat [...] il ne devrait échapper à personne que le gouvernement fédéral dirigé par les démocrates n’a pas réussi à faire passer la moindre loi défendant le droit à l’avortement. C’est le cas des gouvernements démocrates précédents, y compris la supermajorité de l’administration Obama.", rappelle Left Voice.

C’est en réaction au mouvement féministe international, fort de #MeToo et de ses victoires récentes dans la lutte pour le droit à l’avortement - en Argentine, en Équateur, au Mexique ou encore en Colombie - que les secteurs les plus réactionnaires de la classe dirigeante, notamment évangélistes, se mobilisent aux États-Unis, mais aussi récemment en Pologne ou encore au Brésil. Or c’est justement par le mouvement féministe, et sur le terrain de la lutte des classes, qu’il est possible de les faire reculer. Comme l’écrit Left Voice : "Seul un mouvement de masse, luttant dans les rues et sur nos lieux de travail, pourra protéger le droit à l’avortement et se défendre contre la remise en question continue de ce droit. Nous avons besoin de toute urgence de mobilisations de masse, et les travailleurs doivent appeler leurs syndicats à se joindre à la lutte. La puissance syndicale nouvellement réveillée doit être solidaire du mouvement pour la protection du droit à l’avortement."


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