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Facs et lycées en grève. Ce que bloquer veut dire

Comme à chaque mobilisation de la jeunesse, la question du blocage des facs et des lycées revient sur le devant de la scène. Bloqueurs contre anti-bloqueurs, la semaine qui commence sera certainement marquée par cette rivalité traditionnelle. Sarah Carah

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Pour l’instant, la mobilisation contre la loi Travail n’a pas vu naître les petits escadrons autours de l’UNI (syndicat étudiant de droite) que l’on avait pu voir fleurir sur les facs lors des derniers mouvements étudiants, avec leurs autocollants « Stop la grève » ou autres joyeusetés. Pour autant, le débat a d’ores et déjà commencé sur les universités où des AG ont voté le blocage : pour un certain nombre d’étudiants et étudiantes, y compris parmi ceux et celles opposés à la loi Travail, les questionnements persistent sur cette méthode de lutte.

Le blocage comme méthode de grève active

Contrairement à ceux et celles qui travaillent déjà, les lycéens et étudiants, de par leur statut, ne peuvent pas arrêter la production de richesses ou le transport des marchandises. Si tous les étudiants et lycéens du pays se mettaient simplement en grève en cessant d’aller en cours, on voit bien que cela n’aurait que peu d’impact sur le gouvernement ou sur les patrons. C’est pourquoi pour les facs et les lycées, la grève est nécessairement une grève active. C’est dans ce cadre que se pose la question du blocage et de l’occupation qui sont désormais des traditions ancrées dans le mouvement de la jeunesse scolarisée. Bloquer la fac ou le lycée, c’est rendre possible la grève, en permettant à chacun de ne pas subir les pressions des professeurs, des notes et des partiels et en rendant possible l’organisation concrète de la mobilisation.

Alors certes, le blocage impose de rater les cours, même pour ceux qui ne sont pas mobilisés. De la même manière que la grève des chauffeurs de bus impose de ne pas prendre le bus, même pour les non-grévistes. La grève, qu’elle soit étudiante ou travailleuse, est en effet un moment d’inversion du rapport de force : alors que patrons et gouvernements nous obligent à travailler tous les jours pour les profits d’une minorité, la grève est la méthode par laquelle les règles du jeu sont inversées, et c’est les travailleurs et les étudiants qui s’opposent aux projets imposés par le patronat et/ou le gouvernement qui décident. Si la « démocratie » dans laquelle nous vivons n’était en réalité pas qu’une parodie de démocratie, si la voix du patron de Carrefour avait le même poids que celle d’une caissière du magasin, si la réponse du gouvernement à nos manifestations n’étaient pas la matraque du CRS, et si, enfin, le gouvernement d’aujourd’hui n’était pas en train de remettre en cause tous les droits des travailleurs par son projet de loi, alors certainement la grève aurait peu de sens. Mais pour le faire plier, la grève est notre seule arme.

Dans le cadre de la mobilisation contre la loi Travail, faire grève et bloquer sa fac ou son lycée, c’est faire grève pour son avenir de travailleur ou travailleuse. À quoi bon avoir un diplôme (censé nous protéger) si ce sont désormais les « négociations » avec son patron qui vont déterminer nos conditions de travail, et non les conventions collectives ? À quoi bon étudier si c’est pour se destiner à une vie de misère ? À quoi bon essayer de comprendre le monde si ce n’est pas pour le changer ?

« Nous voulons être entendus »

Bloquer sa fac ou son lycée, ce n’est pas seulement sortir quelques poubelles, monter dessus et crier trois slogans comme cherchent à le faire croire les médias dominants avec tout le mépris qu’ils adressent à la jeunesse qui se politise. Bloquer, c’est tout d’abord utiliser le seul moyen de pression que l’on a. En effet, comment par exemple faire entendre sa voix lorsqu’on est lycéen ? Au-delà de l’absence de droit de vote (droit certes bien illusoire, mais néanmoins élémentaire), il y a aussi une multitude de droits auxquels on n’a pas accès : sur la plupart des lycées, il n’y a aucun droit de réunion ou même d’affichage, et les quelques associations ou journaux lycéens qui ont pu voir le jour sont surveillés de près par les directions d’établissements, sans compter qu’il n’y a bien souvent aucun droit à la critique dans les salles de cours, sous peine de faire baisser sa moyenne, ou pire. À cela s’est ajouté ces derniers mois, suite aux attentats de l’année 2015, un renforcement de l’encadrement idéologique des lycéens, pour pister dès le plus jeune âge les « phénomènes de radicalisation ». Ainsi, bloquer son bahut, c’est bloquer une caserne, et affirmer que l’on souhaite en sortir. Le témoignage d’Amina, élève en 1ère S dans le lycée Maurice Ravel à Paris interrogée par Le Monde, est symptomatique de cette situation : « Nous voulons être entendus, résume-t-elle. Nous voulons que les gens nous voient. Nous voulons exister. ».

Sur les facs, s’il existe (encore) quelques faibles droits démocratiques, le blocage reste néanmoins la meilleure manière de faire baisser pendant un temps la pression universitaire et permettre aux étudiants de se mobiliser. Finis les notes, les partiels, les oraux, finie aussi la compétition entre tous et toutes, qui pèse énormément sur la vie sociale à la fac en ces temps de chômage de masse. Bien plus souvent que pour les lycées, les blocages de facs s’accompagnent d’une occupation, qui permet de réutiliser l’espace des campus pour organiser la mobilisation, mais aussi de tenter d’autres formes d’apprentissage, où profs et étudiants mobilisés sont mis sur un pied d’égalité.

Rapport de force et stratégie : ne pas bloquer pour bloquer

Le blocage, comme nous l’avons vu, est une méthode de lutte, un moyen de pression. Ce n’est donc pas une fin en soi, bien au contraire. Ainsi, bloquer trop vite ou trop tôt peut se révéler désastreux. Si à l’intérieur de la fac ou du lycée les étudiants ont peu conscience de ce qui se joue dans la mobilisation et ne sont pas au courant des enjeux, se retrouver devant leur établissement bloqué apparemment « sans raison » peut être contre-productif. Dans le même sens, même si cela peut avoir l’apparence de la radicalité, bloquer tous les jours peut parfois épuiser le mouvement. Et à l’inverse, cesser le blocage peut donner l’apparence d’un recul, et ne pas le lancer assez vite peut empêcher de construire la grève. De la même manière que dans les usines et les entreprises, les méthodes de lutte doivent être pensées en fonction du rapport de force, c’est-à-dire de l’estimation des forces (force matérielle et même morale, fatigue, conviction, etc.) des deux camps en présence.

Par ailleurs, le blocage peut avoir différente formes. Des poubelles simplement entassées à l’occupation organisée de la fac, tout est possible. À Paris 8, les étudiants mobilisés ont d’ailleurs fait la preuve de leur créativité en organisant un blocage où étaient organisés des « ateliers » une fois les portes de la fac fermées : un atelier vidéo, un atelier pancarte et un atelier « explication de la loi ». À chaque fois, l’idée était de discuter avec les étudiants qui n’étaient pas encore mobilisés, pour les convaincre de la nécessité de la grève et du blocage.

Le blocage doit donc servir les intérêts du mouvement, et ne doit pas être considéré comme un « raccourci » vers la victoire. Il impose ainsi, de ce fait, la nécessité pour les étudiants et lycéens mobilisés de penser le mouvement dans son ensemble, au niveau national, et non rivé sur sa seule fac. Pour gagner, il va falloir faire un plan conscient, et ainsi mettre en échec les projets du gouvernement et du patronat, qui, pour l’instant, sont bien plus organisés que nous.


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