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FinCEN Files : Pour les capitalistes, l’argent n’a pas d’odeur

Les plus grandes banques mondiales sont des machines à blanchir l’argent sale. Nouveau scandale financier, nouveau coup de tonnerre : une enquête internationale menée par un consortium de journalistes d’investigation rend publique le blanchiment de sommes énormes par les grandes banques. Les documents dévoilés ce dimanche montrent que les banques s’accommodent sans problème du blanchiment d’argent : ce sont des milliards de dollars d’argent sale qui circulent librement et en toute impunité. Après les Panama Papers et les Paradise Papers, une affaire qui met à nu les rouages d’un capitalisme dans lequel l’argent, tant qu’il circule, n’a pas d’odeur.

Adèle Chotsky

22 septembre 2020

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C’est un nouveau scandale financier qui s’ouvre, avec une affaire qui montre encore une fois que derrière les discours et les réglementations, c’est le secret qui règne sous le capitalisme, et que les grandes banques ferment volontiers les yeux sur l’argent qu’elles brassent.

L’enquête du ICIJ (Consortium international des journalistes d’investigation) dévoilée ce dimanche, est basée sur les « rapports d’activités suspecte » (SAR, Suspicious activity report) que les banques américaines sont tenues d’adresser quand elle détectent des transfert de fonds douteux au service de renseignement financier américain, le FinCEN (Financial Crime Enforcement Network). En France, un équivalent existe, la cellule anti-blanchiment Tracfin, du Ministère de l’économie et des finances, auquel les banques transmettent également leurs déclarations de soupçon.
D’où le nom de ce nouveau scandale, les FinCEN Files, nommé d’après ce service au rôle majeur dans la lutte mondiale contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Ce sont d’abord 2100 de ces documents confidentiels qui sont obtenus par le media américain BuzzFeed News, qui les partage alors avec l’ICIJ. Celui-ci a alors constitué une équipe de plus de 400 journalistes travaillant pour les organes de presse de 88 pays pour les analyser et poursuivre l’investigation.

Ce qu’affichent au grand jour ces documents, ce sont les sommes monumentales d’argent sale circulant et étant blanchis grâce aux grandes banques. JPMorgan Chase, HSBC, Standard Chartered, la Deustche Bank et Bank of New York Mellon : cinq grandes banques visées, notamment, et ce ne sont pas les seules, qui sont au cœur des transferts de fonds liés à la drogue, la corruption, à la fraude, au crime organisé, et au terrorisme. Après avoir rédigé leurs « rapports d’activité suspecte », ces banques ont continué tranquillement à faire transiter ces capitaux criminels présumés, y compris après avoir été poursuivies ou condamnées pour faute financière.

Les FinCEN Files ont permis à ces journalistes d’identifier 2000 milliards de dollars de transactions suspectes qui ont transité entre 2000 et 2017 par les plus grandes institutions bancaires du monde.
Ce chiffre énorme, d’autant plus écœurant dans une période où s’ouvre une crise économique d’ampleur que les plus pauvres seront les premiers à payer, a été identifié dans cet ensemble de document. Il n’est qu’une poussière dans l’accumulation d’argent sale qui circule dans les banques du monde entier, car ces fichiers du FinCEN ne représentent qu’à peine 0,02 % des plus de 12 millions de déclarations d’activités suspectes notées par les institutions financières entre 2011 et 2017

L’ironie de cette histoire, c’est d’abord l’hypocrisie même du système de signalement de ces « activités suspectes », qui permet en fait aux grandes banques de faire des déclarations d’intention, de proclamer qu’elles sont à la pointe de la lutte contre le blanchiment d’argent. Car ces documents confidentiels qui sont compilés par les banques et partagés au gouvernement américain fonctionnent finalement comme une véritable régulation de ces pratiques. État et capitalistes marchent main dans la main dans le respect le plus stricte des procédures, avec des autorités américaines qui agitent parfois pour la forme des amendes et des menaces de poursuites pénales.
Deutsche Bank, en réaction aux révélations du Consortium, a ainsi assuré dimanche dans un communiqué que ces informations étaient déjà « bien connues » de ses régulateurs et dit « avoir consacré d’importantes ressources au renforcement de ses contrôles » et « être extrêmement attentive au respect de (ses) responsabilités et de (ses) obligations ».

Tout va donc pour le mieux dans la plus grande transparence et l’impunité la plus totale.
De la même manière, la plus grande banque d’Europe, HSBC, a admis en 2012 avoir blanchi au moins 881 millions de dollars pour le compte des cartels de la drogue en Amérique latine. L’accord avec les procureurs fait verser à la banque 1,9 milliard de dollars contre la promesse de suspendre les poursuites engagées, puis de les abandonner au bout de cinq ans si HSBC « tenait son engagement » à lutter contre l’argent sale. Ce qui n’est qu’un vœu pieu sera montré par les FinCEN Files, HSBC ayant continué à transférer de l’argent douteux, avec l’absolution des autorités américaines qui lui permettent en 2017 d’annoncer que la banque a « respecté tous ses engagements ».

Le secret bancaire, règle d’or du capitalisme, s’illustre ici dans un exemple des plus éclatants. Chez la Société Générale, une des principales banques françaises : alors que sa filiale américaine s’inquiète d’activités suspectes auprès de ses filiales à Monaco et en Suisse, celles-ci refusent de donner des informations à leur propres collègues. Sollicitée par les journalistes d’investigation sur le profil « à risque » de plusieurs clients, le groupe bancaire invoque « le secret professionnel » et ajoute que « les banques ne peuvent faire aucun commentaire sur les rapports d’activité suspectes […] étant tenues à la plus stricte confidentialité concernant ces données. ».

Un « secret » bien connu des banquiers comme des autorités, et surtout bien utile lorsqu’il s’agit de ne surtout pas entraver ces flots d’argents sale.
La nature confidentielle des documents eux-mêmes permet aux banques de se dédouaner des opérations financières douteuses en « signalant » leur suspicion aux autorités. Face à cela, il ne sert à rien de réclamer des règles « moins laxistes » : ce ne sont pas des défaillances de la réglementation mais bien la réglementation elle-même qui est toute entière façonnée pour correspondre aux besoins des banques.

En 2016, le Consortium international des journalistes d’investigation avait déjà mis sur pied une équipe de journalistes de 76 pays différents pour travailler sur les documents publiés sous le nom de Panama Papers, qui révélaient l’ampleur de l’évasion fiscale et le rôle des banques dedans. Quelques années plus tard, c’était au tour des Paradise Papers, à nouveau mis au jour par ce consortium de journalistes. Des scandales financiers qui suscitent l’indignation un temps, avant que la vague ne retombe. Les banques incriminées se défendent en disant respecter la législation en vigueur et en jurant leurs grands dieux qu’elles font des efforts pour combattre les crimes financiers.

Après des affaires qui avaient mis à nu les chiffres colossaux de l’évasion fiscale, on a là sous les yeux à quel point le capitalisme n’est pas difficile en matière de capitaux. Manœuvres frauduleuses de grands groupes, montages financiers permettant des vols caractérisés, grosses sommes d’argent impliquant des hommes politiques corrompus : tant que l’argent circule, tout roule !

Au-delà d’une simple question morale, ce sont aussi et surtout les rouages d’un système qui s’assoie sur nos vies pour ses profits qui sont révélés. Car si les banques sont une pièce maîtresse dans le blanchiment d’argent de la fraude, quid de l’argent « propre » de tout un système basé sur l’exploitation d’une majorité de la population et sur l’accumulation sans limite du capital.

À l’heure où les préfectures de police françaises se mettent en scène lors de leurs opérations de saisies de drogues dans les quartiers populaires – comme lors de la grande comédie d’une descente de police à Grenoble après le simple tournage d’un clip de rap (https://www.revolutionpermanente.fr/Grenoble-apres-la-descente-de-police-pour-un-simple-clip-de-rap-la-justice-s-acharne-et-met-en), à l’heure où « l’ensauvagement de la société » est martelé par le gouvernement français ou qu’un Trump qualifie aux USA les manifestations anti-racistes de « terrorisme intérieur » (https://www.revolutionpermanente.fr/Provocation-A-Kenosha-Trump-defend-la-police-et-qualifie-la-mobilisation-de-terrorisme-interieur), le scandale des FinCEN Files montre de manière éclatante les dessous d’un système capitaliste pourri jusqu’à la moelle. Un système où les professionnels du banditisme sont bien les criminels en col blanc, non seulement jamais inquiétés mais surtout véritable pierre angulaire d’une machine à fric qui tourne à plein régime.

Face aux manœuvres véreuses des grandes banques, aux habiles placement et autres « optimisations » des grands groupes capitalistes, face à l’impunité qui leur est laissé par des États à leur service, il apparaît comme essentiel de porter un programme qui défende les intérêts des travailleurs à l’échelle internationale. En ce sens, la fin du secret bancaire et commercial est une de nos revendications centrales, en tant que marxistes révolutionnaires. Au moment des Panama Papers en 2016, nous écrivions « Alors que dans notre société on va jusqu’à discuter publiquement de l’augmentation, au centime près, du salaire d’un ouvrier ou d’un employé, le secret le plus absolu assiste les capitalistes pour engranger ses millions. » Remarque qui se revérifie de manière criante dans une période de crise sanitaire et économique, dont les capitalistes, tel que le patron d’Amazon, ont tiré profit au détriment de la santé de millions de travailleurs. Cet argent là est tout aussi sale car il est basé sur l’exploitation de celles et ceux qui se sont retrouvés en première ligne face à l’épidémie de Covid-19.
Cette revendication est étroitement liée à celle de la nationalisation du secteur bancaire et de la création, sous contrôle ouvrier, de banques d’État uniques.


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