Trotsky - Histoire

Fondation de la IV Internationale en 1938 : la nécessité d’un parti mondial pour la révolution socialiste

Daniel Lencina

Fondation de la IV Internationale en 1938 : la nécessité d’un parti mondial pour la révolution socialiste

Daniel Lencina

C’est près de Paris le 3 septembre 1938 que la Quatrième Internationale fut fondée suite à la persécution, aux calomnies et aux assassinats orchestrés par le stalinisme. Elle s’est dressée comme héritière des meilleures traditions révolutionnaires des trois internationales qui l’ont précédée.

Cet article a été originalement publié ici.

Avec le mot d’ordre de lutte « Prolétaires de tous les pays, unissons-nous ! » Le Manifeste du parti communiste rédigé par Marx et Engels en 1848 a doté le mouvement ouvrier d’une stratégie de lutte pour le règne de la liberté et de l’abondance ; la société communiste née de la transformation révolutionnaire de la société contemporaine.

Depuis, une continuité révolutionnaire basée sur le Manifeste du parti communiste s’est mise en place donnant naissance à Quatre internationales avec l’objectif « de monter à l’assaut du ciel » et de mettre toutes les ressources de la technique, la nature et les grandes découvertes scientifiques au service de l’émancipation des travailleurs et des opprimés dans le monde entier.

Le premier pas a été fait par l’Association internationale des travailleurs (AIT) en 1864, qui a diffusé la solidarité internationale dans le mouvement ouvrier et a coordonné ses luttes jusqu’à la Commune de Paris en 1871, qu’elle a fermement soutenue. L’une des leçons de la Commune fut que le gouvernement des travailleurs (de type communal) était le plus efficace pour la grande majorité de la population exploitée et opprimée. Et qu’il n’était donc pas nécessaire d’avoir des politiciens « de profession » pour diriger l’État (devenu Etat ouvrier). Ainsi, tous les fonctionnaires de la Commune gagnaient le salaire moyen d’un ouvrier du rang et pouvaient être révocables à tout moment s’ils ne représentaient pas les intérêts des travailleurs. Suite à la défaite de la Commune, l’AIT s’est dissoute bien qu’un grand pas pour le mouvement ouvrier ait déjà été fait.

En 1889, la Deuxième Internationale est fondée à Paris. L’une de ses premières résolutions a été de proclamer le 1er mai comme « journée internationale des travailleurs » et d’appuyer la lutte pour la journée de 8 heures, un slogan de lutte qui a pris racine chez les ouvriers du monde entier et qui perdure encore de nos jours. Elle a obtenu de grands succès comme la création de partis socialistes, la mise en place de grands syndicats industriels et l’obtention de dizaines de parlementaires. Cependant, elle n’a pas réussi à passer l’épreuve brûlante de la Première Guerre mondiale. Le 4 août 1914, la social-démocratie allemande a voté au parlement les crédits de guerre soutenant la boucherie capitaliste.

Au milieu de la guerre, la révolution la plus profonde de tous les temps éclate : la révolution russe de 1917. Sous le feu ardant de cette révolution, la Troisième Internationale est fondée, prenant le relai de la précédente non seulement pour la construction des grands partis ouvriers, mais aussi pour que ceux-ci soient orientés vers la lutte pour la conquête du gouvernement des travailleurs à l’échelle mondiale, seul remède à la maladie mortelle qu’est le "capitalisme". Ses quatre premiers congrès, dirigés par Lénine et Trotsky, ont été une véritable école de stratégie révolutionnaire.

Mais l’absence de nouvelles victoires révolutionnaires dans les pays centraux de l’Europe a préparé les conditions pour que la révolution russe reste isolée. Peu avant sa mort, Lénine a proposé à Trotsky de combattre ensemble la bureaucratie incarnée par la vieille garde du parti communiste, en particulier la troïka dirigée par Zinoviev, Kamenev et Staline. La défaite de la révolution allemande en 1923 et la mort de Lénine en 1924 donnent confiance à la Troïka. Luttant contre cette dégénérescence bureaucratique, l’Opposition de gauche est née. Mais la Troïka a répondu au débat par une campagne de répression et persécution contre les opposants qui représentaient une importante minorité au sein du parti.

Plus tard, en 1926, l’Opposition Unifiée est formée pour affronter la direction du parti incarnée par Staline et Boukharine. L’Opposition Unifiée a présenté une plateforme politique commune lors d’une réunion du Comité central, exigeant une augmentation du salaire des travailleurs en raison de la crise économique et a appelé à un changement du régime fiscal afin qu’il retombe sur les secteurs les plus riches des campagnes et des villes, tout en exigeant une planification scientifique de l’industrialisation afin de renforcer les fondements socialistes de l’État. L’Opposition Unifiée a été réduite au silence et, en novembre de la même année, elle a été expulsée du parti. Cette décision fait scandale aux yeux de milliers de militants ouvriers, en janvier 1927, la GPU (police politique de Staline) fait savoir à Trotsky que, sous l’accusation de "contre-révolutionnaire", il sera déporté à Alma Ata, près de la frontière avec la Chine, et avec lui des milliers de militants et sympathisants de l’opposition sont transférés et déportés, portant un coup dur à leur combat.

De la mort de l’Internationale communiste à la fondation d’une nouvelle Internationale

Après son exil en Turquie, Trotsky donnait l’impulsion à la création de l’Opposition de gauche internationale, car ses positions rencontraient de la sympathie et étaient partagées par les membres et les dirigeants les plus divers des partis de l’opposition de gauche. Le but de cette période n’était pas de fonder une nouvelle internationale, mais de lutter jusqu’à ce que la Troisième Internationale reprenne la voie révolutionnaire alors que la chaleur de la révolution d’octobre 1917 rayonnait encore (malgré la pseudo-théorie de Staline du "socialisme dans un seul pays" qui renonçait à toute expérience internationaliste depuis l’époque du Manifeste communiste jusqu’à la révolution russe elle-même).

Mais l’égratignure s’est transformée en gangrène. En Allemagne, le 5 mars 1933, Hitler - qui avait déjà été nommé chancelier - et le parti nazi ont remporté en masse les élections. La victoire nazie a été obtenue à cause du sectarisme de l’Internationale Communiste (IC) et son refus du Front unique ouvrier avec le Parti social-démocrate pour écraser le fascisme. Cela a ouvert la voie à la victoire nazie. Ce fait revient à la trahison de la social-démocratie pendant la Première Guerre mondiale. Aucun parti composant la IIIe Internationale n’a réagi.

Trotsky soutenait que face à une telle trahison, le prolétariat allemand se soulèverait à nouveau, mais que le stalinisme ne se relèverait jamais. Ce nouveau scénario conduit l’Opposition de Gauche à faire un pas de plus dans le combat et se propose d’avancer vers la construction de nouveaux partis révolutionnaires et d’une nouvelle internationale. De nombreux groupes et petits partis restent en dehors de l’IC, oscillant entre politique réformiste et révolutionnaire, qui à leur tour expriment l’état d’esprit des masses à l’époque de la montée du fascisme en Europe. Trotsky définit ce phénomène comme du "centrisme".

Plus tard, les trotskystes ont encouragé la formation d’un bloc, connu sous le nom de Bloc des quatre. L’accord signé par l’Opposition de Gauche Internationale avec les groupes centristes, deux groupes néerlandais, le RSP et l’OSP, et le SAP allemand, contenait des points programmatiques et une méthode commune pour explorer les possibilités d’unification dans une même organisation. Le dénominateur commun de ce bloc est la lutte irréconciliable contre le stalinisme et la social-démocratie, afin de construire une nouvelle internationale pour conduire à la révolution socialiste. Trotsky considère que faire l’expérience d’une pratique commune est la seule façon de séparer les centristes des révolutionnaires et d’avancer dans le regroupement de ces derniers.

Ainsi, l’Opposition de Gauche Internationale change de nom pour devenir la Ligue communiste internationale (LCI) et se prépare à aller de l’avant. En mai 1935, Trotsky publie la "Lettre ouverte pour la création de la Quatrième Internationale". Du 29 au 31 juillet 1936, la Conférence internationale se réunit clandestinement à Paris.

La toile de fond de la conférence est le feu brûlant des ouvriers et des paysans espagnols qui donnent l’impulsion à la guerre civile. Lors de la conférence, le Mouvement pour la Quatrième Internationale a été créé et la thèse centrale discutée est celle de la nouvelle montée révolutionnaire et les tâches de la Quatrième Internationale. La conférence analyse la situation mondiale, les politiques des directions de la classe ouvrière, le Front populaire et la politique internationale de l’URSS. Et elle conclut que la clé du sort des processus révolutionnaires en cours en Europe "est la question de la direction révolutionnaire".

Sur la base de ces expériences, Trotsky, en 1937, depuis son exil au Mexique, s’est attelé à la tâche la plus importante de sa vie, plus importante encore que d’avoir mené à bien la victoire de l’insurrection d’octobre 1917 et vaincu les 14 armées impérialistes en défense de la révolution. La tâche à laquelle était confronté le révolutionnaire le plus persécuté de la planète était la construction d’un parti mondial de la révolution socialiste : la Quatrième Internationale.

Le grand biographe de Trotsky, Isaac Deutscher (avec sa trilogie Le Prophète armé, Le Prophète désarmé et Le Prophète Hors la loi), a soutenu que la construction de la Quatrième Internationale était un acte "volontariste" car il n’y a pas eu de poussée massive comme lors de la création de la Troisième Internationale. Mais pour Trotsky et la plupart de ses partisans, il fallait se regrouper pour se défendre de la première vague de "patriotisme" que la guerre allait déclencher et préparer les révolutions futures que les conditions mêmes de la guerre allaient développer.

Le 3 septembre 1938, la nouvelle Internationale est fondée dans la banlieue de Paris : en l’absence de Trotsky, avec son fils et camarade León Sedov, assassiné par les agents de Staline et avec l’organisateur de la conférence Rudolf Klement également assassiné par la police stalinienne (son corps a été retrouvé dans la Seine). C’est dans ces conditions difficiles que la Quatrième Internationale est née. Le document essentiel de sa fondation est le Programme de transition. Il établit un "pont" entre la conscience actuelle du mouvement ouvrier et des masses opprimées et la résolution définitive de leurs revendications, qui ne peut être obtenue que par un gouvernement ouvrier et populaire basé sur les organes d’auto-détermination des masses.

Bien qu’il ne s’agisse pas d’un programme terminé mais défini plutôt comme un manifeste programmatique - écrit pour le scénario de "crises, guerres et révolutions" - beaucoup de ses mots d’ordre sont d’actualité pour penser les luttes dans une perspective anticapitaliste et révolutionnaire, comme l’"ouverture des livres de compte" et le "contrôle ouvrier de la production" utilisés par les travailleurs de Zanon et Donnelley en Argentine, pour faire place à la gestion ouvrière directe lorsque les patrons avaient l’intention de fermer ces usines.

Enfin, nous illustrons avec le programme de transition qui se réfère aux jeunes et aux femmes qui travaillent :

La IV° Internationale prête une attention exceptionnelle à la jeune génération du prolétariat. Par toute sa politique, elle s’efforce d’inspirer à la jeunesse confiance dans ses propres forces et dans son avenir. Seuls, l’enthousiasme frais et l’esprit offensif de la jeunesse peuvent assurer les premiers succès dans la lutte ; seuls, ces succès peuvent faire revenir dans la voie de la révolution les meilleurs éléments de la vieille génération. Il en fut toujours ainsi, il en sera ainsi.
Toutes les organisations opportunistes, par leur nature même, concentrent principalement leur attention sur les couches supérieures de la classe ouvrière, et, par conséquent, ignorent aussi bien la jeunesse que les femmes travailleuses. Or l’époque du déclin capitaliste porte les coups les plus durs à la femme, tant comme salariée que comme ménagère. Les sections de la IV° Internationale doivent chercher appui dans les couches les plus opprimées de la classe ouvrière, et, par conséquent, chez les femmes travailleuses. Elles y trouveront des sources inépuisables de dévouement, d’abnégation et d’esprit de sacrifice.

A BAS LE BUREAUCRATISME ET LE CARRIÉRISME !

PLACE À LA JEUNESSE, PLACE AUX FEMMES TRAVAILLEUSES !

Ce sont là des mots d’ordre inscrits sur le drapeau de la IV° Internationale.

Traduction : Elise Duvel

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