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Grèce. Des milliers de jeunes dans la rue contre un projet de loi instaurant une police spéciale dans les universités

Jeudi soir, le parlement grec a voté un texte de loi instaurant une police spéciale pour patrouiller dans les universités, constituée de mille policiers munis de matraques et de sprays anti-agression. Mais la jeunesse grecque reste combative et des milliers d’étudiants continuent de sortir dans les rues depuis un mois.

Irène Karalis

12 février 2021

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Crédits photo : Anonyme Citoyen
 
Jeudi soir, le parlement grec a voté un texte de loi instaurant une police spéciale habilitée à patrouiller sur les campus universitaires, constituée de mille policiers munis de matraques et de sprays anti-agression. Le projet prévoit aussi de placer des caméras de surveillance et de mettre en place un conseil disciplinaire où professeurs et policiers pourront discuter de sanctions en cas d’actes répréhensibles. Le gouvernement Nouvelle Démocratie (droite), a reçu pour ce projet de loi le soutien du parti d’extrême-droite « Solution grecque » au Parlement.
 
Pour justifier ce projet de loi, Kyriakos Mitsotakis, le premier ministre, a expliqué que « dans nos universités il n’y a pas de place pour la violence ». La « brigade de protection » permettrait de lutter contre « des phénomènes de violence » allant « du vandalisme de bâtiments historiques, au trafic de drogues, de contrefaçons, et même jusqu’à l’agression de recteurs ». Une rhétorique révoltante désormais habituelle pour le gouvernement dans sa lutte contre l’extrême-gauche au service d’une politique de l’ordre depuis le début de son mandat.
 
En réalité, il s’agit bien pour le gouvernement grec de museler la jeunesse. Comme l’explique Maria Kornarakis, étudiante en journalisme, au Monde : « La présence de la police dans les universités va restreindre notre liberté d’expression, l’organisation d’assemblées générales, de manifestations… Cette mesure prise en pleine pandémie de Covid-19 est purement politique pour museler la jeunesse qui est fatiguée de ne pas avoir mis les pieds dans les facs depuis le début de l’année scolaire ! »
 
Une pétition a été signée par mille universitaires pour demander le retrait du texte/ les enseignants-chercheurs expliquent que : « C’est une provocation à un moment où les ressources pour l’éducation, la recherche et les infrastructures sont déjà minimes (…) et qu’elles ont été diminuées pendant plus d’une décennie ». Et en effet, le projet de loi semble encore plus scandaleux lorsque l’on sait que selon le trésor public grec, il prévoit 20 millions d’euros par an pour la création du corps de police spécial pour les universités, quand dans le même temps, le budget annuel de l’enseignement supérieur est de 91,6 millions d’euros.
 

Une loi qui s’inscrit dans la politique sécuritaire de Mitsotakis

 
Ce projet de loi, qui prévoit de donner encore plus de pouvoir à la police, renforçant ainsi l’arsenal répressif du gouvernement grec, s’inscrit dans la droite lignée de la politique sécuritaire du gouvernement Mitsotakis qui, depuis le début de son mandat, a renforcé la politique anti-migratoire de la Grèce, renforcé les effectifs de police et de l’armée et expulsé les squats anarchistes et de migrants dans Athènes.
 
En août 2019, un mois après son entrée en fonction, le gouvernement de Nouvelle Démocratie abolissait déjà la loi de l’asile universitaire qui interdisait à la police d’entrer dans les universités. Cette loi avait été promulguée après la chute de la dictature des colonels en mémoire du soulèvement de Polytechnique du 17 novembre 1973, férocement réprimé par l’armée grecque qui était entrée avec des tanks dans l’École polytechnique, faisant 24 morts.
 
Aujourd’hui, le gouvernement de Mitsotakis ravive par bien des aspects de sa politique ces temps de répression lors de la dictature. En juillet dernier, ce dernier faisait ainsi passer une loi restreignant la liberté de manifester : les manifestations doivent désormais avoir la permission préalable de la police et une personne en assumer la responsabilité. Cette loi permet ainsi à la police de ne pas autoriser une manifestation ou un rassemblement et la personne responsable du rassemblement ou de la manifestation devra répondre pénalement pour tout éventuel « débordement » ou « dégradation ». Aujourd’hui, ce nouveau projet de loi prévoyant un nouveau corps de police spécialement pour les universités vient continuer cette politique sécuritaire.
 

Le gouvernement se prépare à de potentielles explosions sociales

 
En Grèce, la crise économique fait des ravages depuis 13 ans déjà. Les salaires ont été divisés par deux voire trois, les retraites se font de plus en plus petites, et les systèmes de santé et d’éducation se dégradent à vue d’œil. Pour les jeunes du pays, les seules perspectives d’avenir sont le chômage et la misère, et beaucoup d’entre eux ne rêvent que d’une chose : partir à l’étranger.
 
Mais la jeunesse grecque reste combative, comme le montrent les immenses manifestations à Athènes et à Thessalonique, et elle refuse de baisser la tête et d’accepter cet avenir. Depuis un mois, de grosses manifestations ont lieu, et plusieurs milliers d’étudiants ont bravé l’interdiction de manifester imposée à cause de la crise sanitaire. Mercredi notamment, les manifestations ont rassemblé des dizaines de milliers de manifestants qui restent mobilisés.
 

 
À Thessalonique, où des milliers de jeunes ont manifesté, des affrontements ont eu lieu avec la police.
 

Depuis le début du mouvement les manifestations estudiantines sont sévèrement réprimées, avec usage de gaz lacrymogène, déploiement de voltigeurs et de très nombreuses violences policières. Mercredi, 24 étudiants ont été interpellés et sont poursuivis, comme le rapporte EfSyn.

« Pour la énième fois dans la dernière période, avant-hier soir, les couloirs de l’administration générale de la police d’Athènes rappelaient… les urgences de l’hôpital des accidents de la route, alors que la police de M. Chrysochoïdis poursuit une escalade de la violence à l’encontre des manifestants, habituellement interpellés au hasard au milieu de la foule et qui, après plusieurs heures d’épreuves, finissent devant les tribunaux avec une « montagne » d’accusation », dénonce le journal avant de relayer les témoignages d’étudiants interpellés.

L’un d’eux, Nikiforos Zylalis, membre de nKa (Jeunesse de libération communiste) raconte : « la chasse des forces de police a commencé à Omonoia, alors que la marche s’était finie et que les manifestants s’éloignaient. […] Soudainement, nous voyons les gens courir et des motos des équipes DRASI (unité des voltigeurs) se diriger contre les manifestants. Ils voulaient effrayer les étudiants qui avaient participé à la manifestation. On a couru dans les rues alentour et ils continuaient à nous suivre, montant même sur les trottoirs avec les motos. A l’avenue Patision, l’un est descendu et m’a pourchassé en courant, l’autre essayait de me couper la route. J’ai glissé et je suis tombé sur le dos. Il a tenté de me rouler dessus et m’a frappé avec la roue. Alors que j’étais par terre et immobilisé, il est descendu et m’a frappé à coups de poing et coups de pied et m’insultait. Ils m’ont menotté, m’ont dit « tu es arrêté et tu la fermes. Tu verras combien on va te frapper ». […] Pendant environ quatre heures j’ai attendu avec d’autres à la Direction générale de la police d’Athènes, sans savoir s’il s’agissait d’interpellation ou d’arrestation. Beaucoup d’entre nous avions été frappés. Une fille avec l’épaule démise et le crâne ouvert est allée à l’hôpital pour des points de suture, deux heures après en avoir fait la demande et alors qu’elle disait se sentir mal ».

Cette stratégie de répression violente et d’interpellations massives cherche à éviter une extension de la mobilisation et s’inscrit dans la droite lignée de l’offensive sécuritaire du gouvernement Mitsotakis. À l’image du gouvernement français qui a tenté de criminaliser les occupations étudiantes par un amendement à la LPR, le gouvernement grec se prépare ainsi à de potentielles explosions de cette jeunesse, en faisant passer des lois sécuritaires et en renforçant son arsenal répressif. Mais la jeunesse ne compte pas se laisser faire, à l’image de Sotiria Papadopoulou, étudiante en architecture à l’École polytechnique d’Athènes, qui déclarait au Monde : « Malgré la répression policière et les amendes, on ne va pas se taire, nous manifesterons tous les jeudis quoi qu’il arrive. »


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