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Introduction de Daniela Cobet à l'atelier sur la Grèce lors de l'Université d'été du NPA

Grèce. "Nos ennemis ne sont pas seulement à Bruxelles"

Ce par quoi il faut commencer ce débat, c’est par le fait de dire que ce qui vient de se passer en Grèce constitue, avec les processus révolutionnaires arabes, l’évènement politique le plus important de ce début du 20ème siècle. Lors de la fondation du NPA, il y avait une idée assez répandue chez de nombreux militants, selon laquelle les expériences accumulées pendant le 20ème siècle n’étaient plus opératoires pour penser une hypothèse stratégique actuelle.

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Intervention de Daniela Cobet sur la Grèce à l'Université d'été du NPA 2015 - YouTube

Aujourd’hui, néanmoins, toute réflexion sérieuse qui vise à forger une stratégie et une organisation doit donc partir de ces nouvelles expériences pour en tirer un bilan, non seulement sur ce qui s’est passé mais aussi sur ce qu’on a pu dire à un moment ou à un autre sur ces événements.
La victoire électorale de Syriza a suscité un énorme espoir, non seulement chez les travailleurs en Grèce, mais aussi chez tous ceux qui en Europe se battent contre les mesures d’austérité et les conséquences de la crise capitaliste.
Le fait que six mois après, Tsipras, qui a été élu porté par l’espoir des classes populaires dans un affrontement contre les politiques austéritaires, devienne l’homme de la Troika à Athènes, celui qui va appliquer de façon très concrète le plan d’austérité le plus violent de toute l’Europe, un véritable plan de néo-colonisation de la Grèce, doit nous interpeller et nous impose un débat très sérieux.
D’abord nous devons être en capacité d’apporter une explication à des millions de travailleurs qui ont porté leurs espoirs sur Syriza. Et ensuite cette expérience doit nous permettre, en France et ailleurs, de préciser nos outils stratégiques, notre politique de construction de parti.
Dans les débats qui nous ont traversés tout particulièrement lors du dernier Congrès, l’ancienne majorité du NPA, qui a fait de la question de la Grèce un enjeu central, a commis toute une série d’erreurs d’analyse sur lesquelles il nous faut aujourd’hui revenir.
Car que les travailleurs puissent avoir des illusions sur un gouvernement réformiste n’est pas très étonnant dans un contexte où cela faisait de nombreuses années qu’un gouvernement dit de la gauche radicale n’arrivait pas au pouvoir dans un pays européen. Ce qui par contre est davantage étonnant c’est que des anticapitalistes partagent, voire alimentent ces mêmes illusions.
La première erreur qui a été commise, et je reprends en ce sens ce qu’a écrit Guillaume Loïc dans un article récent, c’est d’avoir mis un signe égal entre deux éléments qui sont radicalement différents, à savoir la mobilisation des masses et l’avènement d’un gouvernement dirigé par une organisation réformiste (ayant par ailleurs des liens organiques relativement distendus avec le mouvement de masse).
Le fait d’avoir interprété la victoire électorale de Tsipras comme une sorte de « débouché politique » de la très forte mobilisation, des plus de trente journées de grève générale en Grèce, est une erreur extrêmement importante qui a conduit à une vision très déformée du rapport de forces entre les classes en Grèce. Une vision selon laquelle la victoire de Syriza serait une expression de l’offensive des masses, l’encouragerait et déclencherait de façon quasi-automatique une grande poussée de la lutte de classes, de l’intervention indépendante du mouvement ouvrier. Force est de constater que c’est tout le contraire qui s’est passé.
Et cela n’a pas été un « coup de magie » ou quelque chose de totalement imprévu. Nous pouvons dire au moins qu’au moment de notre Congrès, la constitution d’un gouvernement avec un parti nationaliste bourgeois et réactionnaire tel que l’ANEL, donnait déjà un certain nombre d’éléments pour anticiper ce qui allait se passer.
Mais surtout, le fait que la victoire de Syriza arrive non pas à un moment de poussée du mouvement des masses, mais plutôt de reflux, n’est pas anodin, car une grande partie de ceux qui ont voté pour Tsipras l’ont fait dans l’espoir d’obtenir par les urnes ce qu’ils n’avaient pas réussi à obtenir dans la rue. C’est cela la réalité des faits. En ce sens, plutôt que d’être un accélérateur de la lutte de classes, la victoire de Tsipras a été une sorte de canalisation, de réceptacle d’illusions sur la possibilité de combattre les plans d’austérité. Et cela, non pas par les méthodes de la lutte de classes et de l’intervention indépendante des travailleurs, munis d’une confiance sur leurs propres forces, mais par le biais institutionnel et d’une négociation avec les institutions capitalistes nationales et européennes.
Ensuite, on peut dire que les choses se sont clarifiées relativement vite. Dès fin février nous avons assisté à une première capitulation de Tsipras. Dans la vie on peut se tromper. Mais plus grave que de se tromper c’est de refuser de tirer un bilan des erreurs qu’on a pu commettre. Et à ce moment-là, les camarades de l’ancienne majorité se sont battus au sein de la direction du parti pour qu’on n’appelle pas les choses par leur nom, pour que la résolution qui a été votée ne parle pas de capitulation.
Leur principal argument était de dire que même si la politique menée par Tsipras n’était pas celle qu’on aurait voulue, celui-ci restait un ennemi frontal des institutions capitalistes européennes et qu’il n’était pas « assimilable » à la politique des capitalistes. Vu d’aujourd’hui, alors que, encore une fois Tsipras est devenu l’homme de la Troïka à Athènes, est-ce qu’on peut continuer à dire que cela était juste ? Et pourtant le passé récent était riche d’expériences de ce type, où des dirigeants issus d’organisations ouvrières ont pu être cooptés pour l’application de politiques qu’ils avaient combattues auparavant. Dans le pays dont je viens, le Brésil, nous avons une « petite » expérience sur ce terrain.
En ce sens, la question qui se pose à nous est de savoir si nous allons enfin tirer les leçons et avancer dans notre réflexion stratégique ou bien si nous continuerons à commettre les mêmes erreurs encore et encore. C’est pourquoi il ne s’agit pas seulement ici de définir une politique, mais aussi de tirer un bilan.
Souvent dans le NPA la question des bilans est tabou, on nous explique que ce serait sectaire d’opérer des clivages sur la base de bilans. Mais l’histoire de notre mouvement, le mouvement révolutionnaire n’est-elle pas en partie l’histoire de bilans, y compris de bilans d’échecs ? Comment peut-on appréhender l’histoire du marxisme sans le bilan des révolutions de 1848, de la défaite de la commune de Paris, de la dégénérescence bureaucratique de l’URSS ?
L’heure est en ce sens aux bilans, et force est de constater que les camarades de l’ancienne majorité refusent encore une fois dans le cadre de ce débat de tirer le moindre bilan. Ces camarades nous expliquent que tout ce qu’on a pu dire en tant que parti pendant les six derniers mois, la politique que nous avons menée était parfaitement juste.
Pas un mot sur le mot d’ordre de gouvernement anti-austérité qui était l’expression d’une logique selon laquelle il faudrait systématiquement chercher un débouché institutionnel, électoral, avec un vague soutien du mouvement de masses, et ce même quand ce mouvement de masses n’est pas au rendez-vous car il a été rendu passif par ces mêmes illusions sur une issue électorale.
On aurait l’impression que la faute de ce qui s’est passé en Grèce reviendrait au KKE qui a refusé de constituer un gouvernement des gauches avec Syriza et a ainsi « obligé » Tsipras à passer un accord avec un parti bourgeois comme l’ANEL.
Or, la politique de conciliation de classes était déjà inscrite dans le projet de Syriza et dans la série de renoncements survenue avant même son arrivée au gouvernement.
Aujourd’hui c’est facile de dire « voilà, on a vu l’impasse à laquelle mène le réformisme, il faut rompre avec le capitalisme ». Mais une fois dit ça, il faut discuter de comment cela se décline dans une politique concrète.
Certains camarades défendent depuis un moment l’idée de faire de la rupture avec l’euro et l’UE un axe central de notre programme. Nous avons un désaccord là-dessus, j’y reviendrai. Cependant cela n’était pas jusque-là le cas des camarades de l’ancienne majorité. Mais dans certains textes élaborés dans le cadre de leur courant international on commence à avancer, dans une sorte de « pirouette théorique », l’idée que la capitulation de Tsipras serait principalement conséquence d’une sous-estimation de l’indispensable rupture avec l’UE.
Bien évidemment, personne ne fera ici le procès aux camarades qui défendent le mot d’ordre de rupture avec l’UE et l’euro, de prôner que cette rupture se fasse dans le cadre du capitalisme. Mais lorsqu’on réfléchit à un programme on ne le fait sur le terrain de la pure abstraction, mais sur celui des mots d’ordre que peuvent, dans une situation concrète, faire avancer la conscience des travailleurs dans le sens de leurs propres objectifs.
Aujourd’hui, face à l’échec de Tsipras, il y a objectivement des secteurs importants des travailleurs et des couches populaires grecques qui tirent la conclusion que le problème c’est l’euro et qu’il suffirait de rompre avec l’euro. En ce sens que les camarades veuillent ou non, ce qui risque de se développer en Grèce c’est bien une nouvelle issue réformiste, mais qui cette fois-ci ne serait pas européiste, mais sur le terrain du repli national.
C’est cela qui est en train de se concrétiser autour de l’idée du « plan B » et de certains secteurs qui ont rompu avec Syriza pour rejoindre l’Unité Populaire. Lorsqu’on regarde leur programme on doit constater qu’il se situe dans une totale continuité de celui de Syriza. Même l’annulation totale de la dette n’y figure pas. Et sur le plan stratégique on avance encore une fois l’idée d’une arrivée au pouvoir par le biais des élections, avec des liens très distendus avec le mouvement de masses, comme si cela pouvait permettre d’affronter les institutions capitalistes.
Le problème de faire de la question de rupture avec l’euro et l’UE une question centrale, c’est déplacer le lieu de pouvoir de nos ennemis. Ce n’est pas en ce sens anodin que dans les interventions des camarades c’est comme si la bourgeoisie grecque n’existait pas. Car nos ennemis ne sont pas seulement à Bruxelles. Les institutions européennes sont portées par des bourgeoisies nationales, dont la bourgeoisie grecque qui existe bel et bien et qui reste le pire ennemi des travailleurs grecs.
En ce sens toute la question est de savoir comment on articule une perspective internationaliste avec la nécessité de combattre les capitalistes dans chaque pays et d’en finir avec leur propriété et leurs institutions de façon à pouvoir se poser l’objectif d’une unification socialiste de l’Europe.
Pour finir, je voudrais revenir sur les conséquences de cette discussion sur le terrain de la construction de parti. Car ces derniers temps on a beaucoup agité dans nos débats internes autour des exemples de Syriza et de Podemos la question d’un « nouveau réformisme », comme si celui-ci était d’une nature distincte de celle du réformisme classique.
Or, ce que l’on vient de voir en Grèce c’est précisément que le « nouveau réformisme » a tous les défauts de son aîné, sans en avoir les qualités, c’est-à-dire des liens organiques avec la classe ouvrière. Dans ce contexte notre alternative ne peut être que celle de l’indépendance de classe et d’un combat contre les préjugés réformistes, aussi bien en Grèce qu’en France. C’est cela qui devrait orienter nos débats et notre activité dans la prochaine période.


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