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Réforme des retraites

Grève à Orly : face à la spontanéité des grévistes, le droit de grève une fois de plus attaqué

L’annulation de 50% des vols à l’aéroport parisien d’Orly a suscité de nombreuses réactions politique, dénonçant une grève « sauvage et surprise ». Une nouvelle façon d’attaquer le droit de grève des contrôleurs aériens.

Arthur Nicola

14 février 2023

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Crédits Photos : Grève à Orly juillet 2021 - AFP / Geoffroy van der Hasselt

Dès qu’une grève ne respecte pas les règles édictées par l’Etat et le patronat, la droite, les patrons et le gouvernement sortent de leurs gonds. Cela s’est à nouveau vérifié le week-end dernier : alors que l’intersyndicale appelait à manifester, ce samedi 11 février, la grève des contrôleurs aériens de l’aéroport d’Orly a surpris la DGAC qui ne tablait pas sur une telle mobilisation, causant l’annulation de près de 50% des vols à partir de 13h, soit 25 arrivées et 22 départs.

La Direction générale de l’aviation civile (DGAC), responsable des tours de contrôles, avait dénoncé dès le matin le fait que les préavis de grève n’auraient « pas été relayés par les organisations syndicales au sein de la DGAC, ni suivis d’appel à la grève de la part des organisations représentatives des contrôleurs aériens ». Les réactions se sont ensuite enchaînées : Clément Beaune a expliqué sur Europe 1 « regretter profondément ce qui s’est passé samedi, notamment à Orly. C’est une grève surprise, pour ne pas dire sauvage, qui est irrespectueuse et irresponsable […] C’est scandaleux ». Des responsables patronaux, à l’instar de Jean-Louis Baroux, fondateur du World Air Transport Forum, ont de leur côté appelé dans une tribune à ce que « les indemnisations soient supportées par l’USAC CGT. Il est clair également que la DGAC doit montrer qu’elle sait se faire obéir par ses salariés, comme ce doit être le cas dans chaque entreprise ».

Si le gouvernement et le patronat cherchent à dénoncer une grève « sauvage » c’est essentiellement par peur que la base des contrôleurs aériens remette en question le cadre établi par la direction pour minimiser l’impact de la grève. En effet, étant travailleurs de la fonction publique, les contrôleurs aériens ne sont pas soumis à une déclaration préalable individuelle de grève 48h, comme peuvent l’être de nombreuses professions sur les aéroports. Ainsi, en l’absence de délai de prévenance imposé aux grévistes, la DGAC doit scruter les préavis lorsqu’ils sont déposés dans la fonction publique. Elle peut alors mettre en place un « service minimum », c’est-à-dire obliger certains contrôleurs à travailler, et annuler une partie des vols à l’avance. En l’absence d’un appel à la grève de l’intersyndicale et pris de court par les grévistes du contrôle aérien, c’est précisément ce qu’elle n’a pas fait samedi.

En l’absence de dispositifs anti-grève comme le délai de prévenance, la DGAC a consacré un dispositif bien particulier. Avant chaque journée de grève, les syndicats de l’aérien préviennent la direction du taux estimé de grévistes : c’est cela que la DGAC appelle « le relai des préavis », ce qui n’a aucune valeur légale. « On fait ça pour que les gens n’apprennent pas dans les aérogares que leur avion est annulé. Il y a aussi une dimension sécurité à cela, pour éviter que les collègues des précédents services ne soient pas relevés et dussent rester plus que leur service. On bosse tous les jours pour la sécurité, quand on fait grève l’optique n’est pas de faire prendre des risques aux avions », nous explique Fabien André, secrétaire de l’USAC-CGT à Orly. Selon nos informations, ce « relai du préavis » aurait été fait par l’Unsa, qui aurait prévenu que la grève serait très suivie samedi après-midi, ce que la direction a décidé d’ignorer.

Pour Fabien André, il y a une volonté de décrédibiliser les grévistes, en accusant de tous les maux les contrôleurs aériens. Selon lui, « la grève est-elle surprise ? non, les contrôleurs sont fonctionnaires et ont fait grève sur ce préavis ; sauvage ? non plus, des gens qui exercent leurs droits cela ne peut pas être qualifié de sauvage ». Alors que de nombreux journalistes expliquent que les contrôleurs aériens ne sont pas concernés par la réforme, les contrôleurs semblent d’un autre avis : « il y a une réelle inquiétude sur la question des retraites, parce que les contrôleurs sont présentés comme pas concernés par la réforme actuelle. En 2003, c’est déjà le cas, on nous a vendu la réforme comme ne nous concernant pas, puis quelques années plus tard on a dû augmenter le nombre de trimestres en disant qu’il fallait suivre le régime général », dénonce le syndicaliste.

En réalité, ce qui fait peur au gouvernement et au patronat, c’est que les contrôleurs de l’aérien, qui occupent une position stratégique, exercent tout simplement leur droit de grève indépendamment des usages tels que « le relai des préavis » institués par la DGAC. C’est en ce sens qu’il faut comprendre l’offensive importante contre le droit de grève des contrôleurs aériens qui sont pourtant déjà soumis à d’importantes lois anti-grèves comme le « service minimum » : celui-ci est actuellement calculé pour faire passer 50% du trafic au maximum de la charge de l’aéroport, c’est-à-dire en milieu des vacances d’été. Dès qu’une grève est organisée à un autre moment, le service minimum fait passer 80% des avions. « Ce qu’on voit régulièrement venir de la part des compagnies, c’est la volonté de limiter le droit de grève des contrôleurs aériens, alors qu’aujourd’hui, même si tous les collègues se mettent en grève, il y a des astreintes ; on estime que c’est une limitation du droit de grève déjà un peu trop grande » dénonce Fabien André.

Ce que cette nouvelle offensive contre le droit de grève des contrôleurs montre, c’est en réalité que les dispositifs visant à limiter les impacts de la grève, ne semblent plus suffire aujourd’hui à contenir la colère. La réaction du gouvernement et de la droite est quant à elle le témoignage de la principale crainte qui les hante depuis plusieurs semaines : celle que la grève des contrôleurs aériens puisse constituer un premier symptôme du débordement de la base, en plein mouvement contre la réforme des retraites.


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Arthur Nicola

Journaliste pour Révolution Permanente.
Suivi des grèves, des luttes contre les licenciements et les plans sociaux et des occupations d’usine.
Twitter : @ArthurNicola_

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