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Relations internationales

Guerre en Ukraine : que signifie l’entretien de Xi Jinping avec Volodymyr Zelensky ?

Mercredi dernier, Volodymyr Zelensky et Xi Jinping se sont entretenus pour la première fois depuis le début de la guerre. À plus d’un an du début du conflit, que signifie cet échange pour la suite ?

Irène Karalis

4 mai 2023

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Mercredi dernier, Volodymyr Zelensky et Xi Jinping se sont entretenus au téléphone pendant plus d’une heure, et ce pour la première fois depuis le début de la guerre en Ukraine. Selon la chaîne de télévision étatique chinoise CCTV, cet entretien a été l’occasion de réaffirmer que la Chine avait « toujours été du côté de la paix » et que « sa position fondamentale » était « de promouvoir un dialogue de paix ». Pour Zelensky, qui a tweeté à la sortie de l’entretien, ce dernier aura été « long et significatif » et pourrait signifier le début d’une « impulsion puissante du développement des relations bilatérales » entre les deux pays.

À la suite de l’entretien, Volodymyr Zelensky a nommé Pavlo Riabikine, ancien ministre des Industries stratégiques, au poste d’ambassadeur en Chine, après plus d’un an de vacance du poste. La Chine a également annoncé l’envoi d’une délégation en Ukraine pour chercher un « règlement politique » à la guerre.

La Chine et son jeu d’équilibriste

Il convient avant tout de rappeler que la Chine joue à un jeu d’équilibriste depuis le début de la guerre. La Russie fournit de l’énergie bon marché à la Chine et les relations russo-chinoises se sont accentuées ces derniers mois, comme en témoigne la visite de Xi Jinping en Russie il y a quelques semaines pour réaffirmer leur coopération. Cette dépendance économique croissante de la Russie à l’égard de la Chine va probablement se poursuivre et s’approfondir dans les prochaines années. Cette tendance à la consolidation d’un bloc s’est faite sous l’hégémonie chinoise et crée des contradictions chez des alliés historiques des Etats-Unis ou de l’Occident qui pourraient être tentés par le projet multipolaire. De ce point de vue, la Chine n’a pas intérêt à ce que la Russie soit déstabilisée sur le plan intérieur par un changement de régime.

La Chine n’a pas intérêt à ce que la Russie ressorte trop affaiblie du conflit, dans la mesure où les deux pays se rejoignent sur l’objectif de construire une contre-hégémonie à celle des États-Unis. À l’inverse, une éternisation du conflit pourrait exacerber les tensions déjà prééminentes au sein du bloc occidental et au sein des bourgeoisies européennes quant au degré d’agressivité à maintenir contre la Chine et la Russie, étant données les conséquences des politiques de guerre commerciale sur le marché européen.

C’est dans cette optique que la Chine n’a jamais affirmé son soutien à l’Ukraine ni condamné l’invasion de l’Ukraine par la Russie depuis le début de la guerre, malgré les demandes répétées de l’Ukraine. Ainsi, dans le plan en douze points expliquant la position de la Chine sur la guerre et publié en février, cette dernière n’appelle pas au retrait des troupes russes d’Ukraine. Selon Foreign Affairs, le journal d’un think tank américain spécialisé dans les affaires étrangères et les relations internationales, la Chine pourrait même envoyer une aide militaire à la Russie pour prolonger la guerre, éviter une défaite russe voire en soutenir une victoire.

Néanmoins, une telle implication signifierait une escalade géopolitique pour le conflit ukrainien et un affrontement plus dur entre les blocs. Or, la Chine ne veut pas perdre ses relations commerciales avec l’Occident ni subir des sanctions économiques, encore moins dans un contexte d’intensification de la conflictualité avec les États-Unis, notamment autour de Taïwan. C’est d’ailleurs sur l’île que se porte l’attention géopolitique chinoise, avec la lutte contre les conséquences de la guerre commerciale et technologique menée par les Etats-Unis.

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Promouvoir la « paix » ou comment s’imposer sur la scène internationale

En février, la Chine avait publié un document en douze points détaillant la position de la Chine sur la guerre en Ukraine et proposant un plan de sortie du conflit. La Chine y appelle à des pourparlers entre les deux pays, s’oppose à l’utilisation de l’arme nucléaire, appelle à respecter l’intégrité territoriale de tous les pays tout en appelant à la fin des « sanctions unilatérales », en condamnant les « confrontations de bloc » et la « mentalité guerre froide ». Comme souligné plus haut, tout en ne reconnaissant pas l’annexion des quatre territoires du Donbass par la Russie, la Chine ne condamne pas non plus l’invasion de l’Ukraine.

À travers ce texte comme à travers l’entretien téléphonique avec Volodymyr Zelensky, la Chine tente d’apparaître comme médiatrice du conflit. D’une part, la Chine souhaite avoir son mot à dire dans le processus de paix et dans le paysage économique d’après-guerre. Le plan de paix affirme ainsi cette volonté d’être à la fois un médiateur et un acteur économique en Ukraine, et cette dernière veut être présente à la table des négociations pour avoir son mot à dire dès que la guerre prendra fin. Surtout, la tentative de se poser comme médiatrice lui permet d’interférer entre les États-Unis et l’Europe, mais aussi de tenter d’obtenir une nouvelle victoire internationale après son succès dans la restauration des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie Saoudite.

Se pose alors la question des chances de succès de l’opération de la Chine. Après l’entretien téléphonique, la Russie a annoncé « prendre acte » de la volonté de la Chine de « s’efforcer de mettre en place un processus de négociation » mais a reproché à l’Ukraine de « rejeter toute initiative sensée visant à un règlement politique et diplomatique de la crise ». Surtout, la Chine constitue le seul pays dont l’Ukraine et la Russie ont toutes les deux accepté d’examiner le plan de sortie du conflit. La Russie a à ce propos affirmé que ce plan serait viable quand l’Occident et l’Ukraine seraient prêts à discuter, mais l’Ukraine a expliqué que la restauration des frontières ukrainiennes par la Russie serait une condition préalable et indispensable à toute négociation.

La France, quant à elle, a affirmé encourager « tout dialogue » qui puisse « contribuer à une résolution du conflit » « conformément aux intérêts fondamentaux » et « au droit international » suite à l’entretien des deux dirigeants. L’Union Européenne, a elle qualifié l’entretien de « premier pas qui aurait dû être fait depuis longtemps », appelant la Chine à user de son influence sur Moscou pour mettre fin à la guerre. Néanmoins, malgré ces déclarations, il est possible que l’Occident doute de la capacité de la Chine à jouer un rôle de médiatrice dans la mesure où elle a toujours refusé de condamner l’invasion russe.

Surtout, il est impensable que les États-Unis laissent l’Ukraine arriver à un accord en laissant de côté les États-Unis et l’Union Européenne. John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de l’exécutif américain, l’a d’ailleurs laissé entendre, affirmant « Nous estimons que c’est une bonne chose. Cela dit, savoir si cela peut déboucher sur une initiative, une proposition ou un plan de paix sérieux, nous l’ignorons pour l’instant », avant d’ajouter que toute initiative de paix « ne sera pas viable ou crédible si les Ukrainiens et le président Zelensky, personnellement, n’y sont pas impliqués et ne la soutiennent pas ».

Difficile donc de savoir si les tentatives de la Chine de jouer le rôle de médiatrice dans le conflit en Ukraine seront couronnées de succès. Quoiqu’il arrive, il n’y a pas à choisir entre les deux « blocs » réactionnaires dans cette guerre. Il faut défendre une alternative de la classe ouvrière qui soit indépendante de l’impérialisme américain comme des régimes réactionnaires de la Chine et de la Russie !


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