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Conférence 2015 de Historical Materialism. Contre l’austérité et pour le socialisme, quelles stratégies révolutionnaires ?

HM Londres 2015. « The Old and The New » sur fond de débâcle grecque

Emmanuel Barot et Jamila Mascat{} {} La 12ème édition de la conférence annuelle organisée par la revue Historical Materialism, a vu se tenir du 5 au 8 novembre à Londres environ 150 ateliers, auxquels plus de 700 personnes ont participé. La grande variété des recherches marxistes actives au plan international actuellement s’y est exprimée dans tous les domaines, alimentant des discussions dans l’ensemble adossées à une réalité historique, politique et militante. Cette réalité est, par définition, complexe et bigarrée, conformément au projet sur lequel Sébastien Budgen, membre du comité de rédaction de la revue, était revenu dans l’entretien dans un entretien récent donné à Révolution permanente). Retenons ici quelques éléments saillants.

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La théorie et ses pratiques

Études historiques, nouveautés dans l’édition dans œuvres complètes de Marx et Engels (autour du livre III du Capital notamment), économie politique, philosophie, sociologie, anthropologie, esthétique, théories queer et féministes, actualités des luttes ouvrières et de la lutte des classes en général, etc. la liste estlongue. Les brûlantes questions écologiques, mais aussi la question raciale, ne furent pas en reste non plus ; de même que les retours en permanence nécessaires, à Lénine et Rosa Luxembourg plus spécifiquement cette année, n’ont pas manqué. Au sein de ce vaste programme, un nombre extrêmement important de débats, combinant élaborations théoriques et analyses des situations concrètes, ont cependant donné à cette 12ème édition sa principale physionomie : conformément au thème retenu, la conférence a été polarisée par la récente épopée grecque et les leçons à tirer de la catastrophe Syriza, les évolutions de Podemos, la conjoncture au Portugal, mais aussi par le « phénomène » Corbyn sur le terrain de la recomposition de la gauche et du Labour. Une orientation d’ensemble axée, donc, sur les fondements théorico-stratégiques des recompositions actuelles et des perspectives pour la gauche radicale en Europe.

On retiendra une première leçongénérale : loin de ne regarder que l’actualité immédiate, les choix politiques – stratégiques comme tactiques – des formations de gauche (radicales ou non) dans tel ou tel pays, ne tombent jamais du ciel, y compris dans leur singularités nationales. Elles font au contraire corps, plus ou moins directement, avec des élaborations théoriques qui en ont fourni parfois l’ossature et les principales inspirations, élaborations qui elles-mêmes ont une histoire concrète liée à la structure des organisations politiques ou des mouvements qui les ont suscitées. Réciproquement, on ne peut donc pas appréhender correctement l’émergence de questions théoriques, de traditions de pensées quelles qu’elles soient, si l’on ne les replace pas dans les contextes concrets qui les ont portées au jour en les façonnant, d’où toute l’exigence requise dès lors que situations et théories sont convoquées dans de nouvelles configurations historiques et nationales.

La faillite de l’hypothèse populiste

Au plan théorico-politique et stratégique, des deux dossiers qui ont prédominé le premier est celui des « populismes de gauche » et du bilan qu’on peut tirer à leur endroit. Après toute une période d’engouement pour les gouvernements « progressistes » d’Amérique latine (Venezuela, Bolivie, Argentine, etc.), mais aussi à l’aune de la situation espagnole, la « fin de cycle » qui les affecte tous a fait clairement émerger – même si l’on peut regretter que cela ait pris autant de temps – une conscience croissante (et qui, à défaut d’être unanime, reflète cependant une tendance de fond) de leur faillite fondamentale. Un diagnostic qui n’est pas seulement empirique. La stratégie explicitement « populiste de gauche » (« left wing populisms ») de ces gouvernements (ou formations politiques, dans le cas de Podemos) est caractérisée par la volonté de constituer des blocs populaires anti-« castes » et anti-impérialistes sur des bases de classe le plus souvent très fragiles voire inexistantes. Par là même, cette stratégie rend profondément propice à subir de façon croissante l’emprise du réformisme et à retourner contre les travailleurs l’État initialement mobilisé, officiellement, pour défendre leurs intérêts. Une stratégie, donc, qui en ressort comme profondément viciée. De là le début d’une remise en cause, dont on peut souhaiter qu’elle s’affine grandement par la suite, de solutions théoriques pourtant antimarxistes comme celle de Laclau et Mouffe (dans Hégémonie et stratégie socialiste, qui remonte déjà à 1985) et de leur défense du « populisme », dont l’impact sur les gauches même radicales a de fait été très important. Une faillite dont la pleine reconnaissance méritera à coup sûr de reconsidérer plus avant encore les illusions passées et leurs justifications théoriques, marxistes incluses.{{}}

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Dilemmes de la gauche radicale sur fond de débâcle grecque

Mais le véritable point d’orgue, directement lié au premier du reste, est celui qui a fait l’objet du principal plénier de la conférence consacré, samedi, à la stratégie dans les pays d’Europe du Sud, autour des cas grec, espagnol et portugais. Avec un certain paradoxe : l’an passé, l’atmosphère électrique liée à l’ascension de Syriza qui était alors aux portes du pouvoir, avait fait surgir un certain nombre de divergences au plan stratégique, notamment entre des représentants de Syriza et d’Antarsya. Cette année, sur fond de la recomposition autour de l’Unité Populaire c’est plutôt une convergence qui s’est exprimée, avec en arrière-fond la capitulation de Tsipras et la nécessité, pour une bonne partie des intervenants grecs, notamment Panagiotis Sotiris et Stathis Kouvélakis (respectivement d’Antarsya et Syriza antérieurement, dorénavant tous les deux membres d’Unité Populaire), de la sortie de la zone euro. Mais convergence n’empêche pas inflexions distinctes, Sotiris mettant notamment l’accent sur le fait – la sortie de l’euro ne pouvant constituer une fin en soi – qu’il s’agirait non seulement nécessairement de produire des transformations économiques et sociales en mobilisant le mouvement ouvrier et les couches populaires, mais aussi que les questions du contrôle ouvrier et des expropriations à conduire seraient alors partie intégrante de l’équation.

Avec le diagnostic sur la situation grecque a directement résonné le constat d’un Podemos qui s’est totalement recentré, socialement sur la classe « moyenne », et politiquement sur des positions totalement consensuelles et compatibles avec le régime de l’État espagnol. C’est-à-dire que Podemas a rejoint explicitement le terrain de la collaboration de classes – preuve, s’il en est, de cet échec de « l’hypothèse populistede gauche » qu’Isidro Lopez, député de Podemos à Madrid, a lui-même constaté. Mariana Mortagua, elle, a expliqué la conjoncture portugaise ayant justifié, aux yeux du Bloco, l’alliance tout récemment passée avec le Parti socialiste, en soulevant malgré elle un paradoxe. Même si des fractions croissantes de travailleurs et de jeunes ne supportent plus l’austérité brutale qu’ils subissent, elle a simultanément rappelé l’immense difficulté de convaincre qu’une alternative est possible. D’où une préférence encore largement majoritaire, faute d’espoir, pour rester au sein de l’eurozone dont les contours sont, malgré tout, connus, plutôt que d’aller vers l’inconnu de la séquence politique qu’ouvrirait une sortie de l’euro. Ce dont elle déduit qu’il faudra déployer des trésors de conviction pour justement montrer que quelque chose d’autre que l’Europe du capital est possible, ceci exigeant, en l’espèce, de donner un contenu positif et enthousiasmant à cette option de sortie de l’euro. Paradoxe donc : si la tâche est à la fois si rude et si nécessaire pour convaincre d’une alternative, pourquoi justement ne pas se la donner pleinement, tenter de convaincre, et se mettre en ordre de bataille en conséquence ? Par ailleurs cette « solution » marquée d’un problématique sceau souverainiste de gauche, qui reste, en l’état actuel des choses, autant l’aveu d’une impuissance que l’expression d’une véritable stratégie.

En ce sens c’est peut-être Richard Seymour – animateur de la nouvelle revue marxiste anglaise Salvage (« sauvetage ») née entre autres des suites de la crise du SWP et du départ successif de nombre de ses militants depuis 2014, à l’occasion d’un « panel » très suivi consacré à la présentation du projet de cette revue – qui a résumé ce qu’il en est en réalité : que ce soit Corbyn en Angleterre, Syriza d’abord et Unité Populaire dorénavant, ou encore Podemos, tout ceci incarne avant tout la faiblesse de la gauche radicale et révolutionnaire européenne, et n’est pas propice à l’optimisme. Pour autant, même si cette revue au nom suggestif ne confond pas, à la lettre, le « pessimisme » qu’elle théorise ni avec cynisme, ni avec attentisme, bien des espaces, même s’ils sont parfois ténus, sont en réalité plus ouverts qu’ils ne semblent le dire. Ce fut le cas en toute période de recomposition active où, lorsque la crise est profonde, la combativité, même isolée qui subsiste est d’autant plus marquée par la soif de comprendre et de s’armer. Et cela, autant aux plans théorique, politique que stratégique. C’est dans ces interstices, revenant sur la situation politique en France marquée par le sceau réactionnaire de la poussée pré-électorale du FN, qu’Olivier Besancenot a animé un autre panel très suivi. Insistant notamment sur le profond désarroi affectant toute la gauche, radicale comme révolutionnaire, il a relié les difficultés du NPA et la permanence de la discussion sur la nature et le rôle du parti, à cette phase politico-sociale marquée par la dichotomie du « old » et du « new », entre le « non plus » des sujets « traditionnels » et le « pas encore » des « nouveaux » sujets à venir.

La situation objective est tellement réactionnaire qu’il s’agit bien aujourd’hui, de toute façon, de « recommencer par le commencement » en Europe, comme le disait Marx dans Révolution et contre-révolution en Allemagne après la répression du printemps des peuples de 1848. S’approprier les recherches que ce genre de conférence permet de faire vivre constituera un indéniable atout pour recommencer à construire une extrême-gauche révolutionnaire capable à la fois de comprendre mieux, de dialoguer avec et de s’enraciner dans les mouvements combatifs, luttes ouvrières comme étudiantes, antiracistes ou antisexistes, telles qu’ils existent concrètement aujourd’hui. Et cela sans baisser la garde sur ses hypothèses stratégiques et son programme, même si, à eux seuls, ces derniers ne suffiront naturellement pas à forger une nouvelle subjectivité aussi lucide que fière de ses combats.


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