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Interview

Hani Labidi, élu RATP menacé de révocation : « L’état des bus met la vie des usagers en danger »

Chauffeur de bus, Hani Labidi fait partie des élus contre qui la direction de la RATP a engagé des procédures disciplinaires pour avoir signalé l'état désastreux des bus parisiens. Passé en entretien le 7 novembre, il vient d'être reconvoqué, cette fois-ci avec une menace de révocation, alors même qu'il n'a pas encore reçu sa notification de sanction. Des manœuvres de la direction de la RATP qui interpellent d'autant plus qu'elle n'a à aucun moment nié l'état calamiteux de ses bus. Entretien.

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Hani Labidi est chauffeur de bus – machiniste-receveur dans le jargon RATP – depuis maintenant 15 ans. Elu au CSE 2 et syndiqué RS-RATP (Rassemblement Syndical), il participait le 30 septembre dernier à un contrôle de la sécurité des bus du dépôt de Belliard, dans le 18e arrondissement, auquel il est rattaché et dont dépendent 1100 agents. Un contrôle qui a démontré que 70% des bus ne répondait pas aux normes de sécurité, un constat plus que dérangeant pour la direction de la RATP, qui a répliqué en convoquant 5 élus – sur les 13 présents ce jour-là – à des entretiens disciplinaires. Mais les agents RATP ne se sont pas laissé abattre, répondant à leur tour par une mobilisation exemplaire en solidarité avec les collègues réprimés, une mobilisation qui a permis par ailleurs que les principaux médias s’intéressent à l’état piteux des bus parisiens. Autant dire que la direction de la RATP n’est pas sortie gagnante de cette offensive à l’encontre de ses agents les plus déterminés au combat qui s’annonce à partir du 5 décembre. Elle a même reculé en n’infligeant qu’une journée de mise à pied à Ahmed et Olivier, les 2 élus qui risquaient la révocation.

Pour autant il a fallu qu’elle tente un dernier coup de poker, à quelques jours du début d’une grève qui s’annonce massive : reconvoquer Hani Labidi, pour les mêmes faits mais en ajoutant des accusations supplémentaires de « comportements insultants et répétés à l’égard de [la] hiérarchie les 5 et 7 novembre 2019 », jours de mobilisation des agents en soutien à leurs collègues. C’est donc bien la combativité et la solidarité des agents RATP qui est une nouvelle fois visée par cette énième tentative d’intimidation. Explications avec Hani Labidi.

Révolution Permanente : Avec les entretiens disciplinaires à répétition contre les élus du personnel, on voit bien que derrière les prétextes qui servent d’accusation, c’est surtout le rôle que vous jouez qui dérange la direction non ?

Hani : « Oui clairement, déjà ils ont sorti mes propos de leur contexte, tout simplement parce qu’ils veulent ma tête. Parce qu’avec le boulot qu’on fait au CSE, leurs dossiers sont retardés, ils ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent. Par exemple on a eu un dossier sur la transition énergétique au centre bus de Pleyel, et on a remarqué qu’il y avait de l’amiante, donc on a demandé un dossier plus complet avec des diagnostics complémentaires etc, c’est la base mais eux ça ne leur plaît pas qu’on fasse notre boulot d’élu.

Après leurs dossiers sont entachés d’irrégularités. Déjà, concernant le contrôle des bus de Belliard, normalement seuls les élus CSSCT peuvent faire des inspections. Du coup on a voté une résolution en juillet, pour que n’importe quel élu du CSE2 puisse réaliser le contrôle des bus. L’employeur avait 10 jours pour contester, ce qu’il n’a pas fait, donc on était pleinement dans notre droit.

Ensuite, ils nous ont envoyé un huissier, mais dans son rapport il n’a aucunement stipulé qu’il y avait un blocage des bus contre l’avis des machinistes, faits qu’ils nous reprochent. Ils sont incapables de fournir un seul témoignage d’un collègue et dans leurs rapports ils ne mentionnent même pas les numéros des bus ni l’heure à laquelle je les aurais empêché de sortir. Donc ils m’accusent de faits sur lesquels je ne peux même pas m’expliquer ! Le pire c’est que pour ma convocation du 7 novembre, j’avais demandé les rapports deux jours avant et ils ne me les ont pas donnés donc je les ai découverts sur le moment et n’ai pas pu préparer ma défense ! Sans parler du fait que la direction du centre bus de Belliard est juge et partie, puisque c’est elle qui me met des rapports puis qui me juge en disciplinaire. Donc ils bafouent nos droits les plus élémentaires.

C’est un véritable acharnement, il n’y a qu’à voir, depuis qu’on a été élus en 2018, une bonne partie des élus ont eu des sanctions. Donc c’est clairement qu’on les dérange. Et à chaque fois que j’ai été sanctionné c’était dans mes prérogatives, l’inspection du travail l’a même écrit ! En juin j’ai encore pris un avertissement parce que j’aurais soi-disant coupé la parole à un autre élu... ce sont des accusations pitoyables à chaque fois. Et après le contrôle des bus de septembre dans un premier temps ils m’ont convoqué pour une sanction du premier degré, donc jusqu’à 5 jours de mise à pied, et là je repasse pour une sanction pouvant aller jusqu’à la révocation. Donc c’est une escalade qui montre qu’ils veulent ma tête, pour transmettre un message aux autres salariés, leur montrer qu’il faut pas trop l’ouvrir. Tout le monde me connaît à Belliard, parce que j’ai toujours bougé pour les collègues, je me suis toujours exposé, donc toucher à moi, pour eux c’est faire un exemple, tenter d’intimider les autres.

Et puis plus généralement il y a un management répressif à la RATP. Beaucoup d’agents m’appellent pour que je les soutienne face à des sanctions, et quand tu vois les raisons c’est un truc de fou, ils n’ont aucune limite, ils ne respectent même pas les règles. Par exemple quand ils ont connaissance de faits, ils ont 2 mois pour convoquer un agent. Et bien ils ont tenté de convoquer un agent plus de 2 mois après les faits qui lui était réprochés ! Heureusement, j’y suis allé et j’ai cassé le disciplinaire ! Mais ils tentent le coup...

Autre exemple, un agent a été sanctionné parce qu’il a regardé les papiers du véhicule et comme il a vu que le contrôle technique n’était pas à jour, il a refusé de rouler avec des papiers non conformes. Mais c’est le code de la route ! On lui a dit ’t’as pas à vérifier ça’...

Dernier exemple, on a une tenue de travail avec une cravate, et si t’oublies ta cravate tu peux passer en entretien disciplinaire au nom de la « qualité de service ». Mais on a des nouveaux collègues qui n’ont pas la tenue, parce qu’il y a des ruptures de stock etc, et ils roulent quand même ! S’ils ne sont même pas capables de fournir des tenues à des nouveaux agents, comment veulent-ils être crédibles, elle est où la qualité de service là ? »

RP : L’autre scandale dans cette affaire, et c’est ce qui fait que les articles qu’on a pu écrire ont été beaucoup lus d’ailleurs, c’est que vous révélez que les bus dans lesquels voyagent chaque jour des dizaines de milliers d’usagers sont dans un état lamentable et dangereux...

Hani : « Oui, d’ailleurs depuis le contrôle du 30 septembre je reçois énormément de messages de collègues dont les bus sortent non conformes, et ça les inquiète beaucoup. Par exemple l’autre jour un collègue a conduit un bus avec un défaut de direction : le volant s’est bloqué, heureusement il sortait du périphérique donc il a pu freiner ! Si c’était arrivé sur le périph quelques minutes avant, il aurait cartonné avec tous les usagers dedans ! Le collègue a eu la peur de sa vie !

Tout ça c’est dû à l’état général du parc, je ne suis pas mainteneur mais il y a clairement une dégradation. Tout a empiré avec les années : le matériel, le relationnel, les conditions de travail... c’est la productivité qui est devenue le centre de leurs préoccupations. Et le pire c’est que souvent c’est des problèmes qui ont déjà été signalés sur des bus, mais ils continuent à rouler. En économisant sur la maintenance, parce qu’ils sont obsédés par leur kilomètres commerciaux, ils mettent la vie des usagers en danger ! On voit sortir des bus avec des indices de ligne collés sur le pare-brise qui gênent la visibilité, d’autres avec le rétroviseur scotché... »

RP : On imagine bien aussi que cette répression n’est pas anodine à l’approche du 5 décembre. Comment vois-tu la grève qui s’annonce ?

Hani : « On va être en grève reconductible jusqu’au retrait pur et simple du projet de réforme ! Il n’y a aucune discussion possible, aucune négociation, on sera au piquet de grève et on se battra jusqu’au bout ! On fera des assemblées générales, parce que nous notre force c’est le terrain. Selon les chiffres de la RATP, sur notre dépôt on était à plus de 50% de grévistes le 13, mais le 5 c’est sûr on sera largement plus.

Après l’enjeu c’est de ne pas céder. Des agents d’encadrement mettent la pression aux collègues pour ne pas être grévistes. Ils font des sous-entendus aux petits jeunes, du type ’tu n’auras pas ton avancement, tu peux oublier ton déroulement de carrière...’ Alors que le droit de grève est constitutionnel !

Et puis ils cherchent coûte que coûte des agents pour remplacer les futurs grévistes. Ils mettent des cahiers dans les dépôts, pour que les agents s’inscrivent sur leurs repos, et ils utilisent même l’ICS [Interface Control System], un petit écran où on reçoit les informations de régulation, et là ils mettent des messages type ’cherche volontaire pour travailler en S...’, ça veut dire sur nos temps de repos. Il faut savoir que si on regarde notre téléphone en conduisant on peut se faire sanctionner , et là ils nous envoient des messages qui déconcentrent l’agent, parce que c’est une pression permanente à travailler, alors qu’on a besoin de nos repos. Moi quand je conduis, quand je reçois un message pareil ça m’irrite et ça peut même influencer ma conduite, c’est anxiogène. Ils ont des moyens de communication avec des affiches aux centres bus, ils n’ont pas besoin d’envoyer ce type de message sur l’ICS. »

RP : Et comment penses-tu qu’on peut faire plier Macron sur sa réforme des retraites ?

Hani : : « Il faut la convergence, c’est important parce qu’on est tous concernés. Ils veulent faire croire que c’est une grève des régimes spéciaux mais ce n’est pas le cas. On ne fait pas ça pour embêter les usagers mais pour l’avenir de nos enfants. On ne peut pas laisser à nos descendants un régime à points, qui peut évoluer selon les volontés du gouvernement, ce serait une insulte aux acquis sociaux ! Si nous on profite de ce régime par répartition, c’est grâce aux combat de nos aînés ! Donc moi je dis aux usagers qu’eux-mêmes sont concernés. La force du gouvernement c’est notre faiblesse. Si on est tous unis, tous soudés, alors ils n’ont plus de force.

Richard Ferrand dit que c’est une réforme contre les inégalités, mais il est bien mal placé pour parler lui ! Avec les avantages qu’ils ont, ils viennent nous faire la morale ? En plus c’est pas parce que tu fais un régime universel qu’il y a l’égalité. Un bureaucrate dans son bureau n’a pas les mêmes contraintes que quelqu’un qui bosse en horaires décalés, les week-ends, etc. On est obligés de faire du cas par cas, c’est trop facile de vouloir s’aligner sur le moins-disant... s’ils veulent l’égalité alors qu’ils nous alignent avec leurs retraites à eux ! »

Pétition en soutien à Hani

Pour soutenir Hani Labidi et contester cette répression syndicale, la CGT RATP Bus et le Rassemblement Syndical RATP appellent à un rassemblement lundi 2 Décembre 2019 à 7h au centre bus de Belliard, 29 Rue Belliard, 75018 Paris, métro Porte de Clignacourt. « Ce sera aussi l’occasion de converger à quelques jours du 5 décembre, pour se donner de la force pour le combat qui s’annonce », conclue Hani dont la détermination est loin d’être entamée. Nous invitons nos lecteurs à le soutenir nombreux !


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