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Qui nous protège de la police ?

Harcèlement sexuel d’un policier sur une employée municipale. Les faits condamnés, huit ans après.

Cécile Manchette Médiapart a révélé mercredi 15 juin une affaire traversée de bout en bout par les réalités d’un système patriarcal et corrompu. Une secrétaire de la police municipale de Montereau, qui a aujourd’hui 36 ans, a été victime de harcèlement sexuel de la part de son chef entre 2007 et 2008. Elle alerte alors ses supérieurs hiérarchiques : l’adjoint au maire, le directeur général des services et le maire-député Yves Jégo, à l’époque secrétaire d’État de Nicolas Sarkozy. Elle finit par porter plainte mais le maire et la commune nient la réalité du harcèlement puis couvrent le policier qui sera d’abord blanchi. Elle n’obtient pas gain de cause et est exclue de son poste par la mairie. Lola a dû attendre et souffrir des affres de cette affaire pendant huit ans avant d’obtenir réparation. Aujourd’hui, le harcèlement sexuel dans le milieu politique n’est plus un secret : Baupin, Sapin… les exemples ne manquent malheureusement pas. Que les langues se délient c’est une chose, mais comme le montre cette affaire « encore faut-il être entendu ». Encore faudrait-il que la classe politique et la justice, qui la protège, ne soient pas des protagonistes centraux du sexisme de notre société et des tenants du maintien de l’oppression patriarcale.

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Pendant un an, le responsable de la police municipale a envoyé à sa secrétaire des mails, des SMS et des vidéos à caractère sexiste et pornographique. « Je n’ai eu de cesse de repousser ses avances », insiste aujourd’hui la jeune femme. Son dossier était en béton : tous les éléments pour prouver qu’elle était victime de harcèlement sexuel. La situation devenue insoutenable, elle finit par le dénoncer auprès de sa hiérarchie. En janvier 2008, le harcèlement s’intensifie et les souffrances morales de la jeune femme aussi, le chef de la police municipale lui propose alors une arme en échange d’une relation sexuelle ! Elle fait remonter l’information. Mais cela tombe mal pour les élus locaux. En mars 2008 se tient un scrutin municipal et les responsables politiques, dont le maire Yves Jégo, annoncent clairement la couleur : ils ne veulent pas faire éclater l’affaire avant les élections. Ils lui conseillent alors « de se faire remettre l’arme afin de disposer d’un élément matériel lui permettant d’étayer un dépôt de plainte ». Un « conseil » abject qui n’est donc pas sans lien avec des affaires de calculs et d’agenda politique.

Elle s’exécute et arrive à obtenir l’arme (sans relation sexuelle en échange). Elle raconte : « je l’ai fait car j’avais confiance en la mairie mais j’avais déjà plein de preuves avec les mails. C’était éprouvant de laisser croire au chef qu’il pouvait arriver à ses fins. » Mais, « finalement la commune s’en est servie pour me décrire comme une manipulatrice à l’origine de cette transaction, en niant que c’est elle qui a eu l’idée ». En effet, la série d’obstacles qui se dresse devant elle ne fait que commencer. Sa plainte en avril 2008 est classée sans suite. Le conseil de discipline, réunit à la demande de la mairie, blanchit le policier. Elle est hospitalisée, les médecins actent d’un état dépressif lié au harcèlement au travail : la mairie ne tiendra pas compte de cet avis.

Elle se lance alors, avec l’aide de l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT) dans une longue procédure judiciaire. Elle fait face à une justice qui requalifie le « harcèlement sexuel » en « harcèlement moral », discrédite ses propos, soutenue par la mairie qui parle d’elle comme d’une « aguicheuse », d’une « séductrice ». La mairie finit même par proposer qu’elle soit sanctionnée pour avoir dénoncé son harceleur ! A la tête de cette supercherie, Yves Jégo, avec la mairie, essaye d’acheter son silence en échange d’une somme financière. Elle refuse.

Le 1er juin 2016, après cette lutte de huit années contre un système qui veut sa peau, le tribunal administratif a annulé cette exclusion, et reconnu qu’elle a été victime de harcèlement sexuel pendant un an. La mairie, pour l’avoir fait passer pour une « affabulatrice » a été condamnée le 1er juin à verser à la victime 15 000 € en réparation de son « préjudice moral ».

Comment ont réagi Yves Jégo et la mairie au jugement du tribunal administratif ? Par le silence d’abord, l’hypocrisie et le mensonge ensuite : « nous avons immédiatement protégé cette agente et muté l’auteur présumé qui est ensuite parti, assure ce jeudi Yves Jégo, qui a décidé que la commune devait faire appel. J’ai condamné verbalement le chef de la police, mais quel pouvoir ai-je sur un agent qui ne travaille plus ici ? Les services de la ville ont laissé la justice agir. » La mairie de Montereau a décidé de faire appel et a déclaré dans un communiqué : « le député-maire n’est en rien mêlé à une affaire qui concerne deux agents en conflit qui ont d’ailleurs l’un et l’autre quitté la mairie de leur propre volonté. » La mairie et Yves Jégo, devenu avocat en 2010, ont donc décidé de se couvrir mutuellement.

Des preuves matérielles nombreuses accablaient le chef de la police. Pourquoi la justice a-t-elle mis si longtemps à rendre un jugement reconnaissant le harcèlement sexuel et dédommageant la victime ? Telle est la question que se pose l’AVFT. Pourtant, il semble clair que dans une histoire qui oppose des responsables politiques à une secrétaire, où se mêlent intérêts politiques et financiers, c’est d’abord une justice de classe et patriarcale qui s’est exprimée. Nous parlons de cette justice qui laisse le plus souvent les criminels sexuels dans l’impunité, d’autant plus lorsqu’ils sont riches et/ou dans les réseaux du pouvoir.

N’oublions pas non plus que si cette jeune femme a fini par obtenir gain de cause, c’est grâce à une ténacité époustouflante, le soutien d’associations, et au prix de sa santé physique et morale ainsi que d’investissements matériels. La lutte contre l’oppression patriarcale, le harcèlement sexuel, la classe dominante est une lutte qui se paie cher dans la société actuelle. C’est une lutte qui finit aussi par payer quand elle devient une lutte politique, un témoignage révélé aux yeux de tous, qui nous conforte dans l’idée que les femmes et minorités de genre doivent s’unir à tous les combats allant dans le sens de dénoncer et de mettre à bas un système qui de part en part nous opprime.


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