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Caucase

Haut-Karabakh. L’Arménie et l’Azerbaïdjan (à nouveau) au bord de la guerre

Les affrontements dans le Haut-Karabakh, région séparatiste en Azerbaïdjan, pourrait dégénérer en conflit à large échelle impliquant d’autres puissances régionales. Les deux pays ont décrété la loi martiale.

Philippe Alcoy

28 septembre 2020

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Dimanche des affrontements violents ont eu lieu entre l’armée azérie et les forces armées de la région séparatiste du Haut-Karabakh, soutenue par l’Arménie. Bien que le nombre de morts et blessés soit difficile à établir avec certitude pour l’heure, on parle d’au moins 23 morts et une centaine de blessés, parmi lesquels des civils. Le premier ministre arménien a déclaré qu’en réponse à une agression azérie, l’armée de son pays a détruit deux hélicoptères, trois tanks et plusieurs drones. De son côté, le gouvernement azéri affirme avoir mis hors-service 12 batteries anti-aériennes arméniennes et pris contrôle sur plusieurs villages du Haut-Karabakh et de la région contrôlée par les forces armées arméniennes.

Les gouvernements des deux pays ainsi que celui qui dirige le Haut-Karabakh ont décrété la loi martiale et la région séparatiste a appelé à la « mobilisation générale pour les plus de 18 ans ». De son côté le gouvernement azéri a immédiatement limité l’accès à internet sous prétexte d’éviter des « provocations » arméniennes.

Le Haut-Karabakh est une région qui se situe officiellement dans le territoire azéri mais elle est peuplée majoritairement par des arméniens et doté d’un gouvernement également arménien. Il s’agit d’un différend entre les deux ex-républiques soviétiques qui persiste depuis leur démarcation en 1936 par le pouvoir stalinien de l’époque. A la chute de l’Union Soviétique une guerre a eu lieu entre les deux Etats de 1992 à 1994 ; elle a fait autour de 30 000 morts marquant le conflit postsoviétique le plus sanglant. Malgré un accord de paix signé en 1994, la situation reste bloquée et régulièrement on rapporte des frictions et des affrontements entre les deux armées.

Ainsi en juillet dernier on avait déjà enregistré des affrontements importants entre les deux pays. Cependant, les incidents de ce dimanche semblent être les plus graves depuis plusieurs années, et beaucoup d’observateurs et des politiciens des deux côtés indiquent un risque élevé de conflit de grande envergure.

Et un conflit entre ces deux pays pourrait en effet avoir des conséquences incalculables car il pourrait pousser des puissances régionales à intervenir. Ainsi, la Turquie, principal allié de l’Azerbaïdjan a déclaré son soutien inconditionnel accusant l’Arménie d’être le « plus grand obstacle à la paix dans la région ». Erdogan a même appelé les arméniens à se révolter contre leurs leaders qui « les amènent à la catastrophe ».

De son côté la Russie appelle à cesser immédiatement les hostilités. En effet, la Russie est un allié proche de l’Arménie mais en même temps elle tente d’éviter toute confrontation dans cette région stratégique pour sa défense. C’est en ce sens que l’on peut interpréter les ventes d’armements à l’Azerbaïdjan ces dernières années : en gardant de bonnes relations diplomatiques, militaires et économiques avec les deux pays Moscou aspire à devenir l’arbitre de la situation.

Bien que pour le moment il ne soit pas clair quelles ont été les motivations de ces affrontements, on peut émettre quelques hypothèses. L’Azerbaïdjan est un pays exportateur d’hydrocarbures qui ces dernières années a dépensé de grandes sommes d’argent en équipement militaire. Parallèlement, il aspire à exporter son gaz vers l’Europe depuis ses gisements de la mer caspienne à travers le projet South Caucasus Pipeline Expansion Project (SCPX). Il s’agit de l’extension vers l’Europe d’un pipeline qui va de l’Azerbaïdjan à la Turquie en passant par la Géorgie. Avec les garants du processus de paix (Russie, France et Etats Unis) pris par des dossiers internationaux et internes importants, l’Azerbaïdjan aurait pu décider de faire évoluer le rapport de force à son avantage sur le territoire séparatiste du Haut-Karabakh qui à son tour représente une menace permanente pour ses pipelines vers les marchés occidentaux et régionaux.

C’est précisément dans ces projets gaziers qu’il faut trouver la clé de la position turque ainsi que celle des autres puissances. La Turquie a pour ambition devenir un centre incontournable du transit du gaz vers le marché européen ; elle a ainsi des projets pour faire transiter par son territoire des pipelines azéris mais aussi russes, et avec les découvertes de gisements de gaz dans la Mer Noire Ankara prétend devenir à son tour un exportateur de gaz vers l’Europe. Cela explique d’ailleurs les enjeux de la situation tendue en Méditerranée orientale. La Russie veut jouer un rôle d’arbitre dans la région mais en même temps voit les projets de l’Azerbaïdjan comme une concurrence à ses propres projets d’exportation de gaz à l’Europe. Les puissances impérialistes veulent éviter tout conflit dans cette région si sensible et en outre protéger les intérêts de leurs multinationales impliquées dans ces projets (la britannique BP est impliquée dans le projet SCPX).

Quoi qu’il en soit, il est clair que dans un monde de plus en plus submergé ans des crises économiques, sanitaires, écologiques, les conflits géopolitiques vont augmenter. L’agressivité des capitalistes va également augmenter. Et un « accident » pourrait déclencher des conflits dont les conséquences peuvent être incalculables.


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