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Histoire et présent du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK)

Suphi Toprak et Baran Serhad Il y a 37 ans se tenait le Congrès fondateur du PKK. C’était une réunion secrète avec 25 militants de gauche, qui s’est déroulée le 27 novembre 1978 dans un village appelé Fîs, près de la ville kurde d’Amed.

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La conjoncture politique de la Turquie dans les années 1970 a été marquée par de profondes tensions et des mobilisations de masse. Après l’échec de plusieurs insurrections, le peuple kurde manifestait à nouveau son mécontentement face à la colonisation. D’autre part la gauche radicale turque était marquée par le mouvement étudiant de 1968 et avait adopté une stratégie de guérilla de caractère petit-bourgeois.

La conciliation avec le kémalisme, un bonapartisme nationaliste de droite, a conduit l’extrême gauche turque à s’éloigner des revendications du peuple kurde opprimé. Le PKK au contraire, défendait l’idée d’un Kurdistan indépendant, unitaire et socialiste.

Quel a été le programme du PKK dans ses premières années ? La charte fondatrice affirme ceci : « le PKK poursuit l’objectif de libérer le peuple du Kurdistan, à l’époque de l’effondrement de l’impérialisme et la naissance des révolutions prolétariennes, du système impérialiste et colonialiste et fonder un Kurdistan indépendant et unitaire, une dictature populaire. (…) Le PKK estime que l’impérialisme est derrière le colonialisme, le racisme et toute forme de discrimination. C’est pour cela que la libération du système impérialiste est une tâche urgente. L’impérialisme, les Etats coloniaux et leurs collaborateurs sont responsable que le Kurdistan, divisé en quatre parties, soit devenu une colonie et que toute valeur nationale du peuple kurde ait été détruite (…).

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Les traités qui ont divisé le Kurdistan entre la bourgeoisie turque et les impérialistes anglais et français après la première guerre mondiale n’ont pas été approuvés par le peuple kurde lui-même. Par conséquent ils sont illégitimes. Le PKK dénonce toutes les forces chauvines turques et les marionnettes réformistes kurdes qui se reconnaissent sous cet Etat et obligent le peuple kurde à trouver des solutions dans ce cadre. Le PKK trouve sa raison d’être entre autres dans la lutte contre des forces comme celles-ci. (…) L’impérialisme nord-américain est le principal ennemi des peuples du Moyen Orient. (…) Vive l’indépendance et l’internationalisme prolétarien ! ».

Cette déclaration est issue du même parti qui aujourd’hui essaie de « démocratiser » l’Etat turque. Un parti qui a abandonné l’idée d’un Kurdistan unitaire, indépendant et socialiste. Un parti qui fait partie d’une alliance dirigé par l’impérialisme nord-américain en Syrie. Suivant ses propres déclarations, le PKK de 1978 devrait dénoncer le PKK de 2015 et se battre contre lui.

Cependant l’abandon du programme ne s’est pas produit soudainement. Il est le résultat d’un virage à droite, qui se base dans la politique de conciliation de classes sur laquelle le PKK s’appuie depuis le début.

L’organisation de travailleurs au sein du parti et la question centrale de l’expropriation des moyens de production au service du mouvement de libération n’a jamais été fondamentale pour le PKK. Depuis le début il a subordonné la lutte de classes à la lutte pour la libération nationale. Il poursuivait une logique étapiste qui donnait la priorité à une « démocratie populaire » face à la lutte pour la dictature du prolétariat allié à la paysannerie. Le PKK était un front populaire. Bien qu’il recrutait parmi les kurdes pauvres et sans terre, il entretenait des alliances avec des propriétaires fonciers kurdes. Il ne poursuivait pas non plus une politique prolétarienne car il n’a jamais essayé de se renforcer au sein du mouvement ouvrier.

Très peu de petit-bourgeois ont pu devenir de vrais bourgeois dans les métropoles turques. Le PKK défend depuis toujours que la formation d’une bourgeoisie kurde était nécessaire pour la formation d’une coalition nationale et c’est pour cela qu’il cherche à soutenir les intérêts de la bourgeoisie en dépit de la majorité de sa base sociale. Cela explique pourquoi 37 ans après sa fondation, le PKK s’oppose aux principes fondateurs de sa charte.

Guérilla et coup d’Etat

Le coup militaire de 1980 a été un moment déterminant pour la situation politique en Turquie. Beaucoup des cadres professionnels du PKK ont été assassinés dans les prisons de la Junte militaire, laquelle cherchait à anéantir le mouvement ouvrier, la gauche turque et le peuple kurde.

Alors que la gauche turque était défaite à travers de multiples arrestations, expulsions et de tortures, le PKK a pu se renforcer à travers le militantisme dans les prisons. En 1984 il lançait la guérilla dans les campagnes. Jusqu’à 1990 il y eut beaucoup d’affrontements et cette année là le Kurdistan a connu un soulèvement populaire (Serhildan), semblable à l’Intifada palestinienne.

En 1991 le parti kurde a réussi son entrée au parlement turc en collaborant avec le parti social-démocrate, le SHP. Mais lors de la prise de leur poste, les députés kurdes ont subi une agression raciste et l’année suivante leur parti a été interdit. Quatre députés ont été arrêtés une fois que leur immunité leur a été enlevée.

Entre 1989 et 1991, au moment de l’effondrement de l’Union Soviétique et des autres Etats ouvriers bureaucratisés, le PKK a commencé à s’éloigner de ses principes. Ce processus a pu être mené sans résistance de la part des masses, qui étaient déçues par le stalinisme. L’orientation politique de la « coalition nationale » du mouvement kurde se basait sur les intérêts de la bourgeoisie kurde. Le PKK a alors emprunté une voie vers la droite se rapprochant des clans kurdes. Mais au lieu d’affaiblir les structures des clans à travers des réformes agraires (qui figuraient dans le programme du PKK), ils ont pu se renforcer grâce à l’appui du PKK.

En 1993 le PKK a commencé à s’éloigner idéologiquement de l’objectif d’un « Kurdistan indépendant, uni et socialiste » et à déclarer des trêves avec l’Etat turc. Ils espéraient trouver une solution en collaborant avec le président conservateur libéral Turgut Özal. Après l’échec de ces négociations il y a eu une augmentation du nombre des assassinats « secrets » de la part de l’Etat et des bandes soutenues par celui-ci.

La seule politique de l’Etat turc était l’oppression. Inspiré par les techniques barbares que les Etats-Unis avaient utilisées au Vietnam, l’État incendiait les villages kurdes, expulsait, enfermait et tuait des milliers de kurdes pour stopper le soutien du peuple kurde au PKK. La répression a eu des répercussions même au niveau international : en novembre 1993 on interdisait le PKK en Allemagne et l’on criminalisait les activistes kurdes.

L’arrestation d’Öcalan et la nouvelle étape

Le 15 février 1999 s’ouvrait une nouvelle étape pour le PKK : l’arrestation de son leader Abdullah Öcalan (Apo). Antérieurement il avait pris la fuite et a séjourné dans plusieurs pays longtemps. Mais en collaboration avec les États Unis, l’État turc a réussi à arrêter « Apo ». Des dizaines de jeunes kurdes se sont immolés publiquement pour protester contre l’arrestation d’Öcalan.

C’est dans cette phase qu’Öcalan à commencé à renier le marxisme, et la fondation d’un État kurde a été remplacée par le « Confédérationalisme démocratique », c’est-à-dire une administration politique non étatique. Lors du septième Congrès du parti en 2000, le PKK a effacé définitivement le marxisme de son programme. La nouvelle stratégie se basait sur une autonomie démocratique dans le cadre d’une république turque démocratique. Désormais les décisions sur le peuple kurde opprimé ne devaient plus être prises dans le cadre du « socialisme » mais dans celui d’une Turquie « démocratique », mais capitaliste. Dans les autres parties du Kurdistan, en Iran, en Irak et en Syrie, le PKK souhaitait également l’autonomie démocratique. Le PKK estime alors que les frontières démarquées par les impérialistes ne sont plus légitimes.

Les attaques militaires contre le PKK ont eu des coûts très élevés pour l’État turc. L’État en a trop demandé à l’appareil militaire après des décennies de guerre civile. Quand l’AKP arrive au pouvoir en 2002 la Turquie était alors submergée par une crise économique profonde. La bourgeoisie turque a commencé par une restructuration économique néolibérale interne dans l’armée et promettait une démocratisation de celle-ci, soi-disant pour enlever le pouvoir à l’armée. Cependant, il n’y a pas besoin de dire que toute tentative d’intervention parlementaire de la nation kurde était liquidée par la répression et l’exclusion de la part de la Turquie.

Le processus de paix avec Erdogan, le sanguinaire du Bosphore

Au bout d’un moment les dialogues “non officiels” ont commencé entre le PKK et l’Etat turc, à Oslo, Norvège. Les deux parties avaient des expectatives différentes : le PKK exigeait une amnistie, une autonomie démocratique et la reconnaissance des différentes identités culturelles ; l’Etat turc de son côté aspirait à dissoudre toute structure du PKK et à utiliser le nord du Kurdistan comme pont d’opérations vers d’autres parties du Kurdistan et du Moyen Orient. Cette phase a été marquée par des négociations secrètes avec des promesses vides et la continuité de l’oppression du peuple kurde.

En 2009 un processus parlementaire commence et débouche sur l’interdiction du parti kurde DTP. Les kurdes fondent un autre parti, le BDP. Celui-ci s’allie avec d’autres mouvements réformistes et libéraux turcs pour former le HDP.

Les succès à Rajova, dans la partie occidentale du Kurdistan en Syrie, ont eu une importante influence sur l’évolution du PKK. Le PYD, l’organisation sœur du PKK, a formé des structures autonomes durant la guerre civile en Syrie. Elle est ensuite rentrée dans une alliance dirigée par les Etats Unis, pour lutter plus « efficacement » contre Daesh.

La lutte de Rajova a été un fait historique pour le mouvement kurde et a obtenu une grande reconnaissance internationale. Mais le compromis avec les Etats Unis crée des tendances pro-impérialistes entre les kurdes car on ne dénonce pas le rôle de l’impérialisme dans ce conflit. Bien qu’il y ait des aspects très progressistes à Rajova et notamment ses éléments d’autogestion, le mouvement continue à maintenir le principe de défense de la propriété privée des moyens de production. La propriété privée est protégée légalement à Rajova.

Après la défaite électorale de l’AKP le 7 juin 2015, qui a empêché que celui-ci gouverne en solitude, les assauts contre le peuple kurde se sont renforcés. La période jusqu’aux élections du 1er novembre a été marquée par des arrestations massives et des massacres.

Les contradictions entre le HDP et le PKK sont devenues évidentes car le HDP essaye d’être un parti de masses et cherche des soutiens parmi des secteurs qui sont historiquement liés à l’Etat turc, comme la bourgeoisie kurde et les libéraux turcs.

Une tromperie radicale : entre guérilla et des négociations

Le PKK prétend « démocratiser la Turquie », mais toujours en respectant la propriété privée des moyens de production. Pour essayer de convaincre des secteurs de la bourgeoisie de son programme démocratique, il écarte l’option de s’approprier les usines et les mettre sous contrôle ouvrier. Cependant, cela serait nécessaire par exemple pour apporter un soutien logistique à la reconstruction de Rajova.

Le HDP a aussi ignoré la grève des travailleurs de la métallurgie le printemps dernier pour obtenir les voix des secteurs bourgeois et petit-bourgeois. Ces travailleurs n’ont pas été convaincus par le programme du HDP car il ne défendait pas les intérêts ouvriers.

Un des principes que le marxisme défend c’est le droit à l’auto-détermination des peuples, le kurde dans ce cas contre l’Etat turc, même si le mouvement est dirigé par des directions petite-bourgeoises (voir bourgeoises). Le stalinisme et le centrisme ont transformé ce principe en un modèle dans lequel la classe ouvrière abandonne sa lutte pour exercer son hégémonie dans le mouvement et se soumet aux forces petite-bourgeoises.

Cependant, l’axiome fondamental de défendre le droit à l’auto-détermination des nations opprimées n’implique pas que les marxistes révolutionnaires se subordonnent aux autres courants politiques du processus. Le chauvinisme de la gauche d’aujourd’hui consiste à ne pas prendre en compte les demandes de la classe ouvrière kurde, et compromet la possibilité d’un processus de révolution permanente au Kurdistan.

Dans l’histoire du peuple kurde il y a plusieurs insurrections historiques. La lutte du PKK est possiblement l’une des plus importantes. Cependant, la tragédie du peuple kurde s’explique en partie par la politique conciliatrice de sa direction qui freine les forces des travailleurs et des masses pour pouvoir négocier « pacifiquement » avec l’Etat turc. Elle essaye de faire pression pour que celui-ci devienne un Etat bourgeois « démocratique ».

Comme l’histoire de ces 50 dernières années l’a montré, il n’est pas possible de le réformer, la seule solution c’est la lutte pour construire quelque chose de complètement différent sur ses ruines.


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