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Première guerre et second tour

Hollande et Xavier Bertrand à Arras. Leur fraternisation et la nôtre

Jean-Patrick Clech et Damien Bernard Toute occasion est bonne pour falsifier et instrumentaliser l’histoire. Celle qui commence avec un « H » majuscule tout comme l’actualité politique qui nous passe sous le nez et qui révèle à nouveau, avec ce second tour des régionales, une profonde crise des mécanismes de représentation de la cinquième République et du régime des partis droite-gauche. Le dernier exemple en date de ce genre d’opération concerne l’inauguration, hier, par le président de la République, en présence du futur président de la région Picardie-Nord-Pas-de-Calais, du monument en souvenir de la fraternisation entre soldats français, britanniques et allemands au cours de Noël 1915, sur ce même front du Nord.

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L’instrumentalisation, hier, s’est jouée à deux niveaux. D’une part, dans la façon dont a été présenté, dans les médias, la célébration de la fraternisation entre soldats ayant combattu les uns contre les autres pendant de longs mois, dans la boue de tranchées opposées, au cours de l’hiver 1915 et, de l’autre, l’opération politico-médiatique consistant à « courtiser la droite », selon Le Monde, et dont le de Hollande en Artois n’est qu’un des volets.

Fraternisation dans les tranchées et combat contre la guerre. Ce que la république ne dit pas

En décembre 1915, donc, comme cela est illustré dans le film de 2005 de Christian Carion, Joyeux Noël, des soldats allemands, français et anglais, sortent de leurs tranchées et, l’espace de la Nativité, fraternisent, au grand dam des états-majors respectifs. Longtemps cette histoire sera gardée au secret par les galonnés, pour les raisons que l’on imagine. La boucherie, en effet, durera aussi longtemps que la menace de la révolution ne forcera à l’armistice les principaux antagonistes, à l’automne 1918. A l’époque, en 1915, dans ses « Carnets » qui ne seront publiés aux éditions Maspéro qu’en 1977, Louis Barthas, ouvrier et militant socialiste et pacifiste, mobilisé contre sa volonté, témoin et acteur de cette histoire de fraternisation écrit : « peut-être un jour sur ce coin de l’Artois on élèvera un monument pour commémorer cet élan de fraternité entre des hommes qui avaient l’horreur de la guerre et qu’on obligeait à s’entre-tuer malgré leur volonté. ».

C’est donc en feignant de respecter la volonté de Barthas qu’un monument a été inauguré à Neuville-Saint-Vaast, dans la banlieue d’Arras, ville martyre de la Première Guerre mondiale, théâtre, il y a un siècle, de ces scènes de fraternisation. Exit, en revanche, la trajectoire de Barthas de même que les ressorts profonds ayant conduit les soldats à mettre la crosse en l’air l’espace de quelques heures. L’occasion, certes, était Noël, mais tout cela témoignait de la conscience existante et grandissante, dans les armées, que même si l’on disait mourir pour la patrie, comme écrivait à l’époque Anatole France, c’est en réalité pour les industriels et les marchands de canons que les poilus de toutes les armées s’entretuaient.

Pour Philippe Rapeneau, le président de la communauté urbaine d’Arras, le monument inauguré est le « seul monument sur la planète commémorant un acte de paix en pleine guerre », une façon pour mieux passer sous silence que dans ces scènes de fraternisation, ce n’était pas juste le désir de « paix » qui s’exprimait, mais également les symptômes de l’insoumission dans les armées et à l’arrière qui allait déboucher sur les grèves et les mutineries de 1917, autant de mouvements concomitants de cette grande grève et insoumission qu’a été la Révolution russe de février puis octobre. Rapeneau, par ailleurs, n’a pas hésité à rajouter une couche en faisant de ces scènes de fraternisation les ancêtres « des grands gestes qui ont préfiguré l’Europe de la paix ». En pleine Union sacrée en défense de l’état d’urgence et alors que Hollande a lancé son énième guerre impérialiste, tout ce que Barthas et les militants socialistes, pacifistes et internationalistes qui avaient été trahis par leurs dirigeants haïssaient sont remis au goût du jour en leur mémoire. On fait semblant donc semblant de célébrer la paix pour mieux valider le présent.

Courtiser la droite et mettre hors-jeu Sarkozy. Le projet de l’Elysée

Hollande, cynique, comme de coutume, et comme à son habitude, en se gardant bien de le montrer, l’inauguration a été une façon également de continuer à faire de la politique, cette fois-ci sur le dos des soldats tués au cours de la Première guerre. Ses ennemis désignés ? Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen. Les armes choisies ? La défense et l’illustration du « barrage républicain » qui a permis aux socialistes de limiter la casse lors du second tour des régionales de dimanche.

« Je voulais être parmi vous, dans un contexte particulier », a commencé par indiquer François Hollande à l’assistance. A ses côtés, les caciques locaux du Parti Socialiste, bien mal en point, mais également l’ancien président de la région Picardie, Daniel Percheron, mais aussi et surtout le président de droite du Sénat, Gérard Larcher, et le nouveau président de la région Picardie-Nord-Pas-de-Calais élu avec le soutien de Manuel Valls et Jean-Christophe Cambadélis, Xavier Bertrand.

Le déplacement de Hollande, prévu depuis un an, selon son entourage, « ne doit rien au hasard », selon Percheron. Pourtant tout porte à croire que ce crochet du président à Neuville-Saint-Vaast n’était pourtant pas prévu au calendrier officiel. Il a été ajouté en toute hâte, à l’agenda présidentiel, mercredi après-midi, avant son départ pour Bruxelles où il assistera à un Conseil européen. Percheron poursuit alors, l’inauguration du « Monument des fraternisations » de la guerre 14-18 est un « symbole fort », « ils montrent que nous sommes capables de faire de la politique autrement ». Le parallèle est ainsi fait entre la fraternisation entre soldats français, britanniques et allemands durant noël 2015 et le « 21 avril » régional, qui a vu « fraterniser » les « ennemis » de toujours le PS et LR pour faire « barrage » au FN. Il s’agit non seulement de falsifier l’histoire mais de l’instrumentaliser à des fins politiques.

Le « barrage républicains » de Hollande-Valls-Cambadelis face au FN avait fonctionné lors du 13 décembre. Une partie « peuple de gauche » qui s’était abstenu de voter au premier tour pour « l’austérité » et les politiques du gouvernement PS empruntées à l’extrême droite, avait été remobilisé au second tour par les appels au « vote utile » pour empêcher le Front national de diriger des régions. C’est dans la continuité de cette stratégie que Hollande et Valls courtise certains secteurs de la droite et notamment Xavier Bertrand, un des barons des Républicains, repositionné suite à sa large victoire sur Marine Le Pen en région Nord-Pas-de-Calais.

Avec la montée du Front National, dans la continuité des élections régionales, la course aux présidentielles, s’avère être une course fratricide à l’accession au second tour entre le PS, de Hollande-Valls et Les Républicains de Nicolas Sarkozy. Pour être au second tour, « le seul rassemblement de la gauche ne suffit pas », insiste Manuel Valls. Pour Hollande, l’objectif est de créer des lignes de rupture au sein des Républicains, et plus particulièrement contre Sarkozy. Pour cela, il s’agit de courtiser certains barons de la droite, plutôt enclins à faire de l’ombre, au président du parti de droite.

Cette stratégie à un certain écho à droite. En effet, certains secteurs des Républicains ne se font pas prier et prennent l’initiative. Jean-Pierre Raffarin a proposé cette semaine au gouvernement un « pacte républicain pour le chômage » face à la menace FN, une initiative que Manuel Valls a saluée publiquement. François Fillon, de son côté, a annoncé qu’il allait faire des propositions à François Hollande concernant notamment « le temps de travail, les seuils et l’allégement des charges pesant sur le monde agricole ». Et dès lundi, Xavier Bertrand, futur président de la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie, appelait le Premier ministre pour évoquer la situation des migrants à Calais.

Ces régionales ont permis de tirer certaines leçons. La montée du FN, même si elle s’est confirmée durant ces régionales, établissant son record en terme de voix, s’est heurtée au plafond de verre du second tour et du « barrage républicain ». Ainsi, le scénario d’une arrivée du FN au second tour des présidentielles garde toute son actualité. L’accession au dernier tour assurerait, le plus probablement, une victoire du PS ou des Républicains. Pour Hollande, dont le discrédit de sa politique persiste, l’instrumentalisation des attentats du 13 novembre, les alliances avec la gauche réformiste, qui a voté l’état d’urgence, ne suffiront pas. Il s’agit de courtiser des alliances de circonstance avec des barons de la droite, pour déstabiliser un Sarkozy, qui, malgré l’impasse stratégique dans laquelle il retrouve, coincé entre un Hollande lepénisé et le véritable FN, pourrait bien profiter de la logique de l’alternance, et des mécanismes de la cinquième république pour se retrouver au second tour des présidentielles.


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