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Concurrence acharnée

Hong Kong entre le cynisme de Beijing et l’hypocrisie de Washington

Le régime de Pékin tente de renforcer son contrôle autoritaire sur les « territoires périphériques » ; les États-Unis usent de toute leur hypocrisie se présentant comme des défenseurs de la « démocratie » tout en dissimulant ses vraies intentions.

Philippe Alcoy

30 mai 2020

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Crédit photo : DR

Ce jeudi l’Assemblée Nationale Populaire a voté lors de sa rencontre annuelle une nouvelle loi de sécurité nationale à Hong Kong. Sur les près de 3000 « délégués » il y a eu une voix contre et six absentions. Cette nouvelle loi implique une accentuation du contrôle de Beijing sur la cité-Etat autonome. Sous prétexte de prévenir et punir tout acte « de séparatisme, de subversion, de terrorisme et d’ingérence étrangère », cette loi permet aux autorités de la Chine continentale de déployer dans l’ex colonie britannique des forces de sécurité. Une première version plus détaillée sera présentée dans les prochaines semaines et devra être promulguée par les autorités hongkongaises, alliées de Beijing.

Cette offensive de la part du régime chinois sur l’un de ses « territoires périphériques » menace clairement les particularités de Hong Kong par rapport à la Chine continentale : la liberté de presse, de réunion, de critique vis-à-vis du pouvoir, entre autres. C’est pour cela que dès l’annonce de l’intention du gouvernement chinois d’adopter une telle loi des manifestations ont eu lieu dans la ville. Du côté des puissances étrangères, les États-Unis en tête, on a dénoncé hypocritement la « menace contre la démocratie » que constituait cette décision. Les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Australie et le Canada ont ainsi déclaré que Beijing serait en train de rompre ses engagements internationaux contenus dans son accord avec l’impérialisme britannique quand celui-ci a « rétrocédée » Hong Kong à la Chine après une longue période de domination coloniale.

Les raisons internes de l’offensive du régime chinois

Il y a des raisons d’ordre interne et externe qui expliquent la décision des autorités chinoises, et elles sont liées. Du côté des éléments de politique interne nous devons mentionner le mouvement de contestation à Hong Kong déclenché il y a presque un an. Celui-ci avait commencé face à l’intention du régime chinois d’adopter une loi permettant le transfert de détenus hongkongais vers la chine continentale. Cela a cependant ouvert une contestation plus générale du gouvernement de Carry Liam très liée au pouvoir à Beijing. Bien que les mesures de quarantaine, entre d’autres facteurs, aient favorisé un arrêt des mobilisations, la contestation reste forte. Et cela s’est vu en effet avec la reprise de la contestation, et de la répression, suite à l’annonce du gouvernement de son intention d’adopter la nouvelle loi de sécurité nationale.

Comme on peut le lire dans le Washington Post : « Cette loi est la mesure la plus audacieuse prise par Pékin pour miner l’autonomie de Hong Kong et constitue une réponse directe aux manifestations pro-démocratiques qui ont éclaté dans l’ancienne colonie britannique l’année dernière. Ces protestations entrent dans la catégorie des activités sécessionnistes et de la subversion du pouvoir de l’État sous la nouvelle loi ».

Ainsi, le gouvernement chinois avec cette loi tente de passer à un niveau supérieur de répression pour mettre fin à la contestation hongkongaise. Mais cette agressivité renouvelée du régime chinois vise également d’autres territoires « périphériques », à commencer par Taïwan mais aussi contre les Ouïgours. En effet, plus la Chine est mise sous la pression de ses compétiteurs externes, plus le régime est mis sous la pression d’une situation économique dégradée, plus le gouvernement augmente son discours nationaliste pour consolider un plus fort contrôle politique et social afin d’écraser toute potentielle contestation.

La pression de la concurrence internationale

Ainsi, nous arrivons aux raisons extérieures qui poussent le gouvernement chinois à prendre une position plus offensive vis-à-vis de Hong Kong. En effet, la Chine a en quelque sorte profité d’une période relativement longue et pacifique de croissance de son économie et de son influence au niveau international. Avec la dégradation de la situation économique internationale, accélérée par la pandémie de Covid-19, et l’accentuation de la concurrence internationale avec d’autres puissances, notamment avec les États-Unis, on peut dire que cette période de relative expansion pacifique est finie. Cela implique une politique plus hostile et agressive des autres puissances à l’égard de la Chine ; et en même temps cela pousse la Chine à adopter, elle aussi, une posture plus agressive. La Chine doit alors avoir un contrôle plus fort sur les territoires que la Chine considère siens et qui pourraient servir de point d’appui pour l’hostilité étrangère, nord-américaine en premier lieu, comme le sont Hong Kong et Taïwan.

Comme dit Rodger Baker dans Stratfor : « Compte tenu des efforts internationaux croissants visant à limiter l’essor économique et politique de la Chine, Pékin ne peut pas permettre que Hong Kong, une ville chinoise, reste un défi pour le pouvoir central. La politique d’un pays, de deux systèmes n’a plus d’écho, et laisser Hong Kong livrée à elle-même n’aide plus la politique chinoise à l’égard de Taïwan (...) Et pour le monde, cela signifie que la Chine utilisera sa puissance politique, économique et, si nécessaire, militaire pour affirmer sa souveraineté sur sa périphérie, y compris Taïwan et la mer de Chine méridionale ».

L’hypocrisie occidentale

Les puissances impérialistes occidentales évidemment en train de profiter pour alimenter leur campagne de ternissement de l’image internationale de la Chine afin d’endiguer sa progression sur l’arène mondiale. Les États-Unis sont le pays qui observe la position la plus hostile à l’égard de Pékin. C’est ainsi que Mike Pompeo, le secrétaire d’État nord-américain, a déclaré qu’après le vote de cette loi, les États-Unis ne pouvaient plus considérer Hong Kong comme étant autonome vis-à-vis de la Chine continentale. « Alors que les États-Unis espéraient autrefois qu’un Hong Kong libre et prospère servirait de modèle à la Chine autoritaire, il est aujourd’hui clair que la Chine façonne Hong Kong », a-t-il dit.

Cette décision du gouvernement nord-américain vise bien évidemment à faire pression sur Beijing, mais elle pourrait avoir des conséquences importantes pour Hong Kong elle-même. En effet, cela signifie que la Cité-Etat pourrait perdre son statut spécial vis-à-vis des États-Unis qui lui permet d’échapper aux taxes douanières et certaines restrictions appliquées à la Chine continentale. Cela met en danger la place de Hong Kong en tant que place financière mondiale.

Bien que pour le moment on ne sache pas exactement quelles seront les conséquences pratiques de cette décision, il est clair que le gouvernement Trump devra penser quelles mesures prendre sans que cela affecte démesurément la population hongkongaise, ce qui pourrait créer un terrain propice à un certain anti-américanisme. En même temps, le gouvernement chinois se tient dans une posture feignant être prêt à « sacrifier » la place financière de Hong Kong ; nous verrons dans les prochaines semaines jusqu’où iront les deux.

Cependant, ce qu’il est clair c’est que la concurrence entre la Chine et les États-Unis n’a rien à voir avec la « défense de la démocratie ». Il s’agit d’une concurrence stratégique sur plusieurs plans liés entre eux : économique, commercial, militaire, technologique, etc. En ce sens, même si la Chine était un régime démocratique libéral, la concurrence entre les deux pays persisterait. Les États-Unis tentent d’utiliser une énième fois le prétexte de la défense de la démocratie pour atteindre ses propres objectifs impérialistes. Cette hypocrisie est d’autant plus évidente quand on pense à différents alliés importants de l’impérialisme nord-américain dans le monde comme les ultraréactionnaires pétromonarchies du Golfe.

D’un point de vue de la classe ouvrière, des classes populaires et de la jeunesse de Hong Kong, tout en luttant pour préserver et élargir les droits démocratiques et les intérêts de classe, il est fondamental de s’opposer aux tentatives de manipulation de l’impérialisme nord-américain qui n’est nullement un allié dans la lutte contre la bureaucratie de Beijing. En ce sens, leurs principaux alliés sont les travailleurs et les classes populaires de la Chine continentale.


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