DE CASAPOUND AU BASTION SOCIAL

Identitaires : à la droite du Rassemblement national

Boris Lefebvre

Identitaires : à la droite du Rassemblement national

Boris Lefebvre

Néo-fascistes et identitaires, les visages de la nébuleuse à la droite du Rassemblement national sont multiples, en plein renouveau et... en plein essor. Du Bastion social à la Citadelle, les fachos expérimentent de nouveaux moyens de lutte mais conservent toujours les mêmes idées réactionnaires.

Bastion Social et Citadelle : les identitaires font « du social »

De Lille à Lyon en passant par Strasbourg, les lieux dédiés à la promotion des idées et de la mouvance identitaire ne cessent de se multiplier partout dans l’hexagone. Cette nouvelle tendance qu’on voit se structurer depuis quelques temps surfe sur les thèmes de l’identité et de l’immigration qui se sont normalisés dans le débat publique depuis l’époque Sarkozy. Que ce soit le fait d’anciens du GUD (Groupe Union Défense), un syndicat d’extrême droite connu depuis les années 1970 pour sa violence et sa radicalité, ou de Génération identitaire, un groupe identitaire aussi connu pour ses actions coup de poing, toute une frange de l’extrême droite s’investit dans l’ouverture de lieux ancrés dans les centre-villes pour y faire la démonstration de leur politique.

En 2016, Génération identitaire ouvre la Citadelle, un bar identitaire, « Maison de l’Identité » comme il se définit lui-même. Le lieu, dédié à la culture flamande et à l’identité nationale dans la lignée du slogan « on est chez nous ! » que l’organisation d’extrême droite revendique, accueille un bar, une bibliothèque et un espace dédié à la boxe. Il sert également de lieu de réunion pour les militants emmenés par Aurélien Verhassel, le leader local de Génération identitaire. Ce dernier assume n’accepter que les « patriotes sincères » dans son établissement, ce qui signifie être européen, français et « de race blanche » comme il n’hésite pas à l’affirmer face aux caméras. Un documentaire en immersion réalisé par la chaîne Al Jazeera et diffusé en décembre 2018 démontre que les propos tenus par le gérant du lieux ne sont pas des paroles en l’air. Entre autres choses, le documentaire montre des militants identitaires revendiquer la remigration totale des musulmans, frapper une jeune femme voilée et faire référence au Troisième Reich.

Dans le même mouvement, le Bastion social se lance aussi dans l’ouverture de lieux destinés à diffuser les idées identitaires sur l’immigration et l’islam. Ainsi, en 2017, le « pavillon noir » est-il ouvert à Lyon par les militants de ce mouvement issu d’une recomposition du GUD et d’autres groupes d’extrême droite. Le local a vocation de loger des « français de souche », selon l’expresion qu’ils emploient, dans une optique de préférence nationale et de combat contre les migrants clairement assumée. Les militants de ce mouvement d’inspiration néo-fasciste revendiquent aider « les nôtres avant les autres ». Rapidement, la formule se décline dans d’autres villes à Aix-en-Provence, Chambéry, Marseille et Strasbourg toujours selon les mêmes modalités d’occupation de logements vides et de défense des nationaux contre l’immigration, le tout teinté de critique de l’individualisme et du libéralisme qui porte atteinte aux racines culturelles de l’Europe.

Alliant « action sociale » discriminante en faveur des « français de souche » et théorie du Grand remplacement, prêchée par le théoricien d’extrême droite Renaud Camus, les identitaires entendent défendre leur vision d’une « race européenne » construite de toutes pièces. Le spécialiste de l’extrême droite Jean-Yves Camus décrit cette frange de l’extrême droite comme mouvementiste, « privilégiant l’activisme et l’intervention sociale sur la politique électorale », c’est-à-dire fondant sa stratégie politique sur des actions coup de poing et spectaculaires ayant pour but d’interpeller la population et de la « réveiller ».

À titre d’exemple, la campagne « Defend Europe » lancée par Génération identitaire juste après l’adoption de la loi Asile et Immigration visait à contrôler la frontière des Alpes afin de stopper la soi-disante « invasion migratoire ». Épaulés par un hélicoptère et plusieurs véhicules, les militants identitaires ont déployé une immense banderole dans la montagne invitant les migrants à rentrer chez eux et fait des rondes afin de renforcer le dispositif policier déjà très conséquent. Ce genre d’action, qui s’inscrit dans la continuité de l’occupation de la mosquée de Poitiers en 2012, vise à provoquer les médias et à dénoncer la supposée islamisation de la France et le remplacement de sa population par les immigrés.


CasaPound : un modèle néo-fasciste italien

Le modèle revendiqué des groupes fascistes français vient d’Italie, avec CasaPound, un groupe néo-fasciste qui s’est constitué au début des années 2000 sous l’ère Berlusconi. Sur la base de l’occupation d’un bâtiment publique situé au 8 rue Napoléon III dans le quartier de l’Esquilin à Rome, le mouvement emmené par Gianluca Iannone, un expert en communication, se structure autour d’un discours défendant les italiens nationaux avant tout contre l’immigration on et la crise économique. Sur la base d’un discours ultra nationaliste, CasaPound défend à la fois un souverainisme économique racial, défendant une identité italienne fortement inspirée par la Rome antique. S’inspirant aussi du mouvement des centres sociaux autogérés que l’extrême gauche a structuré depuis les années 1970, CasaPound s’est rapidement taillé une place dans le panorama des lieux autogérés dans la capitale italienne. Le bâtiment occupé, également quartier général de l’organisation, accueille 82 personnes de manière permanente. Il se veut un contre-modèle aux centres sociaux de gauche en n’accueillant que des italiens. Aujourd’hui, le groupe comporte près de 4 000 membres et une quarantaine de sections sur l’ensemble du territoire italien.

Le mouvement CasaPound ne cache pas ses accointances avec le fascisme historique. Il le revendique même par sa référence constante à Erza Pound, un poète américain qui s’est revendiqué de l’Italie fasciste, mais aussi lorsqu’il revendique Mussolini lui-même. Parmi les autres personnalités liées au fascisme que le mouvement revendique citons Julius Evola, philosophe réactionnaire auteur d’ouvrages qui prônent un retour aux racines traditionnelles de l’Europe, Robert Brasillach, écrivain collaborateur du régime de Vichy, Léon Degrelle, collaborateur belge et membre de la Waffen-SS dans la division Wallonie ou encore Louis-Ferdinand Céline. Cette filiation est clairement affichée dans le QG de CasaPound sur une fresque murale qui reprend les 88 penseurs et hommes politiques dont le mouvement se réclame.

CasaPound investit le champ culturel au sens large du terme avec ses lieux autogérés où le groupe fait la promotion de ses idées. Ainsi, par l’intermédiaire de groupes de musique, d’activités sportives, d’une WebTV, d’une radio, d’un cinéclub, de librairies, de sa galerie d’art qui organise des expositions futuristes, ou encore ses revues Occidentale et Fare Quadrato, CasaPound développe un vaste réseau d’activités dans lequel il peut diffuser ses principes. Ces « fascistes du troisième millénaire » comme se nomment ses militants ont monté ainsi un réel réseau de contre-culture qui fait la force et le dynamisme du groupe néo-fasciste.

Mais là où CasaPound a montré sa capacité à agir et qui a fait sa renommée à l’échelle européenne parmi les groupuscules fascistes, c’est lors du tremblement de terre de L’Aquila en 2009. Le séisme touche le centre de l’Italie et cause de nombreuses destruction de bâtiments et provoque la mort de près de 300 personnes et l’évacuation de 25 000 personnes. CasaPound y déploie la Salamandre, son association de protection civile, et y fournit une aide humanitaire conséquente qui se veut dans la plus pure tradition fasciste d’aide aux siens. L’objectif derrière cette opération est de populariser le mouvement et de lui donner une image respectable auprès de la population. Dans le même ordre d’idée, CasaPound organise des voyages humanitaires dans des pays d’Afrique ou d’Asie afin de contre-carrer son image raciste mais aussi de faire en sorte que les personnes vivant sur ces continents n’émigrent pas en Europe.

Porosité avec le Rassemblement national : un bureau politique identitaire ?

L’influence des groupes d’extrême droite néo-fascistes sur le Rassemblement national est indéniable. Depuis que Soral et son association Égalité et Réconciliation ont été mis de côté par la direction du FN et qu’il n’ait donc pas réussi à infléchir l’orientation du parti d’extrême droite vers une alliance avec les immigrés et musulmans patriotes, c’est la ligne identitaire qui gagne du terrain. L’entourage de Marine Le Pen est d’ailleurs très largement composé de personnalités liées au fascisme historique à l’image de Frédérique Châtillon, ancien dirigeant du GUD et principal prestataire de service pour le FN et le RN. Dans le parti et chez ses militants, les idées identitaires sont également très diffusées. Les militants de Génération identitaire ne cachent pas leur sympathie pour le RN et n’hésitent pas à prêter main forte au parti quand ce dernier en a besoin. Toutefois, le RN reste officiellement distant avec les groupes identitaires qui affichent trop clairement leur filiation avec le fascisme. La stratégie électoraliste adoptée avec celle de la dédiabolisation et le changement de nom du parti explique que la stratégie identitaire ne soit pas celle mise en avant, même si les idées anti-migrants restent un axe priviligié dans le discours de Marine Le Pen.

Par ailleurs, les thématiques xénophobes sont très bien relayées par la droite et occupent déjà largement le devant de la scène médiatique sans que cela soit le fait d’une intervention directe du RN. Le débat des européennes du 10 avril dernier, diffusé sur Cnews, consacrait une heure sur les trois que durait le débat aux thématiques « Immigration : Europe passoire ou forteresse ? » et « Liberté, égalité, fraternité... Identité ». Le RN se positionne sur ces thématiques dans une posture de fermeté et d’intégrité laissant entendre que, s’ils ont le pouvoir, leurs actes seront conformes à leurs paroles. En attendant, la loi Asile et immigration, portée par Gérard Collomb, et la déchéance de nationalité, prônée par Hollande dans la foulée de l’attentat au Bataclan, donnent déjà suffisamment à voir une politique de répression féroce contre les migrants et une stigmatisation des populations musulmanes très avancée.

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