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Royaume-Uni

Impérialiste, colonialiste, anti-ouvrière : qui était Elizabeth II et pourquoi ne la regretterons-nous pas ?

« Une reine d’exception », « une source d’inspiration » : depuis jeudi, les éloges envers la reine Elizabeth II ne tarissent pas. Et pour cause : les grands de ce monde saluent celle qui, tout en étant à la tête d’un vestige des temps féodaux, aura été l’une des figures du colonialisme anglais ainsi qu’un soutien fidèle de l’offensive du gouvernement et du patronat britanniques contre les travailleurs.

Irène Karalis

9 septembre 2022

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Crédits photo : Anwar Hussein

« Une reine d’exception », « de vaillance », une « source d’inspiration » … De Macron à Poutine, dans les journaux, sur les réseaux sociaux et parmi les personnalités politiques et artistiques, les éloges envers la reine Elizabeth II ne tarissent pas depuis hier. Mais qui a été la reine Elizabeth II, et doit-on vraiment la regretter ?

Elizabeth II, figure d’une royauté coloniale

La reine Elizabeth II est d’abord la figure d’un empire dont elle prend la tête dans une période de déclin. Tout au long de son règne, elle cherche à freiner la décolonisation et à maintenir la mainmise de l’Empire britannique sur ses colonies. Comme le note Le Monde : « Pour permettre de garder l’Inde, devenue une République en 1950, dans le giron de la Couronne, le titre de la nouvelle souveraine est modifié. Alors que son père, George VI, était “ roi des dominions britanniques d’outre-mer”, Elizabeth II régnera sur “ses autres royaumes et territoires ”. Le “royaume”, qui désignait la totalité de l’Empire britannique, renvoie désormais à une série d’États, non nécessairement “britanniques” et qui peuvent être des Républiques. »

Dès son accession au pouvoir en 1952, elle devient le visage de l’État britannique qui réprime violemment les peuples qui osent contester sa domination. Au début des années 1950, des combattants nationalistes prennent les armes et organisent la résistance à l’oppression britannique au Kenya lors de la révolte des Mau Mau. Le Royaume-Uni déclare à ce moment l’état d’urgence et entame une répression brutale contre les populations colonisées qui s’étalera de la première année de règne d’Élizabeth jusqu’en 1960. Officiellement, 11 000 rebelles auraient été tués. Mais plusieurs sources non-officielles estiment que le nombre de morts serait bien plus élevé : selon la Commission kenyane pour les droits de l’homme, 90 000 Kenyans exécutés, torturés ou mutilés, et 160 000 emprisonnés dans des conditions inhumaines.

En 1975, trois ans après le massacre de Bloody Sunday, la reine décore également le colonel Derek Wilford pour avoir été à la tête de la répression des manifestants irlandais. Ce dernier devient Officier de l’Ordre de l’Empire britannique, la « grande dame » le remerciant de ses services rendus à la politique d’oppression du Royaume-Uni en Irlande. Par la suite, la reine maintient les liens avec les pays qui prennent leur indépendance et, « en arrondissant les angles avec les anciennes possessions, [permet] au Royaume-Uni de jouer dans la catégorie supérieure à son poids réel. » Aujourd’hui, si l’Empire britannique a décliné et perdu la plupart de ses colonies pendant le siècle précédent, le Commonwealth lui permet d’entretenir des rapports coloniaux encore étroits et importants avec nombre d’entre elles.

Elizabeth II est une figure du colonialisme passé et présent du Royaume-Uni, à ce titre comme le note l’historienne jamaïcaine Rosalea Hamilton dénonce : « Lorsqu’on pense à la reine aujourd’hui, on pense à une gentille vieille dame [...], mais la fortune de sa famille a été bâtie sur le dos de nos ancêtres. »

Elizabeth II : entremetteuse de l’impérialisme britannique jusqu’à sa mort

Elizabeth II joue par ailleurs parfaitement son rôle d’entremetteuse entre l’impérialisme anglais et l’impérialisme américain. En 1991, elle adoube le colonel Norman Schwarzkopf Jr. après que les deux pays aient collaboré pour bombarder l’Irak pendant la dernière phase de la Guerre du Golfe. Ce dernier estimera à ce propos que « les Irakiens ne méritaient pas d’être comptés parmi les victimes. » Douze ans plus tard, en pleine guerre d’Irak, la reine reçoit dans son palais George Bush et le secrétaire d’État des États-Unis Colin Powell, vétéran du Vietnam qui a couvert les crimes de l’armée américaine pendant la guerre. Parmi ces derniers, le tristement célèbre massacre de My Lai, pendant lequel un groupe de soldats américains tuent de sang-froid environ 500 civils, dont des enfants et des bébés.

En 2008, elle reçoit également l’ancien premier ministre d’Israël Shimon Peres, orchestrateur du massacre de Qana au Sud du Liban, faisant 106 morts civils des mains du colonialisme israélien. Elle le décore de l’ordre de Saint-Michel et de Saint-Georges et s’affirme « très attristée » par sa mort en 2016, s’assurant d’entretenir les liens profonds qui unissent Israël et le Royaume-Uni depuis la déclaration Balfour.

Reine sous Thatcher et le tournant néolibéral : un modèle pour la bourgeoisie mondiale

Elizabeth II aura également été un pilier du régime sur le plan intérieur, en particulier durant les années 1970 et 1980 et l’offensive néolibérale de la bourgeoisie contre la classe ouvrière. Elle accompagne ainsi le gouvernement Heath dans ses premières attaques contre les travailleurs suite à la crise pétrolière, blocage des salaires en tête, et aide le gouvernement Wilson à traverser l’Hiver du mécontentement après qu’il ait voulu plafonner l’augmentation des salaires à 5%.

Si la reine exprime des critiques envers la politique antisociale de la première ministre, ce n’est que par crainte que la colère explose dans le pays à cause de l’avalanche d’attaques contre la classe ouvrière. Cela ne l’empêchera pas de se dire « triste » à la mort de celle qui, durant son mandat, a baissé les impôts pour les plus riches et les salaires, limité le droit de grève et privatisé l’ensemble du pays. Il n’est par ailleurs pas anodin que Liz Truss, grande admiratrice de Thatcher, ait salué « l’une des plus grandes dirigeantes que le monde ait connues » après la mort de la reine.

Queen Elizabeth, symbole d’un vestige des temps féodaux

Finalement, du début de son règne en 1952 à sa mort, Elizabeth II aura été à la tête d’une des institutions les plus réactionnaires du Royaume-Uni : la monarchie. En contrepartie du rôle essentiellement symbolique que joue la reine dans la reproduction de la classe dominante anglaise, cette dernière lui permet d’être un corps parasitaire vivant sur le dos de la population.

Le coût des activités des représentants de la monarchie britannique a ainsi, en juin dernier, dépassé pour la première fois les 100 millions de livres sterling. Évidemment, les robes, les bouquets de fleurs, les déplacements en jets privés et les réceptions de la Couronne sont en grande partie financés par des subventions publiques qui, rien que pour l’année 2015-2016, s’élevaient à 40 millions de livres. Le patrimoine d’Elizabeth II quant à lui représente 500 millions de dollars d’actifs,, parmi lesquels une collection de timbres estimée à 75 millions de dollars et des chevaux d’une valeur de 10 millions.

Ce culte se poursuit avec la mort de la reine. Celui-ci a été baptisé « Jour-J » et les jours qui s’ensuivent seront désignés par « J+1, J+2, J+3 » et ainsi de suite jusqu’à son enterrement. Pendant la période de deuil, la BBC ne peut plus diffuser d’émissions comiques et les chaînes de télévision sont censées diffuser des documentaires déjà réalisés en l’honneur de la reine. Quatre jours après sa mort, le cercueil de la reine doit être porté lors d’une procession militaire du Palais de Buckingham au Palais de Westminster, où il est censé rester pendant quatre jours avant d’être exposé au public pendant 10 à 12 jours. Dans le même temps, les mesures prévues par le protocole « London Bridge » pourraient avoir un impact d’entre 1,4 et 6,9 milliards d’euros sur l’économie britannique et rien que le coût de son enterrement est estimé à 35 millions d’euros selon BFMTV. Même dans la mort, Elizabeth continue de dépouiller les travailleurs et les classes populaires.

Au grand dam des finances publiques, la mort d’Elizabeth II ne signifie cependant pas la fin de cette monarchie parasite. Ce vendredi, Charles III a prononcé son premier discours officiel en tant que monarque, le gouvernement doit lui prêter serment d’allégeance et 41 coups de canon doivent être tirés à Hyde Park. L’institution la plus rétrograde du Royaume-Uni a encore de beaux jours devant elle.

Impérialiste, colonialiste, anti-ouvrière et symbole d’une institution archaïque qu’elle aura brillement réussi à maintenir en place voilà qui était Elizabeth II et pourquoi nous ne la regretterons pas.

Elle aura été un puissant vecteur de stabilité pour la puissance impérialiste britannique et l’ensemble des gouvernements qui ont attaqués les travailleurs et des classes populaires. De ce point de vue, l’annonce hier de la suspension des grève est éminemment symbolique. Mais à rebours de l’approche des bureaucraties syndicale, alors que inflation devrait atteindre les 13 % au mois d’octobre, l’urgence est de se préparer aux combats à venir dans lesquels la monarchie comme le gouvernement de Liz Truss chercheront à faire payer les classes populaires.


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