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Impunité policière : retour sur la longue liste d’affaires classées sans suite

Les affaires de violences policières ont toutes en commun de se terminer par un mutilé, un blessé ou un mort. Du moins, si l’on considère que la violence s’arrête là, car, en réalité, après la violence physique vient l’impunité des coupables, et son cortège de violences morales. Violences policières et quasi-impunité des agents vont de pair et forment l’un des outils de pression et de répression de la classe gouvernante.

22 juin 2020

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Le 2 juin, 40 000 personnes se sont réunies devant le Tribunal de Paris, en réaction à une nouvelle expertise dans l’affaire Adama Traoré innocentant les policiers. Le 13 juin, ce sont plus de 100 000 personnes qui se réunissaient Place de la République contre les violences policières et pour exiger « Justice et Vérité » pour toutes les victimes.

Lorsque l’on regarde de plus près les procédures judiciaires qui suivent des faits de violences policières ayant entrainé la mort de victime, une expression revient très souvent : « violence ayant entrainer la mort sans intention de la donner » ; une autre beaucoup plus rarement : « meurtre ». Reportons-nous au code pénal, dont l’article 222-7 dispose que « les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner sont punies de quinze ans de réclusion criminelle » et l’article 221-1 que « le fait de donner volontairement la mort à autrui constitue un meurtre. Il est puni de trente ans de réclusion criminelle ». Ces peines ayant beau être des plafonds, les condamnations prononcées par les tribunaux envers les policiers coupables en reste toujours extrêmement éloignées.

Des condamnations quasi-inexistantes

Au regard du nombre de ces « affaires » que nous appellerons par leurs noms : violences policières, les condamnations ne sont pas nombreuses, et tentent toujours de profiter de l’effet d’individualisation. Jamais de remise en cause de l’institution policière, seulement des écarts individuels, pas d’actions violentes, mais des situations tendues, pas de meurtre mais une mauvaise interprétation du danger. Ces violences, ayant parfois entraîné la mort de la victime, ne manquent pas, et si les faits, le contexte et le passé judiciaire de la victime sont souvent bien connu, ce dernier élément étant d’ailleurs souvent utilisé pour légitimer l’action violente de la police, les finalités de l’affaire judiciaire restent, elles, souvent dans l’ombre. L’impunité policière est pourtant un outil de violence aussi terrible que « l’affaire » elle-même.

Le journal Basta Mag, a effectué une enquête et un recensement complet de toutes les violences policières ayant entrainé la mort de la victime sur ces quarante dernières années. Les exemples de « sous-évaluation pénale » n’y manquent pas. Prenons l’affaire Lahouri Ben Mohamed. Celui-ci est tué le 18 octobre par un CRS lors d’un contrôle routier. Une procédure judiciaire est effectivement lancée et le CRS est bel et bien condamné : dix mois de prison dont quatre avec sursis, soit six mois de prison ferme, bien loin des quinze ou trente ans de réclusion criminelle.
De même pour l’affaire Malik Oussekine, battu à mort par deux voltigeurs en marge d’une manifestation à Paris, dans la nuit du 5 au 6 novembre 1986. Le jugement est rendu quatre ans plus tard, le 27 janvier 1990. Les policiers sont condamnés, l’un à 5 ans, l’autre à 2 ans, tous deux assortis du sursis. Si ces condamnations, bien que minimes, ont d’ailleurs eu lieu, c’est en réaction à la pression de la rue et des manifestations massives après la mort du jeune homme.

Deux caractéristiques reviennent souvent, si ce n’est systématiquement : lenteur de l’enquête, légèreté de la peine. Les exemples sont légions parmi les plus de 600 cas de violences ayant entrainer la mort, relevés par le Basta Mag.

Outil de répression de la classe dominante

L’affaire Zyed et Bouna est particulièrement révélatrice. En 2005, deux adolescents fuyant un contrôle de police trouvent refuge dans un transformateur électrique. Les deux amis meurent électrocutés. Le tribunal relaxe les agents. Une illustration des plus criantes de cette impunité dont jouisse les forces polices appuyé par une justice au service de l’impunité policière. Et pour cause, Zyed et Bouna, comme des dizaines d’autres avant et après eux, ne comptent pas à leurs yeux. Malgré les grands discours sur ce tragique « incident », leur opinion transparait : ils n’appartenaient qu’à la masse grouillante des prolétaires, sans intérêts autre que d’être exploités.

De la même façon, Adama Traoré est tué par la police en 2016, le jour de ses 24 ans. En quatre ans, et malgré l’évidence de la responsabilité des policiers dans la mort du jeune homme démontrée par plusieurs expertises, ces derniers sont toujours libres.

Voilà la vue d’ensemble du tableau : violences policières et impunité des agents vont de pair et forment l’un des outils de pression et de répression de la classe gouvernante.

Les gilets jaunes : un nouveau tournant répressif

Cette réalité a explosé au grand jour avec les Gilets Jaunes. La répression fut féroce : mains arrachées, personnes éborgnées, passages à tabac, et mort de Zineb Redouane. La réalité de la police apparut alors même aux plus hésitants : une force de répression frappant tous azimut, la colonne vertébrale d’un gouvernement aux abois.

Des enquêtes sont ouvertes par l’IGPN, mais c’est toujours la même rengaine, documentée par David Dufresne et Mediapart dans un article récent : la situation étant confuse, impossible de savoir qui a tiré, il n’y a pas de d’images, les images ne sont pas assez précises, jusqu’à l’incroyable : « quand vous venez en manifestation, vous connaissez les risques non ? ». Classement sans suite.

Alors que des tribunaux zélés font pleuvoir les peines de prison ferme sur les Gilets jaunes, pour la police, c’est toujours la même impunité complice. La machine répressive brandit tour à tour la matraque et le code pénal.

Impunité policière : une partie consciente d’un système répressif

Ne nous trompons pas, l’impunité policière, de tout temps, n’est pas un malheureux disfonctionnement d’une institution à la dérive : c’est une partie consciente d’un système répressif. Il est alors absurde de compter sur l’IGPN, cette « police des polices », pour apporter la justice, lorsque son rôle est d’étouffer les victimes et d’enterrer les plaintes. De même que l’autre outil de répression qu’est la justice bourgeoise n’a aucun intérêt à punir plus sévèrement ceux qui protègent la classe à laquelle elle appartient.

En 1983, à Chamblay, dans le Jura, Laurent Weiss refuse, lors d’un contrôle routier, de se soumettre à l’alcootest. Il est tué d’une balle dans la poitrine par un gendarme. Le militaire est mis en détention provisoire, mais le parquet fait appel et obtient sa libération. Il sera relaxé à l’issu de son procès. Dans l’appel interjeté par le parquet pour demander sa libération de détention préventive, le procureur avait soutenu que cette libération était indispensable « pour éviter l’amplification des répercussions d’ordre psychologique et moral dans la gendarmerie, attendu qu’une crise de confiance de la gendarmerie envers l’institution judiciaire serait gravement préjudiciable à l’ordre public ».

Voilà qui est clair.


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