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Procès politique

Inculpé du 49.3. « Inscrire mon inculpation dans une démarche collective, pour la rendre visible et politique »

En cette rentrée, les procès pleuvent contre les manifestants et manifestantes de la mobilisation contre la loi Travail. Nous avons interrogé Valentin, étudiant à Paris 7 et arrêté lors de la manifestation du 5 juillet faisant suite au passage du 49.3. L'occasion de revenir sur la logique politique de cet acharnement répressif, et de partager nos moyens de lutte collective. Propos recueillis par N.

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Comment s’est passée ton interpellation ?

Je me déplaçais entre la nasse et le pont, où il y avait qu’une vingtaine de personnes nassée à ce moment-là. J’ai entendu les CRS dire qu’ils allaient confisquer le matériel des journalistes. Je suis revenu en arrière, me suis mis à côté des journalistes (en réalité des documentaristes) et à cet instant les CRS sont venus vers nous en courant. Ils ont gueulé pour avoir les cartes de presse tout en arrachant le matériel. Je leur ai demandé de se calmer verbalement et ils m’ont demandé ma carte de presse. Je leur ai dit que je n’avais pas de carte et ils m’ont traité de faux journaliste. Du coup ils m’ont pris par le sac à dos, par derrière, et m’ont mis de côté, et c’est là que c’est parti en cacahuète. Va savoir pourquoi, ils m’ont retenu les mains et un troisième est venu me faire une clef de cou lorsque j’étais à terre. Ils m’ont ensuite menotté. J’ai été amené au poste où j’ai été auditionné, puis en garde à vue durant 48h.

Les documentaristes ont été emmenés dans un autre commissariat. Le capitaine du lieu s’est excusé, leur a dit que les CRS étaient hors-la-loi, qu’ils avaient largement outrepassé leur droit. Ils ont donc été relâchés directement. Ça ne s’est pas passé de la même manière pour moi. Heureusement, il y avait Marianna, une documentariste qui est revenue sur le lieu de la manif le soir même, où elle a pu entrer en contact avec des personnes ayant assisté à mon interpellation. Ce qui a aidé.

Quand j’étais au commissariat, j’ai eu l’impression d’être un anti-héros, comme dans Le Procès de Kafka, parce qu’arrêté pour rien, accusé à tort et resté coincé dans une cellule pendant 48h sans savoir ce qui allait se passer. Au bout des 24h, elles se prolongent en 48h, et finalement j’ai été transféré au dépôt du Tribunal de Grande Instance de Paris. On te dit que tu vas passer direct, au final tu ne passes que le lendemain. J’ai passé au total 68h en cellule. C’est bien long, c’est bien bien long. Le lendemain je ne passe pas en comparution immédiate et c’est reporté.

Qu’est-ce qui a été retenu contre toi ?

Au commissariat c’était "participation à une manifestation interdite", "rébellion", "excitation des foules" et "filmer". Quand j’ai fait la confrontation avec le CRS, ils m’ont accusé d’"arrachage de ses insignes" et de l’avoir "malmené", "empoigné après avoir refusé de montrer mes papiers d’identité". Maintenant il ne reste plus que "rébellion" et "arrachage de ses insignes". Ils ont évacué le reste parce que ça ne tenait pas.

Comment as-tu vécu toute la procédure ? Émotionnellement, financièrement ?

Au niveau de l’argent c’est compliqué. Le montant total de la préparation de mon procès n’est pas encore fixé.

Je partais en vacances pour une semaine le lendemain de ma libération, où j’ai essayé de déconnecter avec l’ambiance parisienne. C’est épuisant parce qu’au début tu es tout seul, tu as juste ton avocate. Tu cherches des trucs à droite à gauche. J’ai passé mes mois de juillet et d’août à chercher des preuves, des vidéos. Les gens n’étant pas sur Paris cet été, tout s’est fait durant ces dernières semaines. Heureusement, mon amie Estelle de Paris 7, qui milite à RUSF (Réseau Universités Sans Frontières), s’est mobilisée pour moi. On a donc travaillé à deux là-dessus. Si elle n’avait pas été là, il n’y aurait pas eu de mobilisation étudiante à Paris 7, ni à Paris 1. Ce serait resté dans ma sphère. Elle est très militante, elle connaît les militants du NPA, la direction du département de sociologie de Paris 7, les syndicats étudiants de P7 et P1. C’était un peu une pépite pour moi. On se voyait 3-4 fois par semaine. Mon ancien directeur de recherche, Étienne Tassin, m’a aussi bien soutenu auprès de la direction de Paris 7 pour faire connaître l’existence de mon procès. Je l’en remercie car sans lui cela n’aurait pas eu le même écho. Kévin, un doctorant de la fac, nous a également aidés à communiquer.

L’été a été assez compliqué, puis je suis entré en contact avec Gildo, un des autres prévenus. Les contacts se sont multipliés, tout s’est accéléré. Au début tu es tout seul, tu dépenses énormément d’énergie à chercher des contacts. Une fois que tu en as, que tu es mis en relation avec des gens, t’as toujours des mails, tu passes ta journée à y répondre. Les gens qui se mobilisent pour toi, tu ne vas pas les laisser sans réponse. Du coup ça te prend beaucoup beaucoup de temps. Par chance il y a eu la "Coordination contre la Répression et les Violences Policières", dont je me suis rapproché et qui apporte un soutien de ce côté-là.

Le soutien que tu as reçu dans ces recherches a été matériel mais également moral ?

Oui, ça fait du bien dans le sens où t’es pas tout seul. Tu ne t’inscris pas dans une démarche individuelle, ce dont je n’avais pas envie, car pour moi ça s’inscrit dans un processus collectif, de répression collective. Ma démarche était d’inscrire mon inculpation dans une problématique collective, et du coup de faire en sorte de la rendre visible et politique, de ne pas se cantonner à un point de vue strictement judiciaire.

Que penses-tu de la "Coordination contre la Répression et les Violences Policières" ?

C’est sur le site de paris-luttes.info que j’ai appris qu’elle existait, qu’il y avait des réunions, et j’y suis allé il y a un mois. J’ai trouvé leur démarche très constructive et non-partisane, ce qui est vraiment agréable étant donné que je ne suis ni encarté ni militant dans un organisme en particulier.

Je pense m’y impliquer davantage, car c’est un collectif qui vaut vraiment le coup au niveau de la lutte pour les migrants, les sans-papiers, les procès des manifestants, la répression dans les quartiers populaires. Ça englobe tout un tas d’organismes différents qui convergent vers la volonté de créer une entité de lutte contre la répression. C’est un collectif réellement constructif, intelligent et posé. Il n’est pas dans l’émotion, il est réfléchi, avec des gens de tous âges et horizons. C’est agréable. C’est pas partisan.

La Coordination s’est créée avec le mouvement contre la loi Travail. Je n’ai jamais été militant, tout en ayant des convictions personnelles. Je m’y suis intéressé parce que ça faisait sens et que ça dépassait le cadre de la loi Travail.

Cette tactique de la répression judiciaire qui est dans le prolongement de la répression policière, qu’est-ce que tu en penses ? Comment l’as-tu vécue ?

Je ne parlerais pas de répression judiciaire en tant que telle. C’est les flics et le gouvernement. C’est plus politique que judiciaire. Réprimer le mouvement social, c’est un ordre des politiciens. C’est les flics qui décident d’intervenir ou pas, de faire beaucoup de zèle et de réprimer. Après la justice c’est une machine. Je pense qu’ils seraient contents d’avoir moins de personnes à juger.

C’est sûr que toute la préparation du procès est très énergivore, donc moi ça m’a usé. Je suis déjà cramé pour l’année à venir. J’ai pas vraiment eu le temps de me reposer, après toutes les manifs de fin d’année et l’été qui n’a pas été récupérateur. Depuis le 20 août j’ai grillé toutes mes cartouches d’énergie. Avec un report du procès, je vais toujours l’avoir en arrière-pensée, mais au moins je vais pouvoir avancer un minimum de mon côté, parce que toutes les procédures auront déjà été faites. Je vais pouvoir me poser et me concentrer un peu plus sur moi. C’est vraiment énergivore, on n’a pas idée à quel point. C’est pas tant le stress de la condamnation ou non. C’est le fait de la préparation du procès, chercher des témoins, des vidéos, des témoignages écrits, de courir après des gens, ... c’est très fatiguant, c’est éprouvant.

J’imagine que ça bloque tes objectifs personnels ?

J’ai le CAPES à préparer. Je me suis mis au chômage exprès pour le préparer, et du coup il ne faut pas que je me loupe. Pour l’instant, c’est un énorme frein. J’assiste juste aux cours mais c’est tout. Je ne peux pas lire entre les rendez-vous avec la presse, mon avocate, la Coordination, Estelle, mon ancien directeur de recherche. Je pourrais m’en foutre et laisser mon avocate faire, et puis ne pas considérer l’aspect politique de la chose, sauf que c’est hors de question.

Je suis allé à la manif du 15 septembre. Je m’investis dans la Coordination, sauf qu’à l’heure actuelle je n’ai pas eu le temps de m’engager. À part aller aux assemblées étudiantes, je n’ai pas eu le temps de m’inscrire dans des démarches concrètes. Il va falloir que je fasse la part des choses entre l’investissement que l’état de notre régime actuel demande et l’objectif de réussir le CAPES de philo. Ce qui ne va pas être évident avec la présidentielle à venir.

Valentin, qui devait passer en comparution comme quatre des six inculpés du 49.3 le jeudi 22 septembre, a vu son procès reporté faute de temps pour exploiter toutes les pièces du dossier, notamment des vidéos présentées pour sa défense. Son procès se tiendra le 5 janvier à 9h au Tribunal de Grande Instance de Paris.

Coordination contre la Répression et les Violences Policières : contacts

https://www.facebook.com/Stop-R%C3%A9pression-1005169382915113/

[email protected]

Caisse de lutte : https://www.tilt.com/fr/tilts/soutien-aux-personnes-victimes-de-la-repression

Page Facebook de soutien aux inculpés du 5 juillet : RELAXE pour les 6 inculpés du 49.3 https://www.facebook.com/groups/180754815683289/?fref=ts


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