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Répression et licenciement à la SNCF

Interview : « Je me suis agenouillé devant mes chefs pour dénoncer la soumission qu’on nous demande à la SNCF et on veut me licencier » 

Éric Bezou, cheminot sur le secteur de Mantes la Jolie depuis 27 ans, militant syndical reconnu et de toutes les batailles, est menacé de licenciement. Il est de tous les combats, de la bataille du rail à la défense des salariés sous-traitants du nettoyage ou gardiennage, des gilets jaunes à la lutte contre la répression en dehors et à l’extérieur de la SNCF. Aujourd’hui, la direction cherche à le licencier pour s’être agenouillé devant l’encadrement en demandant si c’était l’attitude que l’on attend de lui dans la SNCF de nos jours. Un rassemblement de soutien est organisé par ses collègues ce vendredi 26 avril à 9h30 sur le parvis de la gare Saint Lazare, sortie Cour de Rome.

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Éric n’est pas le seul militant syndical dans cette situation au sein de la SNCF, récemment nous avons relayé les cas de Rénald, Linda ou encore Fouad, des cheminots que la direction cherche à licencier pour des raisons totalement scandaleuses. Cette répression accrue montre la dégradation des conditions et de l’ambiance au travail au sein d’une entreprise qui subit les conséquences de la politique de casse du service public. Révolution Permanente a interviewé Eric qui nous raconte sa situation et la réalité dans l’entreprise aujourd’hui.

Révolution Permanente : Est-ce que tu pourrais nous expliquer ce que l’on te reproche exactement ?

Éric : D’abord je pense qu’il est important de revenir sur le contexte. En effet, je suis le seul de mon chantier à ne pas avoir le niveau 2 dans ma qualification, et cela fait 3 ans que les délégués alertent sur cette discrimination syndicale. Ce jour-là, le délégué m’a rapporté les prétextes de ce nouveau refus : « pas la posture d’un agent de maîtrise », « anxiogène ». J’ai été pris en entretien, juste après avoir eu cette information, je me suis agenouillé deux fois, devant mes chefs, mon N+1 et mon N+2 (DUO pour les cheminots), en demandant si c’était la fameuse « posture » attendue pour que mes droits soient respectés. Je n’ai été ni insultant, ni menaçant et encore moins violent. J’ai été, certes, insolent, mais l’encadrement a grossi le trait en prétendant que j’étais menaçant parce que le couteau à pain du réfectoire était sur mon bureau pour mon casse-croûte…

RP : Tu es un militant syndical aguerri, comment te retrouves-tu dans une telle situation ?

Éric : C’est une forme de burn-out. Durant l’année 2018, j’ai été confronté aux conséquences de la transformation de l’entreprise sur la « région test » de Saint-Lazare. J’ai géré la souffrance extrême des très nombreux collègues en dépression, longue maladie, maladies professionnelles, burn-out, etc. Je pense pouvoir affirmer être un lanceur d’alerte reconnu, étant donné la quantité d’interventions d’urgence et vitales que j’ai effectuées toutes ces dernières années. Également, les faits se sont passés le 20 mars, soit 10 jours après le 2ème anniversaire du suicide de mon meilleur ami, Edouard Postal, dont la SNCF ne peut nier avoir une part de responsabilité. Je n’aurais jamais du craquer sur mon cas personnel car je mets en difficulté l’ensemble des collègues qui comptent sur moi, mais il faut comprendre que les salaires SNCF commencent en dessous du SMIC (pour ceux qui nous croient privilégiés) et qu’il faut attendre d’avoir mon âge pour bénéficier d’un salaire correct. De plus, à 52 ans, chaque année perdue de mon déroulement de carrière me rapproche un peu plus d’une retraite misérable…

RP : Les faits ne semblent pourtant pas mériter une telle sanction…

Éric  : Il est évident que ce qui n’est qu’une impertinence, une insolence, ne devrait pas aller si loin, mais nous sommes aujourd’hui dans la SNCF de Macron, et il n’est pas d’actualité pour l’entreprise de me juger sur ces faits mais plutôt sur l’ensemble de mon travail syndical. Et c’est d’ailleurs ce qui transparaît dans les reproches. Un comportement « anxiogène » et la « posture d’agent de maîtrise » sont des références directes à mon discours syndical et depuis des années puisqu’une précédente appréciation, en 2017, était « relations toujours conflictuelles avec la direction de l’établissement », donc déjà mon engagement syndical. D’ailleurs j’ai été sanctionné pour avoir accompagné une collègue travailleuse handicapée chez le médecin du travail et pour avoir tweeté sur la souffrance au travail, pour avoir accusé la direction de discrimination pour raison de santé, etc… La direction se drape des écrits internes sur les « principes de comportement » ou les « règles de déontologie » pour sanctionner tous ceux qui ne courbent pas l’échine. Mon ami Edouard en a fait les frais le premier, à qui il était reproché de « soutenir le regard ». A l’époque, même des compagnes (cheminotes) des délégués avaient subi des mesures vexatoires à cause de l’engagement de leurs compagnons. Et je constate toujours au quotidien que tous ceux qui ne font pas acte de soumission subissent des mesures de rétorsion d’une bassesse inacceptable ! Notamment les agents reconnus handicapés, ou simplement en mauvaise santé, car il faut savoir que les gains de productivité exigés par l’entreprise pèsent directement sur eux par un processus mécanique automatique. Il faut savoir, en effet, que le paiement des arrêts maladie (IJSS dans le privé, prestations en espèce à la SNCF) est effectué par la SNCF elle-même (qui ne cotise pas). De fait, se débarrasser des agents malades en les poussant (fortement) vers la sortie amène des gains de productivité conséquents. Et c’est pareil pour les arrêts pour accident du travail, qui font l’objet d’une politique de masquage, de non déclaration. Situation difficilement acceptable quand on a un minimum d’empathie pour ses collègues…

RP : Tu parles de la SNCF de Macron, est-ce que tu pourrais expliquer ce que tu veux dire par là ?

Éric : Actuellement, la quasi-totalité des cheminots est en souffrance. L’entreprise est en réorganisation permanente et personne n’a de vision même à court terme. Certains ont vécu 3, 4, 5 suppressions de postes ou de services entiers dans les 10 dernières années. La direction réorganise en dépit du bon sens et ensuite revient même certaines fois sur ses projets absurdes. Mais le mal est fait pour les cheminots qui développent des pathologies professionnelles. Le médecin conseil de la caisse de prévoyance a constaté, très récemment, que 2 collègues avaient développé « une phobie de l’entreprise ». Voilà où en est la SNCF de Macron, qui est quelque part l’aboutissement de toutes les précédentes réformes, celle-là même qui affiche, à grand renfort de comm’, des enquêtes sur la « qualité de vie au travail » dithyrambiques !!! Alors que certains estiment que nous en sommes à 10 fois France Télécom dans l’entreprise, les représentants de la direction nie l’évidence, la simple réalité.

Et cette gestion de l’entreprise n’est même pas économiquement justifiée puisque le résultat est une épidémie de démissions et de départs négociés qui prive l’entreprise de sa richesse en personnel formé, compétent, expérimenté, ce qui est primordial en milieu ferroviaire pour assurer un service public de qualité.
Dans les faits, les pertes humaines semblent déjà être créditées et assumées, comme les condamnations devant les tribunaux. La ligne comptable de nos vies détruites apparaît dans le prévisionnel…

Au-delà de l’anecdote de mon cas, c’est bien le pseudo « nouveau monde » qui touche toute la population et les services publics en particulier, comme on l’a vu pour la souffrance des hospitaliers notamment. Cette société ultra-capitaliste qui nous amène vers la destruction de la planète, n’admet que la soumission totale et sans réserve, où la dignité n’a aucune place. On le constate dans la lutte des Gilets jaunes (qui nous montre la voie de la dignité par le fait de relever la tête) qui sont exposés à dessein aux violences policières dans le but de réprimer toute velléité de révolte.

Ce qui est sans nul doute anxiogène et incontestablement dangereux, c’est bien sûr toute cette politique d’entreprise, et pas les militants syndicaux qui, au contraire, essaient de défendre les conditions de travail et le service public. Et c’est le même cynisme que l’on reçoit en pleine figure, que l’on soit cheminot ou Gilet jaune, quand les responsables des pires ignominies appellent à la dignité et au respect… Totalement insupportable !!!

Rassemblement de soutien à Eric, vendredi 26 avril à 9h30, sur le parvis de la gare Saint Lazare, sortie Cour de Rome.


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