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Les amis de mes amis…

Jean-Luc Mélenchon, les bombardements, Alep et la Syrie

Développer une pensée politique n’est pas chose aisée. Surtout, lorsque la machine médiatique s’emballe et joue au bourrage de crâne et à la désinformation massive. Dans une interview sur Public Sénat le 11 octobre, Jean-Luc Mélenchon avait, d’après une dépêche de l’AFP, qualifié les crimes de guerre en Syrie de « bavardages ». La fausse information avait alors viralisé la toile, faisant fi de toute vérification. Ainsi, quoiqu’on pense du positionnement politique de Mélenchon, la propagande médiatique bat à plein pour mieux discréditer le candidat de la France Insoumise, laissant en parallèle à François Fillon et à Marine Le Pen tout le loisir de s’affirmer pro-russe jusqu’au bout. Cela étant dit, le fait que Mélenchon soit attaqué « sur sa droite » ne peut pas non plus servir d’alibi pour empêcher l’expression de divergences politiques et stratégiques « sur la gauche ». Damien Bernard

Damien Bernard

19 décembre 2016

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Pour entamer un débat sérieux avec les positions politiques de Jean-Luc Mélenchon, loin de la propagande médiatique, nous nous sommes essentiellement appuyés sur la dernière revue de la semaine 11 abordant notamment la question du Moyen-Orient et de la Syrie, ainsi que sur son programme pour 2017, L’avenir en commun. Pour les éléments plus théoriques, nous avons utilisé la dernière résolution politique issue du congrès du Parti de gauche, adoptée par le congrès de 2015.

Mélenchon, « l’ami des bombardements » ou propagande médiatique ?

Ces derniers jours, les témoignages des civils à Alep, les vidéos portant les « derniers messages » avant l’arrivée des forces loyalistes dans la ville répandus sur les réseaux sociaux, et publiés dans les journaux et sites d’information, ont provoqué une émotion mondiale. Bien que ce soudain intérêt médiatique a de quoi questionner, tant il garde de l’autre côté un silence macabre quant aux bombardements « démocratiques » qu’opère la coalition à Mossoul, mais aussi au Yémen, sous l’égide de l’Arabie saoudite, il a exposé devant les yeux de centaines de millions de personnes dans le monde le calvaire bien réel des masses syriennes sous le feu d’Assad et de ses alliés, notamment la Russie.

C’est dans ce contexte que les médias dominants ont ressorti des placards, à l’unisson, certaines déclarations de Mélenchon lors de l’émission « On n’est pas couché » de février dernier, où il y déclarait sans ambiguïté son soutien à la Russie et à Vladimir Poutine, vantant notamment l’action de la Russie en Syrie. Dans le même temps, les médias laissaient de côté son intervention sur Canal+, où Mélenchon avait estimé plus justement que « si on arrête » de « bombarder » la Syrie, « les attentats cesseront ». Dès lors, il était aisé pour les médias de faire de Mélenchon le meilleur ami de Poutine, laissant dans le même temps la droite et l’extrême droite saine et sauve lorsqu’ils soutiennent plus ou moins ouvertement Vladimir Poutine et Bachar al-Assad.

Face à la barbarie, s’indigner ou condamner ?

Lynché sur la place médiatique, le candidat de la France Insoumise, devenu « l’ami des bombardements » de la partie Est de la ville d’Alep, est revenu dans sa dernière émission mise en ligne sur Youtube jeudi, sur les « dernières heures ». Pour répondre à ses détracteurs, Mélenchon a expliqué être bouleversé par la diffusion des images en provenance d’Alep, « des bombardements que la ville est en train de subir ». « Comment peut-on penser qu’il y a une personne ici ou là qui aime les bombardements et leurs conséquences ? À ceux qui se posaient des questions, je leur dis que je suis comme eux : indigné, blessé », poursuit-il. « Bien sûr, les bombardements ont lieu à Alep, et ils sont terribles. »

Pourtant, là n’est pas la question. Que Jean-Luc Mélenchon se trouve « bouleversé », « indigné », « blessé », « écœuré » ou encore qu’il trouve « terribles » ces bombardements place la discussion sur un terrain personnel et moral. Ce dont il s’agit, pour toute organisation politique qui prétend représenter le mouvement ouvrier, c’est de prendre une position politique claire et déterminée pour condamner sans ambiguïté ce massacre planifié et perpétré par Bachar al-Assad et ses alliés, au premier rang desquels la Russie et l’Iran, ainsi que les atrocités des alliés des occidentaux. C’est notamment ce qu’ont dénoncé les anciennes composantes du Front de gauche, ayant aujourd’hui appelé à soutenir Mélenchon pour 2017, Ensemble ! et le PCF, ou encore EELV et bien entendu l’extrême-gauche, à savoir le NPA et Lutte Ouvrière.

Une guerre seulement pour le gaz et le pétrole, vraiment ?

« Le problème de la guerre en Irak et en Syrie, ce n’est pas la religion, ce sont les oléoducs et les gazoducs. (…) Ce sont des guerres traditionnelles pour l’accès aux matières premières et l’accumulation de la richesse. Et dans l’affaire de la Syrie c’est tout à fait ça au point de départ », déclarait Jean-Luc Mélenchon le 11 décembre à l’émission « Question politique ». Il précisait de nouveau dans sa revue de la semaine que « ce qui est en cause, à Alep comme à Mossoul, comme au Yemen, comme sur la frontière de la Turquie, c’est un plan d’ensemble qui font que se confrontent des puissances régionales qui, chacune, espère arracher un morceau du territoire de la Syrie ou se garantir le passage sur son territoire et l’accès aux richesses que représentent les gazoducs et les oléoducs. Rien d’autre. Rien d’autre. ».

Qu’il existe une propagande nauséabonde pour faire de ce qui se passe en Syrie une « guerre de religion » est juste. Que des intérêts géopolitiques et économiques soient en jeu semble être une évidence. Cependant, réduire ces guerres à « rien d’autre », c’est omettre que le début de la guerre en Syrie en 2011 a débuté avant tout par l’écrasement dans le sang des Révolutions arabes. Un soulèvement que Jean-Luc Mélenchon saluait lui-même en 2011, en affirmant que « le peuple veut la chute du régime ». En 2013, le PG condamnait cette fois-ci clairement les bombardements commis par le régime. « Après plus de 100 000 victimes tuées depuis le début du soulèvement en Syrie en mars 2011, et la destruction de régions entières du pays, le Parti de gauche dénonce le massacre à l’arme chimique de centaines de civils syriens le 21 août. Cette escalade dans l’horreur est inadmissible. »

Notre point de vue : les « intérêts de la France » ou celui du peuple syrien ?

Mélenchon a réexpliqué dans sa vidéo toute une série d’arguments qui lui permettent de se définir comme un « non-aligné ». Il s’oppose, notamment, à la politique de Hollande qui aurait choisi le camp de la puissance impérialiste états-unienne. Mélenchon dénonçait d’ailleurs une « une propagande mortelle » qui « interdit tout débat, toute critique, tout point de vue non aligné », dans une note de blog mercredi 14 décembre. Contre ceux qui auraient la tentation de s’aligner pour l’un des camps russe ou américain, Mélenchon tente d’ouvrir une troisième voie, celle d’une France indépendante pour retrouver les marges de manœuvre d’une souveraineté perdue, soumise notamment aux désidératas américains. « Notre point de vue, affirme-t-il, c’est celui des Français et des intérêts de la France ».

Pourtant, là encore, Mélenchon oublie que le seul sujet à même de décider si « la Syrie ne doit pas être démembrée », ce ne peut être en aucun cas le gouvernement français, ni même une « coalition universelle » sous l’égide de l’ONU, mais bien le peuple syrien lui-même. C’est la base même du droit à l’autodétermination des peuples, un peuple qui meurt aujourd’hui sous les bombes et la domination des pays impérialistes et des puissances régionales.

Une coalition universelle sous l’égide de l’ONU : pour quoi faire ?

« L’intérêt de la France c’est la paix. Pour arriver à la paix, il y a une méthode : la coalition universelle pour en finir avec Daesh », affirme Mélenchon dans sa dernière revue de la semaine. Quels seraient donc les acteurs et les modalités de cette coalition ? Le 14 décembre, il détaillait : « il s’agit d’une guerre du pétrole et des gazoducs qui n’a pas d’issue sans une coalition universelle ! Nul n’admet, contre les faits eux-mêmes, que ce sont les États-Unis et la France qui ont refusé la formation d’une coalition universelle avec la Russie pour combattre les bandes armées de Daech, Al Nostra [le Front Al-Nosra – NDLR] et compagnie ». Il précise ainsi dans son programme vouloir « mettre en place une coalition universelle sous mandat de l’ONU pour éradiquer Daech et rétablir la paix et la stabilité ».

Au-delà même de l’utopie actuelle d’un tel front, l’échec des négociations n’étant pas qu’une simple question de volonté mais le résultat d’intérêts géopolitiques, politiques et économiques divergents, cela illustre à proprement parler le type de coalition que Mélenchon viendrait à privilégier s’il était élu. Pourtant, de nombreux exemples ont illustré ces « solutions » onusiennes ou pseudo humanitaires qui n’ont été que des facteurs de déstabilisation du Proche et du Moyen-Orient au cours des vingt-cinq dernières années. On se rappelle notamment de l’intervention en Libye sous l’égide de l’ONU, soutenue à l’époque par Mélenchon, ou encore l’embargo criminel contre les peuples d’Irak, douze années durant, après la première guerre du Golfe.

L’ère des « guerres de l’Empire global » : à nouvelle période, nouvelles alliances ?

« Si demain, nous gouvernons la France, que ce soit lui, ou un autre ou moi, nous aurons à faire face à ce problème et à le régler, avant que la guerre ne se généralise ». Face à ceux qui au travers de leur politique attiseraient la guerre, « il faut raison garder », et éviter de se joindre « au bataillon de combattants médiatiques qui viennent chaque jour en rajouter pour appeler à la confrontation avec la Russie.Car c’est toujours la conclusion qui est tirée, c’est que compte tenu ce qui se passe là-bas, il faudrait qu’on se batte ici avec les Russes. » Une conclusion tirée au couteau qui laisse quelque peu perplexe. En filigrane, cela laisse penser que condamner fermement les bombardements russes pourrait bien envenimer la situation et déclencher une troisième guerre mondiale ?

Pour comprendre plus en détail le raisonnement du candidat de la France Insoumise, se plonger dans la résolution politique sortie du congrès du Parti de gauche de 2015 à Villejuif est très instructive. « Le monde est entré dans l’ère des ‘’guerres de l’Empire global’’ », souligne le document. « Les enjeux géopolitiques classiques, comme le contrôle des approvisionnements en matières premières, se mêlent à l’exacerbation de la concurrence économique dans le cadre du capitalisme financiarisé dominé par les États-Unis. Ces derniers se sont lancés dans une nouvelle offensive contre les pays d’Amérique latine », y est-il précisé.

Une géopolitique à géométrie variable avec la Russie et la Chine ?

De cette nouvelle période, marquée par « l’emballement belliqueux des États-Unis », il s’agirait ainsi, selon Mélenchon, d’opposer une nouvelle stratégie d’alliance, notamment avec les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), et plus particulièrement avec la Russie et la Chine. C’est ce qu’indiquait notamment Mélenchon en décembre 2015, dans un débat sur la Défense nationale organisé aux Invalides, à Paris. Face à « l’OTAN (…) plus que jamais un système d’alliance contraire aux intérêts français qui nous coupe des Russes et des Chinois, partenaires infiniment plus stratégiques pour l’avenir d’un monde ordonné et pacifique que la puissance états-unienne devenue toxique », il serait donc bon de se tourner vers Moscou et Pékin, est-il écrit dans une contribution synthétisant une conférence, toujours sur la défense, de 2014.

Ainsi, il s’agirait d’opposer un contre-poids pour renverser l’influence états-unienne qui pèse à travers l’OTAN, qui a par ailleurs « outrepassé en 2011 le mandat donné par l’ONU » en Libye. « L’entêtement étasunien à étendre l’OTAN comme levier de pression contre la Russie au seul profit de sa politique hégémonique militaire, économique et monétaire crée les conditions d’une nouvelle guerre tragique à l’échelle européenne », est-il indiqué toujours dans le document de congrès. Nous y trouvons notamment, contre toutes les accusations d’amitié pro-Poutine, une définition intéressante sur la Russie de Poutine : « Nous rejetons toute ingérence et toute logique de guerre contre la Russie, sans pour autant soutenir le régime politique du président Poutine qui n’hésite pas à exacerber un climat autoritaire au service de l’oligarchie russe ».

Face à la barbarie impérialiste, la Realpolitik n’a pas sa place. Pour un cessez-le-feu multilatéral immédiat !

Il semble désormais clair qu’au nom de « la paix, en Europe et là-bas », Mélenchon adopte « une politique cohérente, avec des revendications qui sont cohérentes ». C’est en tout cas ce qu’il revendique. Cette politique consisterait, au travers d’alliances stratégiques avec la Russie mais aussi avec la Chine, à imposer un rapport de force face aux États-Unis, le tout dans le but de reconquérir la paix en Syrie et au Moyen-Orient au travers d’une « coalition universelle » sous l’égide d’une nouvelle ONU, défaite de l’influence états-unienne. De là découle l’absence de condamnation claire et nette des bombardements russes, et donc de ceux de la coalition, pour éviter un deux poids, deux mesures, qui ne serait pas compris.

Une telle politique, en l’occurrence, reviendrait à construire une alliance géopolitique stratégique avec les Russes, alliés du régime dictatorial de Bachar El Assad, qui bombardent le peuple syrien et ont opéré la première « grande boucherie » du XXIe siècle, à Alep, en Syrie. Une guerre qui a provoqué, pour le moment, plus de 400 000 morts. On parle de près de 4,5 millions de réfugiés dans les pays limitrophes et plus d’un million de réfugiés syriens en Europe. Face à cette barbarie, contre toute tentation de Realpolitik pro-impérialiste, ce dont il s’agit pour le mouvement ouvrier en Europe, c’est, à minima, d’exiger de tous ces dirigeants qui versent des larmes de crocodile un cessez-le-feu multilatéral immédiat, et l’ouverture des frontières européennes, sans conditions, pour accueillir dignement tous les réfugiés qui le souhaitent sur le sol européen. L’arrêt des bombardements, donc, et l’ouverture des frontières. Un élément vis-à-vis duquel Mélenchon est moins à l’aise.


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