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Joe Biden choisit Kamala Harris comme colistière : une candidature 100% pro-répression

Après plusieurs mois d'hésitation, Joe Biden aura finalement porté son choix pour la vice-présidence vers Kamala Harris, anciennement avocate générale de Californie et actuellement sénatrice : un choix qui n'est rien d'autre qu'une tentative opportuniste de coopter un mouvement historique contre les violences policières. Ne nous y trompons pas : Harris est profondément favorable à la police, et personnellement responsable d'une répression féroce.

13 août 2020

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Article originellement publié en anglais sur Left Voice, organisation américaine du réseau international La Izquierda Diario dont fait partie Révolution Permanente.

Au cours de ces derniers mois, nous avons eu l’occasion d’assister au plus grand soulèvement contre les violences racistes de la police de l’histoire des États-Unis. Des millions de personnes dans la rue, des millions d’autres soutenant les protestations depuis chez elles, contraintes au confinement par le coronavirus. La colère contre l’institution policière n’aura jamais été aussi grande, certains réclamant même son abolition totale.

Pourtant, Joe Biden aura choisi une ex-procureure comme candidate à la vice-présidence : la sénatrice Kamala Harris. Nous serons donc sans nul doute contraints, et ce jusqu’au jour de l’élection, d’entendre l’establishment démocrate nous répéter à longueur de journée en quoi ce choix représente un pas en avant historique pour le féminisme et la communauté noire, tout cela dans une tentative évidente de calmer la colère dans la rue pour la diriger vers les urnes.

La victoire de Biden, donné gagnant dans presque tous les sondages, semble aujourd’hui plus sûre que jamais, son rival s’étant cassé les dents sur une gestion de la crise du coronavirus particulièrement désastreuse. Sa réaction face au mouvement Black Lives Matter ne l’aura rendu que plus impopulaire encore. Alors que le nombre de décès dus au Covid-19 ne fait qu’augmenter et que la crise économique s’aggrave encore, le sentiment anti-Trump grandissant en poussera certainement plus d’un à voter pour le Parti démocrate. Nous devons lutter contre Trump et son parti, c’est une certitude. Mais se tourner vers les démocrates pour contrer les politiques racistes et anti-ouvrières du gouvernement Trump est une erreur. Ni Biden ni Harris n’offrent d’alternative aux politiques pro-flic de Trump. Pire, Biden et Harris ont toujours été en première ligne pour maintenir et protéger la police et le système carcéral. Le choix de Harris comme vice-présidente n’est pas anodin. Biden étant âgé de 78 ans, il ne pourra plus diriger le parti démocrate très longtemps. Choisir Harris comme colistière, c’est la choisir comme future leader de l’un des deux partis du patronat.

Après plusieurs mois d’hésitation, Biden aura enfin fait son choix. Lors de l’un des derniers débats, Biden avait promis qu’il choisirait une femme - une tentative flagrante de coopter les millions de personnes qui étaient descendues dans la rue lors de la Marche des femmes.

Sur la liste, plusieurs candidates. L’une d’entre elles, Elizabeth Warren, était la figure de proue de l’aile progressiste du parti démocrate. Cette dernière avait récolté pas moins de 7,7 millions de dollars pour Biden après lui avoir apporté son soutien. Gretchen Whitmer, elle aussi candidate au poste de vice-présidente , représentait quant à elle l’aile modérée des démocrates. Enfin, il y avait Kamala Harris, sans doute la concurrente la plus mieux placée de toutes : une jeune femme noire charismatique, déjà très connue depuis sa dernière candidature à la présidence. Parmi les autres candidates figurait Susan Rice, anciennement conseillère d’Obama en matière de politique extérieure, et ayant l’avantage - ou l’inconvénient- de ne s’être jamais présentée aux élections. Le meurtre de George Floyd aura mis Amy Klobuchar, auparavant considérée comme la favorite, hors-jeu, en raison de ses responsabilités au sein de la police de Minneapolis.

Alors que le mouvement Black Lives Matter se hissait au premier plan de la scène politique américaine, il est apparu comme une évidence que Biden se devait de choisir une personne noire, en premier lieu afin d’utiliser l’image d’une femme noire au pouvoir pour canaliser la radicalité du mouvement vers les urnes, et, bien entendu, tenter de casser la dynamique dans les rues.

Si Biden est habituellement apprécié des électeurs noirs plus âgés, ces derniers ayant voté pour lui en masse lors des primaires démocrates, le passé ségrégationniste de Biden pourrait bien revenir le hanter. Harris elle-même avait attaqué Biden à ce sujet, il y a quelques mois à peine. Lors du mouvement BLM, Biden s’est clairement montré du côté des flics et des violences policières : il allait même jusqu’à suggérer de tirer dans les genoux des manifestants plutôt que dans le coeur... La nomination de Harris n’est rien de plus qu’un coup opportuniste, car ni Harris ni Biden ne sont des alliés du mouvement Black Lives Matter.

Le bilan de Kamala Harris avait déjà été passé au crible lors de sa tentative aux primaires démocrates. Avant d’être élue au Sénat, elle a occupé le poste de procureur général de Californie. Bien que cette dernière se vante d’un bilan "progressiste", elle est en réalité l’une des meilleures alliées du système carcéral, et très sévère vis à vis des communautés défavorisées. Précédemment, en tant que procureure de San Francisco, elle a augmenté le taux de condamnation pour crime de 52 à 67 % en trois ans. Elle a défendu un projet de loi prévoyant des peines de prison à perpétuité pour des personnes reconnues coupables de délits mineurs. Comme souvent, elle a changé plus tard d’avis, affirmant que la loi ne devait s’appliquer qu’aux personnes reconnues coupables de délits violents—sans que cela n’atténue le caractère brutal de la loi pour autant.
Elle a été le fer de lance d’une "guerre contre l’absentéisme scolaire" qui a conduit à l’arrestation et à la poursuite de parents dont les enfants avaient manqué 10 % des jours d’école, avec à la clé un an de prison ou une amende de 2 000 dollars. Le Huffington Post commente : "Deux agents de police sont entrés dans une maison squattée. Quelques minutes plus tard, leurs caméras se sont mises à clignoter. Les agents sont réapparus avec une femme en pyjama et menottée, à l’air fatigué.". Son enfant avait raté 20 jours d’école. Pire, des vidéos dans lesquelles Harris riait de l’emprisonnement de parents pour absentéisme scolaire sont apparues.

Harris s’est également prononcée contre la liberté pour les détenus trans de suivre un traitement hormonal, et s’est montrée particulièrement répressive envers les personnes en situation de prostitution. Elle a maintenu la peine de mort en Californie, faisant appel de la décision d’un juge fédéral qui la jugeait anticonstitutionnelle. Par le passé, elle s’est ouvertement opposée à un projet de loi visant à contraindre les agents de police locaux à porter des caméras sur leurs uniformes.
Il y a également eu l’affaire Daniel Larsen, condamné à 27 ans de prison pour avoir jeté un couteau sous une voiture. Des témoins affirment qu’il ne s’agissait même pas de Larsen, mais son avocat, commis d’office, n’a appelé aucun témoin. Onze ans plus tard, lorsque l’affaire a été rejetée pour manque de preuves, Kamala Harris a choisi de maintenir Larsen en prison, prétendant qu’il avait rendu ses papiers trop tard. Après la libération de Larsen, suite à un mouvement populaire d’ampleur, Harris a, encore une fois, fait appel.

La dossier controversé d’Harris aura lourdement entravé sa campagne lors des primaires démocrates. Et cela avant le début du plus grand soulèvement contre les violences racistes de l’histoire américaine. Dans un tel contexte, la choix d’Harris comme vice-présidente est particulièrement déconcertant, ce choix semble reposer sur la forme la plus cynique de politique communautaire. Biden et son équipe espèrent que la simple présence d’une femme de couleur sur le bulletin suffira à coopter le mouvement Black Lives Matter. En cela, ils espèrent tout simplement reproduire ce que le parti démocrate fait depuis des générations : tuer à petit feu les mouvements sociaux en les sortant de la rue, et les récupérer en vue d’une stratégie électoraliste et institutionnelle.

Mais pour que le mouvement Black Lives Matter se range derrière Harris, ses militants devraient passer outre sa carrière politique toute entière, tout son programme, toute sa vision du monde, parfaitement en phase avec l’État capitaliste et son système raciste de maintien de l’ordre.

En pleine crise du coronavirus, il convient de mentionner la position de Harris sur la santé : comme la plupart des membres de l’establishment du parti démocrate, elle est favorable au maintien d’un système de santé privé et inabordable. Une position déjà terrible avant la pandémie, mais d’autant plus mortifère aujourd’hui, alors que la pandémie et le chômage ne vont qu’en empirant.

Le choix d’Harris met également en lumière la nature profondément hypocrite du parti démocrate, qui, tout en utilisant la rhétorique du mouvement Black Lives Matter, le vide de toute sa radicalité. En choisissant Harris, ces derniers tentent de manière flagrante de coopter un mouvement social sans précédent afin de le faire entrer au Parti démocrate. Mais Harris n’est en rien une alliée du mouvement Black Lives Matter. Elle n’est en réalité qu’une énième politicienne hypocrite. Prenons en pour preuve les attaques sans merci de Harris envers Biden sur son passé ouvertement raciste et ségrégationniste : un passé qu’elle semble aujourd’hui tout à fait prête à oublier, quitte à se faire le bras droit d’un homme dont elle avait elle-même dit qu’il était raciste. Si les démocrates semblaient, lors des primaires, tous plus prêts les uns que les autres à énoncer des discours plus radicaux que jamais, n’hésitant pas à s’approprier le vocabulaire de la justice sociale, tous se sont bien vite débarrassés d’une telle rhétorique une fois les élections passées : comme ils le font toujours depuis des décennies. Harris n’est, et n’a jamais été, ni une alliée de la communauté noire, ni de la classe ouvrière.

Le choix de Harris expose, une fois pour toutes, la stratégie électorale de Biden : bâtir une coalition de l’establishment démocrate et de républicains modérés. Biden n’aura inclu qu’une poignée de points programmatiques proposés par Sanders et de façon générale, rejette ouvertement les propositions de l’aile progressiste du parti démocrate. Au lieu de tout cela, Biden nous offre le même programme présenté par les démocrates depuis des décennies : des positions de façade qui peinent aujourd’hui à masquer le système raciste et impérialiste auquel ils prennent joyeusement part. Nous assistons, une fois de plus, à l’échec de la stratégie de Sanders : pousser les démocrates sur leur gauche parait aujourd’hui utopique, alors que le parti choisit pour sa présidence deux des candidats les plus réactionnaires. Pourtant, Sanders s’est empressé de tweeter son soutien à Harris : "Elle sait ce qu’il faut faire pour défendre les travailleurs", a-t- il affirmé.
La solution est claire. Le parti démocrate est une impasse. Jamais il ne défendra les travailleurs, ni les opprimés. Même l’aile la plus progressiste du parti, menée par Sanders, parle aujourd’hui d’augmenter les budgets de la police et félicite Kamala Harris, l’ancienne flic. Une telle chose se doit d’enrager tous ceux qui l’avaient soutenu dans l’espoir de voir arriver un réel changement, et plus encore, les pousser à se demander si participer au parti démocrate est réellement une bonne idée.

Le parti Démocrate est le parti de Joe Biden et de Kamala Harris. Aucun militant, aucun travail progressiste à l’intérieur de celui-ci ne pourront jamais en faire autre chose que l’un des deux grands partis du patronat américain. Nous n’avons pas besoin des Démocrates, et nous n’avons certainement pas besoin de nous contenter de Biden. Nous avons besoin de notre propre parti, un parti qui prendrait ses racines dans les luttes et dans la rue, et qui se présenterait aux élections dans le but de renforcer ces mouvements et d’enfin mettre à bas le capitalisme.


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