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Pas de justice pas de paix

Justice et vérité. Quand confinement et violences policières provoquent une vague anti-raciste

Des manifestations sont organisées depuis une semaine dans toute la France en écho au mouvement historique contre le racisme et les violences policières aux Etats-Unis. Une situation post-confinement qui marquée par le rassemblement massif du 2 juin à l'appel du Comité Adama, pourrait présager d'une nouvelle vague anti-raciste.

Mahdi Adi

8 juin 2020

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Le rassemblement contre les violences policières et le racisme appelé par le Comité Adama le 2 juin dernier a rassemblé 80.000 personnes à Paris selon les organisateurs. Crédit Photo : O Phil Des Contrastes

Le quartier des Champs Élysées était barricadé ce samedi après-midi. Une grille de protection installé au niveau du rond-point des Champs Élysées bloquait tout un tronçon de l’avenue, tandis que les rues adjacentes menant à la place de la Concorde étaient interdites par des policiers lourdement équipés. Selon Le Parisien, une note de la Direction des Renseignements de la Préfecture de Police (DRPP) annonçait de 10 à 20.000 manifestants cet après-midi là dans la capitale, et sous les ordres du préfet Didier Lallement qui avait préalablement interdit ces manifestations en prenant pour prétexte « la situation sanitaire », 1.800 policiers et gendarmes mobiles ont été déployés samedi à Paris. Un dispositif pas loin de rappeler celui mis en place les samedi pendant la mobilisation des Gilets jaunes.

Et pour cause, quelques jours plus tôt, à l’appel du Comité Justice et Vérité pour Adama et sous l’impulsion du mouvement contre le racisme et les violences policières provoqué par le meurtre raciste de George Floyd par la police aux États-Unis, 80.000 personnes s’étaient rassemblées devant le Tribunal de Grande Instance de Paris mardi 2 juin. Toutefois, si les rassemblements organisés ce samedi à Paris n’ont pas bénéficié du même écho, plusieurs milliers de manifestants ont malgré tout bravé l’interdiction de manifesté et le dispositif policier. La foule munie de pancartes, à l’image d’une jeunesse multiculturelle qui manifeste pour la première fois, entonnait des slogans tels que « Zied, Bouna, Théo et et Adama, on pardonne pas, on n’oublie pas » pour dénoncer l’impunité des policiers coupables de violences dans les quartiers populaires, ainsi que la traduction du mot d’ordre états-unien « la vie des noir compte » (« Black lives matter ») mettant en exergue le racisme systémique qui s’abat de côté-ci de l’Atlantique aussi sur les populations issues de l’immigration et des colonies françaises.

Lyon, Bordeaux, Rennes, Nantes, Marseille, Bordeaux, ou encore Albi, Pau, Béziers, ou Metz, des rassemblements allant de quelques centaines de personnes à plusieurs milliers ont lieu dans de nombreuses ville en France. Et en face, depuis une semaine toujours le même discours médiatique qui tend à différencier la situation aux États-Unis de ce que nous connaissons dans l’hexagone. La peur de la contagion est effectivement palpable comme le démontre les dernières annonces de Christophe Castaner cet après-midi au sujet des clés d’étranglement employées par la police. Selon le ministre de l’Intérieur « la méthode de prise par le cou sera abandonnée ». Un tour de passe-passe pour tenter de contenir un potentiel embrasement. Cependant la possibilité d’une telle réforme de l’institution policière a peu de chance de convaincre. D’une part quand on connaît le passif du ministre, véritable maître d’œuvre de la répression des Gilets jaunes. D’autre part parce qu’on sait que ce n’est pas une clé d’étranglement mais la technique du plaquage ventral qui a été employée contre Adama Traoré ou Cédric Chouviat, tandis que pour Ibrahima Ba comme Sabri Chouhbi, c’est après avoir croisé la police en moto que les deux jeunes sont morts respectivement à Villiers-le-Bel et Argenteuil.

De même, la proposition d’une rencontre faite par la ministre de la justice, Nicole Belloubet, à la famille Traoré ne ressemble qu’à une tentative pour éteindre un brasier avec un verre d’eau. Après quatre ans de combat, d’acharnement policier et judiciaire contre la famille d’Adama – en particulier l’emprisonnement de ses frères Bagui et Youssouf – les juges n’ont accepté que la semaine dernière d’entendre deux des principaux témoins de l’affaire, probablement les dernières personnes à avoir vu Adama Traoré en vie en dehors des gendarmes accusés de l’avoir tué. La démonstration que la lutte reste le seul moyen de se faire entendre.

Néanmoins toutes les victimes de violences policières ne pourront malheureusement pas elles aussi mobiliser 80.000 personnes devant le tribunal de Paris pour exiger justice et vérité. C’est pourquoi les jeunes sortent dans les rues pour revendiquer une autre société où les personnes racisées n’auraient pas à craindre de croiser le chemin de la police, comme l’a dénoncé la chanteuse Camelia Jordana en préambule du mouvement actuel. Face à ces accusations de racisme structurel, c’est Sibeth Ndiaye, la porte parole du gouvernement, qui s’était exprimée vendredi pour déclarer que la France « n’est pas un pays raciste, je le dis et je le redis avec beaucoup de force et je suis heureuse d’y vivre en tant que femme noire ». Une manière d’affirmer que l’universalisme à la française différencierait l’hexagone de la situation Outre-Atlantique. Pourtant comment ne pas faire le rapprochement entre l’oppression subie par les populations africaines américaines aux États-Unis, et celles issues de l’immigration et des colonies en France.

Pour ce qui est du poids du passé d’abord, les lois Jim Crow qui ont légalisé la ségrégation pour remplacer l’esclavage aboli en 1865 rappellent le Code de l’Indigénat mis en place dans les colonies françaises pour créer un statut de sous-citoyen. Ensuite quand bien même la fin de la ségrégation aux États-Unis et l’indépendance nationale dans les anciennes colonies françaises ont toutes deux été acquises un siècle plus tard pendant la vague des révolutions anti-coloniale et du mouvement anti-raciste pour les droits civiques des années 1960, le système carcéral américain perpétue l’oppression raciste puisque 5% de la population africaine américaine est emprisonnée, représentant un tiers de la population carcérale totale tandis que l’autre tiers est composé de latino-américains. « La réincarnation de l’esclavage » aux États-Unis décrit par Angela Davis dans son livre La prison est-elle obsolète ? n’a toutefois rien à envier au racisme profondément enracinée dans les institutions en France.

Malgré l’absence de statistiques officielles, les prisons françaises sont elles aussi majoritairement composée de personnes racisées issues des classes populaires, et joue ainsi un rôle central dans la gestion du chômage de masse, de la précarité et de la misère. Dans une enquête réalisée dans une prison de banlieue parisienne et publiée dans son livre L’ombre du Monde paru en 2015, le sociologue Didier Fassin relevait que : « Les hommes noirs et arabes représentaient les deux tiers de l’ensemble des détenus et même plus des trois quarts des moins de 30 ans. »

D’autre part la loi interdisant le port du voile à l’école en 2004, jusqu’aux « signes de radicalisation » énumérés par Macron et Castaner en novembre dernier, démontrent l’islamophobie patente des classes dominantes françaises, tandis que la crise sanitaire a révélé ironiquement que ce sont précisément ceux qui subissent racisme et discriminations au quotidien, qui sont les petites-mains invisibles qui font tourner le pays pour un salaire de misère, travailleurs et travailleuses des supermarchés, des hôpitaux, de la voirie et des secteurs dits essentiels en général. Les même, d’ailleurs, à qui le gouvernement avait promis une prime pour les inciter à continuer de travailler pendant le confinement, avant que le patronat ne revienne dessus une fois la crise terminée, et qui sont aujourd’hui en première ligne face à la crise économique qui vient.

La lutte contre les violences policières et le racisme apparaît donc comme profondément sociale, et c’est la raison pour laquelle la gauche et les organisations du mouvement ouvrier doivent prendre leur responsabilité pour exiger justice et vérité aux côtés des familles de victimes, s’opposer à la présence et aux crimes de la policiers dans les quartiers comme dans nos luttes, ainsi qu’aux attaques antisociales du gouvernement contre les plus précaires de notre classe. C’est seulement ainsi qu’il sera possible d’unifier notre camp social et de se battre tous ensemble pour une autre société libérée du racisme et des oppressions.


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