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"Qui peut prétendre faire du rap sans prendre position ?"

Justice pour Adama. A la Cigale, le combat de la famille Traoré atteint un nouveau sommet

Une voix puissante s'élevait ce jeudi soir de La Cigale, une voix inoubliable : celle des nombreux artistes, des familles de victimes et d'une salle archi-comble, qui réclamaient justice et vérité pour Adama Traoré. Le jeune homme de Beaumont sur Oise est mort le jour de son anniversaire, le 19 juillet dernier, asphyxié par le placage ventral que lui ont imposé trois gendarmes. Depuis, mensonges, déni de justice et acharnement contre la famille Traoré. Les sommets de l'Etat vont-ils encore faire comme s'ils n'avaient pas entendu ?

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Mille personnes pour la vérité et la justice, contre les violences policières et le racisme

En plus d’avoir été un véritable concert de hip-hop, soigné et mémorable, comme l’a d’ailleurs souligné Youssoupha, ce qui s’est passé jeudi soir constitue indéniablement une mobilisation politique. D’elle-même, la salle alternait entre la reprise des paroles des morceaux des différents artistes, et des slogans qui faisaient vibrer les murs de cette salle en forme de théâtre classique : « justice pour Adama » ou encore « tout le monde déteste la police », un souvenir du printemps contre la loi travail. Le public, conscient de l’acte politique que constituait sa présence, représentait d’ailleurs cette jonction entre la jeunesse des quartiers populaires et celle scolarisée dans les universités parisiennes, et entre milieux militants de différents horizons.

Assa Traoré, quand elle s’est adressée à ce public de soutiens, a insisté sur la force que donne une telle mobilisation, qui permet de porter et de partager la mémoire de Adama et ce qu’elle signifie, dans une France qui continue à se présenter comme la « patrie des droits de l’Homme ». Elle a appelé à refuser l’infantilisation imposée par la classe politique et à se défendre face aux atteintes aux droits des personnes racisées : « personne ne doit parler à notre place ». La vérité, la justice, pour Adama et pour les autres : voilà le combat. Et jeudi, il a sans aucun doute atteint un nouveau sommet, contre l’impunité dont jouissent, dans ce pays, les forces de l’ordre quand elles blessent ou tuent. Et cela sous différents aspects.

L’exemple inspirant de la famille Traoré

Il y a d’abord le courage exemplaire d’une famille qui, pas plus que les autres, n’était préparée à devoir mener un tel combat. Dès le premier jour, les autorités ont tenté de se couvrir, en voulant envoyer sans délai le corps du jeune Adama au Mali pour éviter toute contre-expertise. Le procureur en charge de l’affaire se répandait en mensonges dans la presse. La marche prévue le 30 juillet à partir de gare du Nord, pourtant déposée, était empêchée par les forces de l’ordre. Face à tout cela, il a fallu s’organiser, tenir, puiser dans des ressources de ténacité et d’intelligence qui ont surpris les pouvoirs en place, pendant qu’elles donnaient confiance à des milliers de personnes, dans les quartiers populaires et au-delà.

Le meeting du 6 octobre à Tolbiac, et plus encore la marche du 5 novembre à Paris, avaient déjà constitué des moments forts qui témoignaient de la transformation de l’impunité en une cause nationale, mobilisant aussi bien les habitants des quartiers populaire - et l’ancrage local de la mobilisation, à Beaumont et autour de Beaumont, est depuis le début l’une des forces principale de la famille - que les secteurs de la jeunesse ou de salariés, militants ou non, qui se sont heurtés à une répression féroce au printemps 2016. Avant-hier, à la Cigale, ce sont ces sept mois de lutte qui vibraient ensemble, sept mois de détermination de la famille et d’une solidarité croissante, jusqu’à la mobilisation exceptionnelle des artistes : Youssoupha, Kery James, Arsenik, Medine, Sofiane, et de nombreux autres.

Un symbole fort : les familles Bentounsi, Dieng, El Yamni, Fraisse et bien d’autres étaient présentes

Une autre jonction donnait sa puissance à l’événement : c’est celle entre les différentes familles de victimes, dont plusieurs ont directement assisté au concert. Ce dernier a ainsi été à plusieurs reprises particulièrement émouvant, quand ont été projetées les vidéos reconstituant la mort de Adama, ou donnant la parole à ses proches et ses nombreux amis d’enfance. Et parmi ces temps forts, celui où, en fin de concert, Assa Traoré a fait ovationner par le public l’ensemble des parents, frères et sœurs ou conjoints de victimes des violences policières qui étaient présents. Parmi eux et elles, la sœur de Rémi Fraisse, ou encore Amal Bentounsi, qui anime le collectif Urgence notre police assassine. La famille Traoré a annoncé vouloir contribuer à approfondir ces liens, pour mettre en commun les ressources, l’accès au média, entre familles de victime. Autre initiative qui s’annonce d’ampleur, la marche de la justice et la dignité le 19 mars prochain, où participeront aussi les différentes familles.

Bagui Traoré, frère d’Adama et « prisonnier de guerre »

Ce sont les mots de son grand frère, Lassana Traoré, prononcés sur la scène de la Cigale. Et ils sont bien choisis. Bagui, aîné d’un an de Adama, a été au cœur du combat de la famille jusqu’au 17 novembre dernier. Que s’est-il passé ce jour-là ? La maire de Beaumont-sur-Oise, Nathalie Groux, avait organisé un conseil municipal dans le but de criminaliser les Traoré, dans la droite ligne de son positionnement depuis le début de l’affaire, et réclamait des dizaines de milliers d’euros pour assurer sa « protection » et attaquer Assa Traoré en justice – cette dernière ayant dénoncé une collusion entre l’édile et les forces de l’ordre pour entraver l’établissement de la vérité. Sans preuve, sans même que les policiers municipaux et les gendarmes ne puissent identifier ni Bagui ni Youssouf Traoré, ces deux derniers ont été trainés en justice pour de prétendues violences en marge du conseil. Et depuis, Bagui est en prison, pour une peine de huit mois ferme. Un exemple de plus de la criminalisation de celles et ceux qui luttent contre les violences policières. « Liberté pour Bagui » était donc aussi l’un des mots d’ordre phares du concert de ce jeudi.

Bravo aux artistes, et vive le rap contestataire

Kery James, Youssoupha, Médine, Arsenik, Mac Tyer, Sofiane, Dosseh, Tito Prince et de nombreux autres, notamment rappeurs de Beaumont qui ont connu directement Adama. L’affiche de la Cigale ce 2 février est en elle-même une démonstration de la force de la mobilisation autour de la famille Traoré, et peut-être même d’un peu plus que cela. Ces derniers mois, et le succès de la tournée de Kery James autour de son album Mouhhamad Alix en témoigne largement, on assiste à la réémergence d’un rap contestataire, qui fédère largement parmi les classes populaires racisées ou non. Un signe de ce que, face à un système politique toujours plus pourrissant (dont Racailles fait un procès cinglant), aux violences policières et à l’autoritarisme qui servent à le conserver, comme au racisme d’Etat renforcé sous prétexte de « lutte contre le terrorisme », est en train de se lever une conscience politique nouvelle. Qu’elle s’exprime dans le champ musical et donne une nouvelle vie au rap contestataire est une excellente nouvelle, et c’est aussi ce que signait le concert de ce jeudi.

Dès ce vendredi matin, de nouvelles révélations accablent les gendarmes

La Cigale était encore probablement en plein rangement après avoir fait salle comble quand, ce vendredi trois février au matin, la presse s’est faite le relai des résultats d’une nouvelle expertise médicale. Alors que, depuis juillet, les gendarmes clamaient que le syndrome d’asphyxie dont est mort Adama provenait d’une infection pulmonaire grave dont aurait souffert le jeune homme, cette nouvelle étude démontre que ce dernier était au contraire en excellente santé. Comme l’a toujours expliqué la famille et ses avocats, c’est donc bien le plaquage ventral pratiqué par les trois gendarmes qui a provoqué la mort. Une technique d’immobilisation qui est connue pour sa létalité, si bien que les pays voisins de la France l’ont tous interdits. L’évidence médicale, combinée à la voix puissante du concert de ce jeudi, vont-elles enfin permettre la mise en examen des responsables et ainsi ouvrir une brèche dans le théorème de l’impunité qui pèse sur les proches des quinze morts par an (en moyenne) dans les mains des forces de l’ordre ? Ce qui est sûr, c’est que seul le combat mené par les famille et leurs soutiens déterminera l’issue de ce bras de fer. Et la Cigale en a accueilli jeudi une étape particulièrement forte.


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