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Pédagogisme et autoritarisme

L’Académie de Créteil, laboratoire de la méthode Blanquer

Grâce à quelques mesures « spectaculaires » - notamment le dédoublement des classes de CP et l’opération « devoirs faits » lancée récemment au collège,- le ministre est jusque-là parvenu à contenir la colère du monde enseignant, pourtant palpable. Sa méthode ? Une subtile récupération de certaines revendications issues des pédagogies alternatives – ancrées à gauche - mise au service de son projet de « l’Ecole de demain », qui promet un renforcement de la sélection sociale et une casse des conditions de travail des personnels de l’éducation. C’est ce qui avait déjà été mis en œuvre lorsqu’il était en responsabilité, au ministère, sous Sarkozy.

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« L’hyper-recteur de Créteil »

A l’époque où Jean-Michel Blanquer est « l’hyper-recteur de Créteil », de 2007 à 2009 - sous Chirac puis Sarkozy, c’est l’heure des grandes coupes dans l’éducation : avec le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux, près de 80 000 postes d’enseignants sont supprimés. Dans l’Académie de Créteil, qui compte en particulier le département de Seine-Saint-Denis, à la fois parmi les plus pauvres de France et dont la démographie est l’une des plus dynamique, Jean-Michel Blanquer trouve la formule pour faire passer la pilule et éviter la grogne.

Passerelle SciencesPo

Il multiplie ainsi les annonces et propose des dispositifs pédagogiques innovants qui séduisent parfois les équipes enseignantes marquées à gauche. C’est à cette époque que se mettent en place les passerelles Education Prioritaire à Sciences Po-Paris, dispositif d’égalité des chances, très médiatisé, qui permet à une poignée des meilleurs lycéens des zones d’éducation prioritaire d’intégrer les bancs d’une école traditionnellement réservée aux enfants de l’élite.

Internats d’excellence

C’est aussi l’époque où se monte à Sourdun, en Seine-et-Marne, un « internat – allant de la 6ème à la terminale- d’excellence ». Le principe : sélectionner des élèves à bon profil mais issus de milieu peu favorisé et les couper de leur milieu social, du lundi matin au vendredi soir. A Sourdun, l’encadrement est strict, les portables interdits jusqu’au soir, l’uniforme de rigueur, les heures d’études scrupuleusement respectées. Les enseignants sont motivés et pour cela, sélectionnés sur profil. A Sourdun, il faut rétablir une soi-disant égalité des chances, certes, mais à marche forcée. Et dans la discipline s’il vous plaît.

Situé dans une ancienne caserne, isolé géographiquement, l’internat d’excellence constitue une sorte d’îlot éducatif et social pour les élèves, coupé du monde, et entièrement dédié à leur réussite scolaire. Pour les enseignants aussi l’institution exige un investissement sans limite. C’est « une utopie éducative concrète », selon Blanquer. Le rétablissement de l’égalité des chances au prix d’une emprise quasi-totale de l’institution sur l’enfant dont les moyens sont largement discutables, et qui a surtout valeur d’exemple – le projet étant difficilement (et heureusement) généralisable. Surtout, vis-à-vis des enseignants, engagés contre la reproduction sociale à l’école, ce type de dispositif permet de faire passer sans remous les exigences d’un surcroit de travail, - pour la bonne cause – et peut s’avérer un moyen utile de contention.

Micro-lycée au Bourget

Le micro-lycée du Bourget, créé sous le Rectorat de Blanquer, reprend à son compte bon nombre d’initiatives inspirées des méthodes pédagogiques alternatives – classe inversée, sans note, interdisciplinarité, tutorat -. Les enseignants, là aussi volontaires et sélectionnés sur profil, fonctionnent par projet. On ne compte pas les heures de réunions hebdomadaires qui font partie des obligations et ne sont pas – ou très partiellement – déduites du temps de travail. Ce sont beaucoup d’enseignants, marqués à gauche, attirés par les possibilités d’expérimentation pédagogique, qui s’y sont retrouvés. D’une pierre deux coups, pour Blanquer : il réussit ainsi à vider les salles des profs de leurs personnels les plus remuants.

Les pédagogies alternatives et la lutte contre l’inégalité des chances instrumentalisées

La méthode Blanquer, expérimentée au niveau de l’Académie de Créteil lorsqu’il en était le recteur, se décline aujourd’hui au niveau national pour faire passer des réformes de grande ampleur. Elle consiste en un fin rééquilibrage entre des concessions vantant des atouts pédagogiques à moyen réduit, d’une part, et des restructurations profondes du modèle éducatif, d’autre part, le tout assorti de quelques mesures spectaculaires et médiatiques.

CPx2

Le dédoublement des classes de CP a eu son petit effet médiatique et a permis d’obtenir l’assentiment des enseignants à peu de frais. Les faibles effectifs ont été financés par la suppression du dispositif « plus de profs que de classes » destiné à constituer des brigades de remplaçants et à renforcer ponctuellement les professeurs des écoles, en cas de besoin. La mesure a bonne presse auprès de l’opinion publique, même si, dans les classes, beaucoup d’enseignants se sont retrouvés sans classe, en septembre, faute de place et de locaux suffisants.

D’abord les devoirs, après on verra

Le dispositif « devoirs faits » au collège, annoncé pour la rentrée prochaine, envisage d’instaurer une « étude dirigée » de 16h à 18h dans les établissements. Sur le papier, la mesure pourrait séduire les parents et les enseignants : les devoirs sont un élément qui tend à renforcer l’inégalité des chances à l’école puisque chaque élève ne dispose pas des mêmes ressources en termes d’aide à la maison. Voilà pourquoi les pédagogies alternatives, soucieuse de démocratiser l’enseignement et la réussite scolaire des élèves, les condamnent. Blanquer propose plutôt de mobiliser des enseignants, au volontariat, ou des intervenants extérieurs. De nouveau, plus de travail pour les profs ou la possibilité de voir confier à des jeunes en service civique, rémunérés à moins de 600 euros par mois et non formés, la charge d’aider les élèves en difficulté. De là à assurer l’égalité des chances…

Réduire le coût du bac

Dans son entretien au Parisien du 13 novembre qui prépare le terrain de la réforme du baccalauréat prévue pour 2021, Blanquer s’en prend au « bachotage », cette vieille méthode de révision, qui, il est vrai, n’a pas toujours fait ses preuves pour développer la compréhension et l’esprit d’analyse des élèves. Mais cette critique de gauche à l’égard de l’examen du bac n’a d’autre but que de préparer l’acceptation du contrôle continu comme modalité d’examen et la fin du bac comme examen national.

Une méthode à contrer

La méthode Blanquer, au niveau de l’Académie de Créteil a un moment porté ses fruits : elle a su, en accordant des espaces d’innovations pédagogiques à des enseignants, contenir les grognes sous la présidence Sarkozy. Aujourd’hui, Blanquer reprend à son compte les critiques formulées par les travaux de sociologie de l’éducation, irait même jusqu’à s’appuyer sur les propositions de la pédagogie Freinet et dialogue avec les objectifs de réussite que se fixent les enseignants pour leurs élèves pour faire passer ses réformes de casse du service public d’éducation, d’accentuation de la sélection sociale et de dégradation des conditions de travail des enseignants.

Les enseignants du lycée du Bourget comme d’autres en Seine-Saint-Denis se sont mis en grève en septembre, dès la rentrée pour exiger davantage de moyens. Un signe que la grogne enseignante pourrait bien ne pas se satisfaire des mensonges et des éléments de langage du « professeur Blanquer ».

[Crédit photo : Richard Bouhet - AFP]


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