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Désastre écologique

L’Amazonie brûle : catastrophe naturelle ou catastrophe capitaliste ?

Depuis trois semaines, une vague d'incendies d'une ampleur inégalée ravage la forêt amazonienne au Brésil. Bolsonaro nie, Macron s'agite en paroles depuis le G7. Plus que jamais, la situation nous rappelle urgemment que l’accélération des catastrophes naturelles et des conséquences du réchauffement global, ne permet plus la demie-mesure : il faut combattre la crise écologique !

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Depuis trois semaines, une vague d’incendies d’une ampleur inégalée ravage la forêt amazonienne au Brésil. Ce sont plus de 17.000 départs de feu qui ont été relevés ce mois-ci, et il est aujourd’hui impossible de déterminer la superficie de forêt affectée par cette tragédie. Des brûlis sont souvent à l’origine de ces incendies gigantesques. Une technique agricole extensive qui consiste à brûler des pans de forêts pour libérer des terrains propices aux cultures et profiter de sols rendus fertiles notamment par les cendres (à court terme car cette pratique épuise très rapidement les sols, obligeant au bout de trois ou quatre ans à peine à la recommencer plus loin en mordant toujours plus sur les zones forestières et laissant des sols désertiques qui mettront des années à se recomposer).

C’est un drame pour toute la planète qui est en train de se produire, avec non seulement des milliers de kilomètres carrés de végétation qui partent en fumée, mais aussi des milliers d’animaux qui disparaissent et des populations indigènes en péril. D’autant plus que l’expression de « poumon » de la planète n’est pas anodine (bien que scientifiquement incorrect, ce qualificatif serait plus approprié pour les océans, qui ne sont pas en reste quant à la pollution). Dans le cycle du carbone, les forêts jouent un rôle primordial en stockant et captant d’énormes quantités de CO2... qui sont rejetées dans l’atmosphère en cas d’incendie.

Depuis deux jours, de nombreuses photos et vidéos terrifiantes circulent et choquent sur les réseaux sociaux.

Cette focalisation soudaine est due à un phénomène particulièrement inquiétant qui a eu lieu à Sao Paulo : lundi 19 août, dès 15h, un nuage de fumée en provenance de la forêt incendiée a plongé la ville de 12 millions d’habitants dans le noir.

Devant ces scènes dignes d’une dystopie, la planète entière s’émeut. Pourtant, tout le monde n’est pas touché de la même manière par cette catastrophe, et malgré la multitude de photographies et de vidéos de la ville obscurcie, Ricardo Salles, ministre de l’environnement du Brésil, a dénoncé le nuage de fumée comme une fake news et a fustigé le « sensationnalisme environnemental ».

Le profit à n’importe quel prix, voilà le mandat reçu par Bolsonaro

La position du ministre, aussi incroyable soit-elle, n’est pas la déclaration isolée d’un illuminé, mais bien le reflet parfait de la politique de Bolsonaro. Ricardo Salles assume une position climato-sceptique, comme d’autres membres du gouvernement avant lui et se moque de façon décomplexée de l’assassinat fin juillet d’un chef indigène par des orpailleurs.
Bolsonaro lui-même s’est fendu d’une sortie dont il a le secret, en attribuant l’origine des incendies à des ONG de protection de l’environnement !
Le summum de l’hypocrisie et de la mauvaise foi de la part du chef d’Etat, qui a défini comme axe central de sa politique le développement des industries minières et agro-alimentaires, au détriment d’une forêt amazonienne qu’il ne perçoit que comme une gigantesque source de profit. En effet, depuis son investiture en janvier dernier, la déforestation bat tous les records. Les chiffres de ce mois de juillet sont sans appel : ce sont plus de 2250 km² de forêt qui sont partis en fumée, soit une hausse de 278% par rapport à juillet 2018. Ces statistiques sont d’autant plus inquiétantes qu’elles s’inscrivent dans une dynamique d’augmentation débridée : +34% de déboisement si on compare mai 2019 à mai 2018, + 88% en juin 2019 par rapport à juin 2018.

Loin de lutter contre cette catastrophe écologique, Bolsonaro encourage la déforestation par toutes les mesures possibles. Le New York Times rapporte que le nombre de sanctions concernant la déforestation illégale a baissé de 20% ces six derniers mois. Rien de surprenant si l’on considère que Bolsonaro avait annoncé la couleur dès ses débuts, en plaçant l’Agence de Protection de l’Environnement sous la tutelle du Ministère de l’Agriculture, dirigé par le leader du lobby agricole brésilien. Plus récemment, le président d’extrême-droite a licencié le directeur de l’Institut national brésilien de recherche spatiale qui exprimait publiquement son inquiétude quant à l’augmentation de la déforestation.
De même, il est tristement logique qu’aux yeux de Bolsonaro, qui considère la forêt comme un terrain commercial dédié à l’élevage et l’agriculture de masse et à l’industrie minière, les peuples indigènes apparaissent comme des obstacles au développement économique des secteurs qui l’ont porté au pouvoir. Ces populations sont persécutées par le régime, qui développe un discours très violent justifiant les attaques de villages, mais qui est aussi à l’origine d’un nombre effrayant d’assassinats politiques. On comprend mieux pourquoi un ministre de l’environnement se permet de rire du meurtre d’un chef indigène.

Jair Bolsonaro est le chef d’Etat qui incarne sans doute le mieux toute l’horreur du système capitaliste, en prônant un marché libre de tout acquis social, en ne tenant aucun compte de l’environnement et de l’urgence climatique, et enfin en revendiquant les positions les plus abjectes sur tous les sujets possibles, de la Shoah à l’homosexualité, en passant par le droit des femmes et des populations indigènes.
Toutefois, cet odieux personnage n’est pas un monstre sorti seul de sa boîte. Son accession au pouvoir et les conséquences qui en découlent s’inscrivent dans une dynamique mondiale, dont les racines politiques, économiques et sociales plongent jusqu’à la crise des subprimes de 2008.

A qui profite le crime ?

Cette catastrophe est même une aubaine pour lui et ses amis patrons de l’industrie agro-alimentaire et de l’industrie minière. En effet, chaque hectare déboisé devient un espace exploitable pour augmenter la production agricole, d’un pays dont la rente provient essentiellement de l’exportation de productions primaires (soja, café, orange, bananes sucres mais également ressources souterraines), et ainsi les profits du secteur agro-exportateur et les spéculations des marchés financiers sur le cours de ces produits et matières premières.
C’est bien avec cette pensée ignoble que raisonnent les grands groupes industriels, qui affichent une écologie de façade dans les pays centraux mais exploitent au maximum les ressources naturelles des pays qui subissent la domination de l’impérialisme, sans aucun respect pour la vie ou l’environnement, dans le seul but d’accroître encore et toujours leur chiffre d’affaires. Trop régulièrement, des catastrophes environnementales viennent en témoigner, comme la rupture du barrage de Vale S.A. ou encore la déforestation à Bornéo..

Ce n’est pas par hasard que les actionnaires de grands groupes français comme Carrefour ont financé la campagne de Bolsonaro, ou que Christine Lagarde, la directrice du FMI, s’est réjouit du programme ultralibéral du président d’extrême-droite. La bourgeoisie impérialiste est bien consciente que les hommes politiques comme Bolsonaro sont des alliés, qui s’appliqueront à détruire violemment les acquis sociaux et les lois encadrant le travail dans leur pays ce qui permettra aux investisseurs internationaux de réaliser des marges confortables sur le dos des travailleurs et des travailleuses.

Bolsonaro apparaît comme la pointe avancée de cette politique, mais cette surexploitation systématique de l’environnement n’est pas une spécificité du Brésil. En effet, la grande majorité des pays semi-coloniaux sont la proie des puissances impérialistes et de leurs multinationales, qui organisent le pillage des ressources naturelles et l’exploitation à bas coût des travailleurs locaux. L’impérialisme français y trouve son compte en se gavant sur le vol des richesses nationales brésiliennes, dans le secteur pétrolier par exemple où Petrobras, entreprise publique, première entreprise du pays, est disloquée pour offrir des parts de marchés à des multinationales de l’énergie comme Engie, dont l’Etat français est l’actionnaire majoritaire-.

Face à la perspective d’une main-d’oeuvre surexploitée dans des conditions inhumaines, de ressources extorquées à des pays dominés politiquement, économiquement et parfois militairement, à de nouveaux espaces pour augmenter la production, l’urgence écologique et la sauvegarde de l’environnement ne pèsent pas bien lourd pour les capitalistes.

Ce ne sont pas des prières qui sauveront l’Amazonie

Face aux vidéos absolument choquantes de pans entiers de la plus grande forêt du monde qui part en fumée, le hashtag PrayForAmazonia a conquis les réseaux sociaux. Mais face à l’ampleur de la catastrophe, il est évident que les prières ne suffiront pas.

Les libéraux et les réformistes des pays impérialistes auront tôt fait d’hurler à la folie de Bolsonaro. D’autant que leurs positions sur le terrain écologique ne sont que la face opposée d’une même pièce où figurent d’un côté les éco-négationnistes (dont les figures actuelles seraient Trump ou Bolsonaro) qui nient le bouleversement climatique mais se préparent (y compris militairement) à ses conséquences telles que les déplacements de population ; de l’autre les "réformateurs progressistes" de l’écologie qui promeuvent au travers des grands sommets internationaux des modifications marginales du capitalisme (Macron ou Merkel).
Pourtant, Bolsonaro a été amené au pouvoir au terme du coup d’Etat institutionnel du pouvoir judiciaire brésilien, dans le but même de servir les intérêts des principales puissances (peu importe la couleur de leur drapeau sur la question climatique) et de restaurer l’influence de l’impérialisme, en premier lieu étasunien, sur le sous-continent américain, dont l’ingérence a été partiellement amoindrie dans les années 2000. Ce que ces mêmes « démocrates » et pseudo écolo-libéraux oublient malencontreusement de préciser, c’est qu’une puissance impérialiste comme la France tire de larges avantages de l’exploitation des sols, des richesses et des travailleurs des pays soumis à l’impérialisme, à commencer par ses anciennes colonies africaines (mais également dans ses colonies sud-américaines comme en Guyane avec le projet Montagne d’or). Devant un tel mépris pour la vie et la nature, il est évident que le système capitaliste n’est pas compatible avec l’écologie. De même qu’une perspective écologique qui se bornerait à envisager l’écologie à une échelle nationale, pour la France par exemple, sans remettre profondément en cause le pillage impérialiste (par des mécanismes financiers comme celui de la dette ou bien plus visibles comme les expéditions militaires) qu’elle exerce envers de nombreux pays ne serait qu’une parole creuse et sans conséquence. Les concessions que pourraient faire à la marge les gouvernements des pays centraux, si la pression augmentait encore sur les questions écologiques, se feraient au prix de l’accroissement de l’exploitation inhumaine et destructrice de l’environnement des pays soumis à l’impérialisme. En ce sens, les déclarations d’Emmanuel Macron qui interpelle le G7 (forum des principales puissances impérialistes) sont particulièrement hypocrites.

Plus que jamais, la situation nous rappelle urgemment que l’accélération des catastrophes naturelles (encore que pas si naturelles dans le cas dont nous parlons), des conséquences du réchauffement global, ne permet plus la demie-mesure : c’est un luxe que l’humanité ne peut plus se payer. La crise écologique exige aujourd’hui une lutte révolutionnaire pour renverser le système capitaliste qui, non content de condamner, à la fois dans les pays les plus pauvres de la planète et dans les pays qui les exploitent, une majorité de la population à la pauvreté et à la misère au bénéfice d’une infime minorité, menace désormais la vie telle que nous la connaissons. Les mobilisations dans de nombreuses villes du monde ont montré la colère d’une jeunesse dont le futur semble se situer quelque part entre le chômage de masse, la précarité et la crise écologique. Pour que ces forces qui se mettent en mouvement, à l’international mais principalement dans les pays centraux ou industriels, puissent se montrer à la hauteur des problèmes qu’elles entendent résoudre, elles doivent se saisir d’une stratégie révolutionnaire qui lie une perspective de classe à un projet fondamentalement anti-impérialiste, pour l’émancipation de l’humanité dans son ensemble et pas uniquement pour ses couches les plus privilégiées.


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