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De quel côté est la violence ?

L’expérience de toute une jeunesse

Aujourd’hui, il n’est plus possible d’aller en manifestation sans que ta mère te dise « attention hein ! tu m’appelles… » et t’embrasse comme si c’était la dernière fois qu’elle te voyait. Depuis l’extérieur, tout porte à croire que les manifestations sont devenues des lieux d’affrontement bestial et sanguinaire entre « une minorité cagoulée » et les forces de répression qui, les pauvres, ont de plus en plus de mal à faire leur (sale) boulot avec le rythme des manifestations qui s’accélère. Chaque lendemain de manif, on peut lire les gros titres « À Toulouse, ça dérape encore », ou « des affrontements violents et plusieurs victimes lors de la manifestation… », autant de propagande martelée à grands coups d’impression papier par milliers ou de spots télévisés qui finissent par vous convaincre que, finalement, ceux qui sortent dans la rue pour dire non à la loi travail ne sont qu’une infime minorité, qualifiée « d’extrémiste », de violente, pour mieux la décrédibiliser et justifier la féroce répression employée par le gouvernement. Avis Cunningham

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Une expérience « révélatrice »

Je me rappelle de ma première manif « à risque », c’était en novembre 2014, à la suite de la mort de Rémi Fraisse, et ma fac était alors en ébullition pour dénoncer un infâme crime d’État. Plusieurs fois par semaine, des milliers d’étudiants manifestaient pour crier leur dégoût des violences policières et leur refus de la répression. Un jour je décide enfin d’aller voir par moi-même quelle gueule ont ces manifs, non sans une certaine appréhension. Je me souviens encore, le départ en fanfare, les clowns, les slogans, l’ambiance légère teintée de nos aspirations à un monde meilleur, où les jeunes ne meurent pas sous les coups de la police. Les flics nous bloquent le passage, alors nous restons sur place, nous chantons des chants qui parlent d’un monde où l’esclave sera libre de ses chaines, ou l’égalité règnera entre les hommes. Certains tentent de discuter avec des policiers, qui souvent les méprisent, feignent de ne rien entendre, quand ils ne répondent pas par la provocation : « Rémi a mérité de mourir, et si tu continues, ce sera toi le prochain », ou par la violence. Une clown mime de prendre un CRS dans ses bras, sous les rires de la foule, et c’est visiblement « detrop » pour le poulet qui répond par une violente claque. Très vite, des manifestants accourent pour porter de l’aide à lajeune fille, et c’est assez pour que la ligne de CRS décide de lancer plusieurs grenades assourdissantes en l’air et d’utiliser plus qu’il n’en faut de lacrymo sur les manifestants, dont certains étaient assis en cercle, pacifiquement. Je me rappelle du bruit assourdissant, d’avoir les yeux brûlés, de ressentir très violemment en moi cette injustice terrible de recevoir de la violence quand mon cœur était porté par un désir de justice et de liberté.

Nous n’avions rien fait mais c’était déjà trop. La sauce était lancée, la BAC débarque, les flics qui chargent, qui nous encerclent, moi qui ne voyais presque rien mais qui cours, comme tout le monde, sans savoir où j’allais. On me pointe au flashball alors instinctivement je lève mes bras, signe que je n’ai pas l’intention de broncher, car j’ai peur, et j’entends les flics qui se foutent de ma gueule, ça les fait rire de me voire apeurée, alors ils en profitent et ne cesseront pas de me pointer avec leur arme qui me semble énorme, jusqu’à ce qu’ils jugent avoir assez profité « du spectacle ».

Cette première expérience n’avait pas fini de me laisser des marques. Encore sous le choc de ce que j’avais vécu, et qui me semblait être d’un autre temps moi qui n’avais jamais connu la vie en banlieue ni le contrôle au faciès, je découvrais le lendemain dans les journaux une toute autre version de la manifestation. Les « jeunes », « violents », avaient fait déraper la manifestation, en « s’en prenant aux forces de police ». On déplorait la « violence d’une minorité », qui avait donné suite à des « arrestations et interpellations » forcément légitimes, vu le degré « d’agressivité, de violence » de nous avions fait preuve (!). Une voiture avait même été « brûlée par des extrémistes », voiture que j’avais vue de mes propres yeux prendre feu à la suite d’un jet de grenade par les keufs. Et tout ce tissu de mensonge se retrouvait, plus ou moins à l’identique, dans tous les journaux locaux que j’achetai pour l’occasion…

Derrière les masques, le vrai visage de l’État

Alors, non seulement j’avais été victime, comme tous mes camarades de rue, d’une violence démesurée et totalement injustifiée, mais en plus tout le monde s’en foutait, et pire on me faisait porter la responsabilité de la « violence » qui m’avait frappée ! Non seulement la police avait les mains rouges, et c’était pour moi maintenant indéniable, mais en plus elle était blanchie par les médias ! Tout mon univers de jeune fille encore naïve, qui pense bêtement que la police « est là pour nous protéger », que l’État est droit et juste, que les médias relaient les informations avec neutralité et impartialité… tout ce beau monde venait de s’écrouler, et il ne me restait plus que la rage de crier fort tout ce que je venais d’apprendre.

Non, la police n’est pas là pour nous protéger. Sa présence démesurée dans chacune de nos manifestations, mais aussi dans les rues au quotidien depuis l’état d’urgence, ne sert qu’à faire monter la pression et la tension, pour ensuite décider arbitrairement de nous matraquer la gueule, preuve suffisante pour les médias dominants que nous sommes bien « dangereux »et qu’« on l’avait bien mérité ». L’État n’a rien de juste ni de droit, et puisqu’il ne peut pas céder à nos revendications car les contradictions de ce système ne laissent plus de place à nos rêves, il nous répond par la violence et tente d’éradiquer par la force nos aspirations à un autre monde. Où est la « violence d’une minorité » quand il est désormais clair que l’État se fait le défenseur des intérêts des patrons et des classes privilégiées, et qu’il asservit chaque jour l’immense majorité de notre classe, nous imposant le diktat de l’austérité, de la crise, de LEUR crise…

Parce qu’on ose aujourd’hui comparer des vitrines cassées à des yeux arrachés, à des coups de matraques, à des violents coups de poings assenés sur des jeunes de 15 ans, à des peines de prison arbitrairement distribuées, à des horizons de désespoir pour toute notre génération. Parce qu’on nous fait d’une chemise déchirée un scandale, quand on ne compte plus le nombre de vies broyées, détruites par ce système, de travailleurs au chômage, virés pour augmenter le taux de profit d’entreprises qui se gavent, de suicide, de souffrance au travail quotidienne, que subissent des millions. Assez.

Pour qu’enfin, la peur change de camp

« Un pouvoir qui matraque la jeunesse est faible et méprisable », titrait une tribune parue dans Libération. Ce gouvernement a peur, peur de voir des milliers de travailleurs et de jeunes qui s’organisent pour dire non à la loi travail, mais aussi à son monde. La violente répression des Nuits debout parisiennes, notamment celle du 28 avril au soir, témoigne bien de l’impuissance de ce gouvernement à satisfaire nos revendications. Hollande a peur car il n’a rien à nous offrir, pas plus que ces copains et copines, toute couleur politique confondue. Et il sait quelle puissance peut se révéler être la jeunesse, quand elle relève la tête et qu’elle marche main dans la main avec les travailleurs.

Plus que jamais nous devons nous montrer solidaires et dénoncer la répression et la violence de l’État. Au mois de mai, plusieurs de nos camarades de lutte passeront en procès après les multiples arrestations et condamnations de cette justice de classe. Face à la répression nous devons serrer nos rangs et lutter contre la tentative de division du mouvement et d’isolement de la jeunesse. Nous devons crier haut et fort que la violence vient d’en face, et que ce sont eux les casseurs d’avenir, les briseurs de vie. À l’image de la CGT Info Com, les syndicats de travailleurs doivent se prononcer en soutien aux milliers de jeunes réprimés partout en France, et décrier la complicité des médias dominants qui sont décidément les meilleurs gardiens cet ordre infâme. Et pour toute la jeunesse qui fait l’expérience de cette violence d’État, il convient d’en tirer les leçons adéquates et de s’organiser activement pour renforcer nos rangs et grossir le mouvement.


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