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Offensive en règle contre les Kurdes et la gauche

La Turquie d’Erdogan bascule-t-elle ouvertement dans la guerre ?

Cizre. C'est le nom d'une petite ville kurde dans l’Est de la Turquie. Durant plus d'une semaine, elle a été assiégée par l'armée turque. Quasiment rien n'en filtre. Aucun journaliste ne peut s’y rendre. Les communications ont été coupées. Le nombre de morts à déplorer risque d'être sous-estimé. Déjà quelques images d'enfants touchés par les balles des snipers rappellent la Syrie de Bachar. Les tanks de l'armée turque patrouillent en ville. Une délégation de députés et de ministres du HDP (Parti de la Démocratie des Peuples, marqué à gauche, arrivé en troisième position lors des élections de juin et aujourd’hui partie-prenante du gouvernement) conduite par son leader Selahattin Demirtas est bloquée à l'extérieur de la commune. Voici la Turquie du président Erdogan, à quelques semaines des élections anticipées. Timur Chevket

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Pogroms et répression organisée

Après la multiplication des provocations par Ankara et la rupture des discussions de paix avec le PKK (la branche politico-militaire du mouvement kurde) en juillet, après l’attentat de Suruç, une vague de violence contre les Kurdes et la gauche s’abat sur la Turquie. A travers tout le pays, plus de 400 locaux d’organisations de gauche et kurdes, principalement ceux du HDP, ont été attaqués. Incendies, destructions et meurtres rythment le quotidien des villes de Turquie et du Kurdistan. Ce sont des bandes d’extrême-droite du MHP (le parti ultra-nationaliste turc), couvert ou soutenu par la police et appuyé par l’AKP d’Erdogan, qui, tous les jours et tous les soirs, regroupent plusieurs centaines voire plusieurs milliers d’hommes armés pour parader dans les rues et s’en prendre à tous ceux qui n’arborent pas ostensiblement le drapeau turc. Passants, kurdes et militants de gauche sont pris à parti, humiliés voire lynchés.

La photo d’un combattant du PKK forcé à embrasser la statue du fondateur de la république turque Mustafa Kemal a fait le tour du web en Turquie. A Istanbul, les bus en provenance du Sud-Est kurde sont accueillis par une pluie de projectiles. Parler kurde dans un bus peut conduire à être poignardé, comme ce fut le cas d’un étudiant d’Istanbul la semaine dernière.

Encouragés par l’AKP (Parti de la Justice et du Développement islamo-conservateur), les milices d’extrême droite, la police et l’armée donnent donc l’assaut aux kurdes et à la gauche. Loin de sembler se satisfaire des morts et du chaos qui s’installe en Turquie, le président Erdogan joue la carte d’une escalade que rien ne semble pouvoir arrêter.

Un pari électoral ?

Les élections législatives turques du 7 juin ont remis en question du pouvoir absolu de l’AKP sur le parlement. Son chef de file, le président Erdogan s’est retrouvé dans l’incapacité de gouverner sans former de coalition. Une position inacceptable pour celui qui rêvait de réformer la constitution du pays dans le sens d’une légitimation de son règne autoritaire. C’est cela qui explique la convocation d’élections anticipées en novembre.

Dès lors, le camp Erdogan n’a eu de cesse de porter ses attaques contre la gauche et les Kurdes. Après Suruç, la propagande pour le retour à la sécurité de l’AKP s’est soldée par une vague de répression soi-disant anti-terroriste. Depuis fin juillet, la police turque a arrêté des milliers de syndicalistes, militants des partis de gauche, et soutiens de la cause kurde à travers tout le pays. Rapidement c’est sur le plan militaire que l’AKP a poursuivi sa politique.

Avec cette stratégie de la tension, Erdogan cherche sans aucun doute à souder autour de lui une majorité nationaliste qui lui a fait défaut en juin et à capter les voix de l’électorat le plus réactionnaire pour ainsi pouvoir mener à bien son projet de réforme de la constitution qui lui permettrait de concentrer le pouvoir entre ses mains. Cela devient d’autant plus important que l’économie turque connait de plus en plus de difficultés.

Les impérialistes s’inquiètent

Face à l’escalade en Turquie cette semaine, le Financial Times publiait un article où l’on demandait à Erdogan de faire baisser les tensions avec les Kurdes. Tout en affirmant le caractère « terroriste » du PKK, le journal signale que le conflit actuel a été provoqué principalement par l’attitude du gouvernement turc, notamment sa politique hostile vis-à-vis des Kurdes du Rojava, en Syrie.

L’inquiétude principale des auteurs de l’article, qui reflète bien les préoccupations des principaux gouvernements occidentaux, c’est que la Turquie entre à son tour dans une période de déstabilisation et de guerre qui viendrait s’ajouter à la crise au Moyen-Orient. La crise migratoire que connaît l’Europe laisse entrevoir ce qui pourrait arriver en cas d’enlisement des combats en Turquie.

Un collectif pour la paix

La gauche turque et kurde semble être prise de court par la tournure dramatique que prennent les événements. Fort d’une longue tradition de résistance, le mouvement kurde sait se défendre, y compris militairement. Les répliques de la guérilla ont fait une centaine de morts depuis la rupture du cessez-le-feu en juillet, mais la logique de fond du PKK comme de son expression politique, le HDP, est d’arriver à une solution négociée de la question kurde avec l’Etat turc. D’où cette oscillation entre réplique militaire et le fait que le HDP, en dépit des attaques, a finalement accepté d’intégrer le gouvernement de transition avant les élections anticipées, tout en légitimant "l’auto-défense" des kurdes.

Alors qu’il était sous le feu de la répression, le HDP a ainsi commencé par créer un Collectif pour la paix et qui a mené campagne tout l’été pour réclamer l’arrêt des combats. Le leader charismatique de la gauche, Selahattin Demirtas déclarait par ailleurs le 23 août, « pour nous, il n’existe pas d’alternative. Il ne doit plus y avoir de morts kurdes, turcs, militaires, guérilléros ou policiers ».

La gauche déboussolée

Si le PKK se défend militairement, c’est la politique pacifiste du HDP qui hégémonise la réaction de la gauche turque et kurde. Si les sondages donnent l’AKP en recul pour novembre, il apparaît que les élections n’arrêteront pas Erdogan et ses soutiens dans l’entreprise de destruction du mouvement kurde et de la gauche qui a été entamée.

Le HDP, néanmoins, continue de refuser de quitter ce gouvernement qui promeut la guerre civile. Cette confiance en la voie parlementaire et dans la conciliation avec la bourgeoisie turque place dans une position de faiblesse la gauche turque et kurde. L’illusion d’une paix juste avec les bouchers d’Ankara, qui ont prouvés à maintes reprise le caractère profondément dictatorial de leur politique, devient de plus en plus incompréhensible au regard de la situation. L’arrêt des massacres en Turquie ne pourra passer que par la rupture avec la bourgeoisie turque représentée par l’AKP, et la solidarité de classe entre les opprimés turcs et kurdes. Pas par le respect des institutions de la République Turque, maculée du sang des kurdes.


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