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Externalisation de la casse sociale

La dernière usine automobile de Gironde, Magna (Ford) rachetée par Mutares, fond d’investissement vautour

Annoncé depuis septembre, le rachat par Mutares de l’usine de Magna à Blanquefort, inquiète à juste titre les ouvriers. C’est une externalisation de la casse sociale qui est en cours et l’avenir des plus de 800 emplois est clairement en jeu dans le bassin bordelais.

Antoine Bordas

2 décembre 2022

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L’avenir de l’usine suspendu à un rachat

Fin septembre, la nouvelle a immédiatement inquiété : l’usine de Magna Powertrain Bordeaux (ex-Getrag Ford Transmissions) va être rachetée, début 2023, par un fonds d’investissement allemand, Mutares. Aussi qualifié de holding industriel, le groupe est connu pour acheter des entreprises en difficulté, les revendre ou les liquider totalement. Dernier exemple en date, l’entreprise Pixmania qui a subi un démantèlement en règle.

Cette réputation inquiète largement les travailleurs, qui ont appris l’information du jour au lendemain, lors d’une réunion extraordinaire du Comité Social et Économique (CSE) le 23 septembre dernier. Ce rachat semble annoncer le dernier volet du carnage social et industriel que le géant Ford a lancé depuis plusieurs années sur le territoire européen.

En effet, le site de Magna à Blanquefort regroupant encore près de 811 travailleurs (apprentis et intérimaires compris) pour la fabrication de boîtes à vitesses, est l’une des deux usines historiques de Ford en Gironde. La principale usine, Ford Aquitaine Industries (FAI), a déjà été fermée en 2019, mettant au chômage près de 1000 ouvriers et leurs familles, en plus des 3000 emplois induits->https://www.revolutionpermanente.fr/Fermeture-de-l-usine-Ford-Blanquefort-le-plan-social-est-valide]. Ce retrait a accompagné le désengagement industriel de Ford en Europe détruisant des milliers d’emplois.

Il y a près de deux ans, l’actuelle usine de Blanquefort avait déjà subi un rachat, passant d’une co-entreprise entre Getrag et Ford, à une direction unique de l’équipementier Magna. Depuis, le problème reste le même, le contrat de production qui fait aujourd’hui tourner l’usine (les “transmission Mx65”) n’assurant pas de travail au-delà de 2026 et seulement de manière décroissante.

En réalité, Ford, qui s’est désengagé dans le cadre de sa transition vers l’électrique, reste l’unique client de cette usine et n’annonce toujours pas de commandes de nouveaux produits. Après deux ans de soi-disant recherche d’alternative, Magna jette donc l’éponge et revend l’entreprise à un faussaire reconnu.

Mutares, des pratiques de vautour pour imposer restructuration et liquidation des entreprises

Les syndicats de travailleurs n’ont pas mis longtemps avant de pointer le danger entourant ce rachat, et pour cause, Mutares s’illustre depuis plusieurs années dans un domaine particulier : celui du rachat d’entreprise en difficulté. La suite de ses rachats n’est jamais synonyme de pérennité de l’emploi et des conditions de travail, mais plutôt de fermeture ou “dégraissement” massif.

Un représentant CGT nous précise : « Quand on discute avec des collègues d’autres entreprises, on voit bien que Mutares n’est pas une solution. Que ça soit côté Valti ou Lapeyre, il n’y a jamais de nouveau projet, aucun investissement ». Dans le cas de Valti, l’accord d’entreprise a été liquidé « sept jour après le rachat seulement”.

Un rapide tour d’horizon met en lumière des méthodes récurrentes de casses sociales organisées, le cas de Pixmania étant emblématique. En 2016, à la suite du rachat par Mutares, Le Parisien décrivait la méthode du fond vautour : «  Depuis son arrivée, le groupe Mutares n’a procédé à aucun investissement au sein de Pixmania » pointe un rapport.

Aucun investissement, sauf dans certaines de ses filiales... sans activité ! Sans surprise, le chiffre d’affaires plonge, tandis que les marges commerciales stagnent autour de 6 %. Seul changement notable en juin 2014 : un plan de licenciements prévoit de supprimer 187 postes. Dans le même temps les dividendes de Mutares sont multipliés par cinq (20 M€).. Après cette première attaque, Mutares a poursuivi en mettant sur la paille 200 travailleurs supplémentaires.

Si ce type de rachat est une vraie spécialité de la holding, Magna semble être un des partenaires privilégiés pour ces opérations. D’après La Tribune, dans le cadre de ses rachats successifs, Mutares a d’ores et déjà repris en 2021 trois usines filiales de Magna. Annoncé en “croissance forte” depuis, on ne nous détaille jamais les méthodes utilisées pour leur rentabilité.

Une machine à fric qu’il faut immédiatement combattre

Dans le cas de Magna, il ne fait aucun doute que l’on s’avance vers des scénarios similaires. Dans Le Monde, Mathieu Purrey, directeur chargé du secteur automobile et mobilités chez Mutares annonçait après le rachat « on n’est pas là pour vendre du rêve, mais pour faire face à la problématique de perte de vitesse de l’usine ».

Concernant la production restante de boîte à vitesse, le rendez-vous de mercredi dernier (le troisième) a précisé les choses. Le contrat avec Ford court encore : alors que les travailleurs ont d’ores et déjà produit 1.3 million de boîtes à vitesse Mx65, l’accord en prévoit encore 500 000 de plus.

Alors que l’année 2022 devrait se finir avec une production finale de 290 000 boîtes, l’agenda théorique pour les années à venir serait de : 267 247 en 2023, 147 243 en 2024, 71 145 en 2025, 13 726 en 2026. Outre une baisse progressive, la proposition de la future direction serait de regrouper les productions de 2024, 2025 et 2026. Ce qui ferait que l’ensemble des boîtes demandées par Ford seraient produites en deux ans seulement : au-delà, aucun projet n’est d’actualité. Ainsi, Mutares pourrait considérer l’usine en sureffectif dès 2023.

Sur les possibilités de “diversification”, la première rencontre avec les syndicats n’avait rien donné de concret et aucune annonce précise n’a eu lieu depuis. Mutares a uniquement repris les réflexions avortées de Magna : robots de tonte, prestations pour des bornes de recharge de véhicules électrique, l’assemblage et le recyclage de batteries.

Sur ces aspects, les calculs de l’intersyndicale estiment pour l’instant que ces activités concerneraient une centaine de salariés seulement à l’issue d’une restructuration de ce type. Si ce n’est qu’une estimation, la logique est clairement dénoncée par un travailleur : “On parle toujours de profit, de charge de travail potentiel, jamais d’effectif réel”.

Plusieurs rapports d’expertise ont déjà été reçus par les syndicats, rien de rassurant évidemment, mais des points d’appuis supplémentaires pour préparer la suite de la bataille qui s’annonce. La prochaine grande étape sera en janvier, moment où Mutares va officialiser le rachat et lancer ses propres audits : les syndicats se préparent d’ores et déjà à des méthodes complètement indignes. Les travailleurs dénoncent la venue d’« une centaine de soi-disant experts qui vont sillonner l’usine » et plus tard expliquer qu’il faut massacrer les emplois et les savoir-faire. En outre, le coût de cette expertise de Mutares est dénoncé, on avoisinerait le million d’euros si l’on se réfère aux dernières pratiques de la holding.

Relever la tête contre l’isolement

Comme ailleurs en France et dans le monde, cette usine subit une série d’événements importants qui semblent parfois dépasser les travailleurs sur place : rachats successifs, crise du secteur automobile latente, covid, inflation… Autant de prétextes des patrons pour précariser les travailleurs : dénonciation des accords d’entreprises, chômage partiel imposé avec paye au rabais, aucun rattrapage de l’inflation, annualisation du temps de travail, …

Cette multitude d’attaques nous impose de discuter un plan global de réponse. On parle bien sûr de relever la tête, usine par usine, y compris avec des combats très immédiats. Mais les travailleurs de Magna le pointent très bien : “la contraction du marché de l’automobile ce n’est pas que pour notre boîte, on voit bien les collègues en Espagne ou en Allemagne qui sont à bout de souffle”.

Ces liens et connaissances sont une base primordiale pour aspirer à des perspectives de luttes communes. Alors que la crise économique risque de s’aggraver dans les prochains mois, et que dans différentes entreprises les salariés sont mis en difficulté par l’inflation, il est nécessaire d’organiser la solidarité pour se battre pour les salaires, mais aussi les emplois qui dans le cas de Magna/Mutares, vont directement être visés.


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