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La jeunesse entre précarité et bullshits jobs : à quand la révolte ?

Tous ceux qui se retrouvent aujourd’hui aliénés à des cursus qui ne leur promettent que des perspectives de vie – matérielle et « spirituelle » - au rabais, se faisant voler leurs aspirations pour les marchander sur l’autel du profit, toute cette jeunesse qui refuse de continuer à étudier pour rien – ou si peu – doit se mobiliser pour mettre un coup d’arrêt à Macron et ses réformes néolibérales.

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Entre précarité et bullshit jobs : la jeunesse moins bien lotie que les générations précédentes

Avec les réformes néolibérales de Macron, la jeunesse non diplômée sert véritablement « d’armée de réserve » bon marché pour le capitalisme, pour reprendre les termes de Marx. Pour tous ceux ne disposant pas du niveau de diplôme (voire n’ayant pas de diplômes tout court) pour espérer s’insérer sur le marché du travail, avec les réformes néolibérales de Macron (la dernière en date : l’entrée en vigueur d’une réforme de l’assurance-chômage) les perspectives sont de plus en plus dégradées : « Les non-diplômés ou peu diplômés ont de plus en plus de mal à trouver leur place dans le monde professionnel, écrit Le Monde. Sept ans après leur arrivée sur le marché du travail, 41 % des non-diplômés de la génération 1998 bénéficiaient d’un CDI. Pour la génération 2010, ce chiffre tombe à seulement 21 %. Et, sur ces sept années, les non-diplômés de 1998 avaient passé 65 % de tout ce temps en emploi tandis que ceux de 2010 n’ont occupé un emploi que pendant 46 % de la période ».

Et si la précarité accrue est le lot des non-diplômées, de nombreuses études viennent attester de ce déclin relatif de la valeur des diplômes au regard des possibilités d’insertion professionnelle. C’est un fait objectif qui progresse depuis plusieurs années : la jeunesse diplômée, et même parfois hautement diplômée, subit un déclassement progressif.

En effet, l’ouverture de l’enseignement supérieur, certes relatives mais réelle, à une frange plus importante de la population, couplée aux conséquences de la crise de 2008 qui ont marqué un tournant dans la situation économique mondiale, produisent aujourd’hui un décalage énorme entre le nombre de jeunes diplômés et les places sur le marché du travail, faisant chuter la « rentabilité » économique et sociale de ce même diplôme – y compris pour des diplômés du supérieur jusqu’à bac+5. Certes, le diplômes constitue toujours une sorte « d’assurance » face à la précarité croissante et la compétition féroce sur le monde du travail instaurée par le capitalisme ; toutefois, comme l’écrit Le Monde « en quelque sorte, le diplôme « vaut » en moyenne un peu moins qu’avant ce qui n’est pas une bonne nouvelle à l’heure de la massification de l’enseignement supérieur. Entre 2000 et 2015, le nombre d’étudiants a augmenté de 390.000, pour atteindre 2,5 millions. Mais la crise de 2008 est passée par là et ses conséquences se font toujours sentir sur les diplômés arrivés sur le marché du travail plus tard, qui en font les frais. »

A cette dégradation « objective » des conditions de vie, y compris donc pour une frange des étudiants les plus diplômés, s’ajoute aussi l’expérience subjective de l’aliénation au travail – et parfois pendant le cursus d’études même ; où la parcellisation et l’atomisation des tâches engendre le sentiment de travailler pour un métier vide de sens, voire en opposition avec ses valeurs et aspirations plus profondes.

Certains métiers, notamment ceux qui sont directement issus des nécessités de la production capitaliste d’écouler ses marchandises et assurer sa reproduction élargie – la finance, le marketing etc. – constituent un véritable vivier de ces « bullshit jobs » [1] - terme forgé par l’anthropologue David Graeber pour qualifier ces métiers rendus nécessaires par la division du travail capitaliste mais délié de toute finalité sociale rationnelle. Un sentiment d’aliénation si fort qu’il peut créer, y compris chez les haut diplômés, une tendance à rejeter certains aspects de leur condition de travail, optant (de façon idéalisée), pour des métiers plus aptes à fournir un sens. Ainsi du témoignage d’un jeune diplômé d’une haute école de commerce rapporté par Le Monde : « Je ne travaillais que sur des choses dont je ne voyais jamais la fin, j’étais perdu au milieu de la chaîne de production, et j’avais un vrai sentiment de rejet de la part de mes proches quand on me demandait ce que je faisais, je finissais par capituler et dire “tu as raison, je ne comprends même pas ce que je fais”. »

Plus encore, au-delà d’une frange de métiers qui seront rendus obsolètes par la disparition du système qui les a rendus nécessaires, dans un système capitaliste, où prévaut la recherche – de plus en plus brutale – du profit – « à tous les fins sont volés » comme l’écrivait Sartre ; et à l’aspiration de « changer le monde » ou simplement vivre de sa vocation ou encore juste exercer son métier par passion, s’est désormais substituée une aliénation objective et subjective génératrice de tant de souffrances morales et physiques : infirmières contraintes de maltraiter leurs patients, enseignants confrontés à la dégradation des budgets, médecins qui développent des traitement pour les plus riches et laissent mourir les plus démunis, cheminots démolis par les réformes anti-sociales, étudiants et enseignants confrontés à la casse de l’enseignement public, intellectuels et artistes obligés de se vendre à la solde du plus offrant et compromettant leur art en espérant un jour pouvoir vivre de leur véritable inspiration.

C’est en partie sur le terreau de ce déclassement – un phénomène objectif – que se base une partie de la révolte de la jeunesse diplômée aujourd’hui dans le monde et une partie ce qu’on a coutume d’appeler, avec beaucoup d’ambiguïté, et une charge idéologique loin d’être neutre, les « classes moyennes. »

« Révolte des classes moyennes » ou la rupture du consensus néolibéral ?

Dans une situation marquée par une retour de la lutte des classes à échelle internationale, la bourgeoisie s’inquiète fortement de voir une frange des classes moyennes supérieures décrocher et se retourner contre les gouvernements qui avaient garanti jusque-là leur intégration à l’ordre néolibéral. Au vu de la dégradation de la conjoncture économique et de la crise politique profond du néolibéralisme, les marges de manœuvre des régimes se font de plus en plus étroites, alors même que la restauration capitaliste des années 70 s’était en en grande partie forgée sur ce « pacte néolibéral » avec la frange supérieure des classes moyennes, promouvant des valeurs de réussite individuelle et d’entrepreneuriat de soi-même aujourd’hui de plus en plus difficiles à rendre crédibles (si tant est qu’elles ne le furent jamais) dans le contexte d’un capitalisme en crise.

Un édito du journal bourgeois l’Opinion évoquait ainsi une « révolte des classes moyennes » pour caractériser à la fois le mouvement des Gilets Jaunes et les soulèvements populaires à échelle mondiale. Si l’argument est totalement idéologique (tous ces mouvements constituent de réels mouvements de masses et pas juste de "classes moyennes"), cela en dit long sur la nécessité de raccrocher les classes moyennes à la remorque de l’Etat bourgeois, sans quoi le consensus pourrait se rompre et ouvrir des possibilités d’alliance entre ces secteurs plus diplômés et le mouvement ouvrier organisé, mais aussi avec la jeunesse et le mouvement des femmes. Un phénomène particulièrement visible au Liban notamment où, comme le note Joseph Daher : « La composition sociale du mouvement le distingue également des mouvements de protestations précédents : il est beaucoup plus ancré au sein de la classe salariée et populaire que les manifestations de 2011 et 2015, dans lesquelles les classe moyennes avaient un rôle plus important. Comme l’écrivait la militante et universitaire libanaise Rima Majed : « Les mobilisations de ces derniers jours ont montré l’émergence d’une nouvelle alliance de classe basée sur les chômeurs, les sous-employés, les classes populaires et les classes moyennes contre l’oligarchie au pouvoir. C’est une percée. »

Une potentielle « percée », à tel point que des journaux de la bourgeoisie internationale comme le Financial Times n’en appelle à rien de moins qu’avancer vers un modèle plus redistributif et inclusif de développement sous peine de toute perdre et voir le « pacte néolibéral » se rompre. C’est qu’en réalité, loin d’une simple « révolte » des classes moyennes, c’est l’hégémonie néolibérale mondiale qui est en crise – et quel symbole de voir aujourd’hui le Chili, laboratoire du néolibéralisme, devenir le laboratoire de son potentiel renversement !

S’il est possible que des « amortisseurs » existent encore en France, il est nécessaire de réaliser que la situation de crise profonde dans laquelle se trouve le capitalisme aujourd’hui, avec une croissance atone, des guerres commerciales entre grandes puissances et une situation géopolitique convulsive, la perspective de pouvoir trouver une « niche » ou un ilot de stabilité dans un monde chaotique relève de la pure illusion. Plus particulièrement en France, il s’agit pour Macron d’imposer – et il a réitéré sa volonté d’aller jusqu’au bout – ses contre-réformes néolibérales ; le déclassement d’une partie de la jeunesse diplômées n’est que le prélude à des attaques historiques plus profondes encore contre le monde du travail et la jeunesse. Le macronisme est là pour durer, et sans une riposte d’envergure, il compte bien aller jusqu’au bout de son projet.

Mettre un coup d’arrêt au néolibéralisme : de la défense à l’attaque

Dans ce contexte, la perspective ouverte par ces potentielles alliances de classe dispose d’un potentiel hautement explosif. Au Chili, on a vu les travailleurs du secteur public, les travailleurs de la santé, les enseignants, les mineurs, les dockers, les syndicats du commerce et des services défiler avec leurs drapeaux contre le gouvernement néolibéral et sanguinaire de Pinera. Si la puissance de feu de la classe ouvrière a montré tout son potentiel, paralysant la plus grande mine privée du monde et mettant le pays à l’arrêt ; elle a surtout montré comment, alliée à d’autres secteurs, elle était capable de faire reculer et semer la terreur au sein des classe dominantes – Pinera, lui aussi, avait annoncé sa volonté de ne pas reculer… jusqu’à ce que la grève générale et un mouvement de masse dans la rue ne le contraigne à rétropédaler et cherche une bouée de sauvetage.

En France, la date du 5 décembre se profile comme une bataille centrale contre le gouvernement et la réforme des retraites – et plus loin encore, contre l’ensemble de son agenda néolibéral. Les grèves sauvages qui ont démarré à Châtillon et se sont étendues à deux autres technicentres sont les premières passes d’armes d’une bataille qui peut – et doit – constituer une première victoire afin de passer de la défense de nos acquis à un ensemble de revendications offensives : en finir avec la précarité généralisée, dont souffre en première ligne la jeunesse ; pour la retraite à 60 ans maximum, et 55 ans pour les métiers pénibles, sans condition d’annuités qui sont une double peine pour les femmes et les précaires, financée par les possédants et leurs exonérations, dividendes, ISF et autre CICE ; pour un partage du temps de travail avec maintien de salaire entre ceux qui se tuent au travail jusqu’après 65 ans et ceux qui se tuent à en chercher, etc.

Car des « bullshit jobs » à la précarité généralisée en passant par la dégradation croissante des conditions de travail, il est possible de faire reculer Macron et le vaincre – car si les Gilets Jaunes ont semé les germes de la peur au sein des classes dominantes, encore faut-il rappeler que ceux- ci n’étaient « que » 300.000 au pic de la mobilisation, et que le mouvement ouvrier organisé n’était pas entré dans la danse. Autant de données qui pourraient transformer brutalement le rapport de forces entre les classes.

C’est en ce sens que tous ceux qui se retrouvent aujourd’hui aliénés à des cursus qui ne leur promettent que des perspectives de vie – matérielle et « spirituelle » - au rabais, leur volant leurs aspirations pour les marchander sur l’autel du profit, toute cette jeunesse qui refuse de continuer à étudier pour rien – ou si peu – doit se mobiliser pour mettre un coup d’arrêt à Macron et ses réformes néolibérales.

Comme l’écrivait Sartre : « Lorsqu’un médecin fait des recherches pour guérir le cancer, sa recherche ne précise pas, par exemple, qu’il faut guérir les riches, par la raison que la richesse ou la pauvreté n’ont rien à faire avec les cellules cancéreuses. Cette indétermination du malade est nécessairement conçue comme son universalisation : si l’on sait guérir un homme – évidemment caractérise par des appartenances socioprofessionnelles qui tombent en dehors de la recherche – on les guérira tous. Mais, en fait, ce médecin se trouve, par condition, plongé dans un système de relations définies par la classes dominantes en fonction de la rareté et du profit – but suprême de la bourgeoise industrielle – et tel que ses recherches, limitées par les crédits, aussi bien -s’il trouve un remède- que le prix des premiers soins, ne serviront d’abord qu’au petit nombre – ajoutons que ses découvertes peuvent être occultées pour des raisons économiques par telle ou telle organisations : un remède de premier ordre mais roumains pour les maux de la vieillesse se trouve en certains pays mais non pas en France, en vertu de la résistance des pharmaciens ; d’autres existences en laboratoire depuis plusieurs années mais ne peuvent s’acheter nulle part le public les ignore etc. En bien des cas, avec la complicité du technicien du savoir pratique, les couches sociales privilégiées volent l’utilité sociale de leurs découvertes et transforment en utilité pour le petit nombre aux dépend du grand. »

A partir de là, continue Sartre, deux voies s’ouvrent, ou bien celle de l’aliénation ou bien celle de la révolte, et ainsi lier son sort à celui de la majorité des opprimé – autrement dit, s’allier à la classe ouvrière dans sa lutte pour une autre société où le savoir, l’éducation et la recherche seront mis au service de la majorité de la population ; et où vivre de sa vocation sera moins une utopie que, comme le dit Trotsky, « le saut du règne de la nécessité au règne de la liberté, en ce sens que l’homme d’aujourd’hui, déchiré par ses propres contradictions, pourra s’ouvrir la voie d’une existence plus heureuse ».


[1Selon un sondage : 78 % des salariés ont parfois ou toujours l’impression d’effectuer des tâches inutiles. 73 % estiment que certaines fonctions existantes sont inutiles pour la réalisation de leur mission. 64 % estiment que leur job consiste parfois à résoudre des problèmes qui n’existent pas



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