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Rejouer Charlie avec un gendarme

La mort d’Arnaud Beltrame : un prétexte posthume à l’union nationale

Formé à Saint Cyr, et à l'école du GIGN, le lieutenant-colonel de gendarmerie Beltrame est mort en prenant la place d’une otage dans le supermarché de Trèbes, vendredi dernier. Pourtant, cet acte qui a nécessité un indéniable courage personnel, devient odieusement prétexte à un remake des « je suis Charlie » et autres concerts d’union nationale qui se produisent à chaque nouvel attentat.

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Que le crime soit ignoble, comme les trois autres homicides perpétrés par Radouane Lakdim, c’est certain. Que l’acte ait été courageux, ça l’est aussi, mais beaucoup moins noble est l’exploitation faite de cet évènement par le gouvernement et ses échotiers pour faire d’une pierre deux coups : redorer le blason d’une police dont le visage répressif devient chaque jour un peu plus odieux à la population, et mettre une sourdine à la colère sociale en plein échauffement.

Quand les « républicains » font chorus, et que JLM ouvre la marche

« La république une et indivisible », cette nation que l’on « protège » non pas tant du terrorisme que de l’afflux des migrants ou de l’affrontement entre les classes, c’est explicitement ou implicitement à elle que se réfèrent tous ceux qui, abolissant les frontières internes et serrant les coudes contre l’ennemi commun, en appellent à l’union nationale. Quoi de mieux qu’un « héros » pour donner à cette stratégie toute sa puissance morale et émotionnelle ?

A l’occasion de l’attentat de Trèbes, le premier à ouvrir la voie a été… Jean-Luc Mélenchon. Le mardi 27 mars, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, après la minute de silence dédiée aux victimes, il a adressé un vibrant hommage à Arnaud Beltrame qu’il a qualifié de « héros de la condition humaine ». Damant le pion à Macron sur son propre terrain, il a interpellé Edouard Philippe en ces termes : « Appelez-nous à un deuil national, et nous vous répondrons favorablement ». Ovationné par l’Assemblée, et notamment par des députés de la majorité ainsi que des élus Les Républicains, il s’est taillé une posture de chantre de l’union sacrée au nom d’une certaine « philosophie humaine » qui n’est pas la nôtre ni celle de notre camp social.

Rien d’étonnant à ce qu’il ait vilipendé et exclu un cadre de sa propre organisation dont les propos exacerbés mettaient en danger son image de leader de l’union nationale. Non que les phrases de Stéphane Poussier, ex- candidat FI aux législatives en juin 2017, dans le Calvados, aujourd’hui condamné à un an de prison avec sursis pour apologie du terrorisme, puissent être reprises, telles qu’il les a exprimées. Mais Mélenchon n’a pas cru bon dénoncer la manipulation, qui consiste à laver, grâce à l’acte d’un homme porté au statut de héros, toutes les turpitudes de la police et de la gendarmerie, toutes les répressions, les humiliations, les brimades, les morts perpétrées dans le camp des travailleurs et de la jeunesse, notamment immigrés, tous les Remi Fraisse, tué par une grenade de la gendarmerie à Sivens et auquel Poussier rendait hommage dans son tweet, les Zyad et Bouna, les Adama Traoré, et tous les autres….

Mercredi 28 mars, a donc eu lieu l’hommage national que Mélenchon appelait de ses vœux. Les honneurs ont été rendus à Arnaud Beltrame, nommé colonel et élevé au grade de commandeur de la légion d’honneur, à titre posthume. Le drapeau, la Marseillaise, les cordons composés de gendarmes, policiers et militaires fédérés pour la circonstance, le discours du chef de l’Etat, les Invalides, le Panthéon, en bref tout ce qui fait « la patrie », tous les insignes de l’union nationale et du pouvoir d’Etat étaient présents.

Brandir le spectre de l’état d’urgence

Mais au-delà de l’émotion, l’expérience a montré que la menace du terrorisme djihadiste, certes bien réelle, et l’appel à l’union nationale, certes mobilisatrice, servaient à chaque fois au renforcement des traits bonapartistes du gouvernement. Qu’il se soit agi de Sarkozy et de Hollande, au moment de l’attentat de Nice, ou de Macron aujourd’hui, l’objectif de l’union nationale est toujours le même, obtenir un pseudo-consensus pour, une fois de plus, attenter aux libertés et renforcer l’appareil répressif d’Etat. Pour l’actuel président qui tient à dérouler sans obstacle le train de ses contre-réformes par voie d’ordonnances, s’abriter derrière une figure héroïque et le prétexte de la lutte anti-terroriste pour réprimer tout ce qui bouge sont évidemment un atout à jouer.

Il est puissamment aidé en cela par la pression de l’extrême droite et de la droite. Chef de file, Laurent Wauquiez qui, immédiatement après l’attentat de Trèbes, monte au créneau en réclamant, devant un drapeau en berne, le rétablissement de l’état d’urgence levé en septembre dernier. Il va de soi qu’une telle demande ne peut aller que dans le sens d’une aggravation de ce qui existait déjà et que la loi antiterroriste, votée dans la foulée, n’a fait qu’inscrire dans la durée et généraliser. Toute la bataille qui a fait rage autour de l’inefficacité des services de renseignements et de la « naïveté » de l’Etat a été destinée à justifier l’exigence de mesures contraires au droit le plus élémentaire. Dans le droit fil d’une Marine Le Pen et nourri par un racisme antimusulmans exacerbé, Wauquiez a été jusqu’à réclamer l’internement, sans autre forme de procès, « des nombreux individus de nationalité étrangère proches des islamistes ».

Mais Wauquiez n’est pas seul à vouloir se placer dans la surenchère à la fermeté. Valls y va de sa chansonnette en réclamant une mesure totalement irréaliste : « interdire le salafisme ». Sarkozy, quant à lui, fait profil bas et se contente d’exprimer sa compassion à l’égard des victimes de l’attentat… On sait pourquoi.

Au bout du compte, faire taire le mouvement social

Mais pour un Macron dont la principale vocation politique est d’accomplir la volonté du MEDEF et de mettre à genou les travailleurs et leurs luttes pour préserver leurs emplois et des droits chèrement acquis, l’essentiel est dans l’utilisation qui est faite de la situation post-attentat et qui tombe à pic pour le gouvernement. Ce qu’il espère, c’est apporter un contre-feu au mouvement social qui s’enclenche, chez les cheminots, dans les hôpitaux, chez Ford Blanquefort dans les universités et dans bien d’autres secteurs.

Après la manifestation convergente des cheminots et des salariés de la fonction publique le 22 mars, qui a marqué un réel succès et un prélude à une situation sociale extrêmement tendue au moins jusqu’à l’été, un épisode d’union nationale au profit d’une image valorisée des « forces de l’ordre » est évidemment une opportunité à saisir.

Elle a cependant peu de chances de convaincre les usagers que Macron voudrait monter contre les cheminots. Elle a certainement encore moins de chances de convaincre les étudiants dont la mobilisation grandit dans les facs et qui connaissent bien le vrai visage de la police. Ils les ont vu à l’œuvre récemment : dès le début du mois de mars à Bordeaux évacuant un amphithéâtre à coups de matraques et d’insultes ; le 19 mars à Dijon traquant les étudiants dans les couloirs à coups de matraques et de gaz lacrymogènes ; Le 22 mars, à Grenoble envoyant quatre blessés dont deux graves à l’hôpital. Les mêmes scénarios se sont répétés dans plusieurs facs ces dernières semaines.

Le gouvernement droit dans ses bottes n’est pas forcément si sûr de lui et a bien besoin du coup de main posthume du Colonel Beltram pour réaffirmer sa détermination et sa légitimité. Alors qu’à Montpellier les étudiants se font tabasser par des groupes d’extrême droite avec la bienveillance du doyen qui a d’ailleurs dû démissionner, alors que dans plusieurs facs des AG regroupant des centaines d’étudiants lancent des mots d’ordre de grève, la partie risque d’être difficile à jouer.

Dans l’Aude un député LREM n’hésite pas à tomber le masque et appeler à faire preuve de « sens national » en suspendant le mouvement de grève. Voilà comment, sans attendre une seconde, les macronistes se servent du deuil national pour essayer de tuer dans l’œuf le mouvement social d’ampleur qui se dessine. Nul doute que le recours au « sens national » ne se limitera pas à des appels ou des injonctions mais risque de passer par lacrymos, matraques, canons à eau et autres gardes à vue … s’ils ne vont pas plus loin.

crédit image : LCI


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