PESTE BRUNE

La possibilité du fascisme ? Entretien avec Ugo Palheta

Marina Garrisi

La possibilité du fascisme ? Entretien avec Ugo Palheta

Marina Garrisi

Dans son dernier ouvrage, Ugo Palheta, sociologue et directeur de publication de Contretemps analyse les mutations et les tendances lourdes caractérisant l’extrême droite française. Il revient, ici, sur quelques-unes de ses conclusions.

Tu reviens longuement dans ton livre, La possibilité du fascisme. La France, trajectoire du désastre, publié il y a quelques mois à La Découverte, sur la « crise d’hégémonie » du capitalisme français après plusieurs décennies d’offensive et de triomphalisme néolibéral. Tu défends l’idée que c’est cette crise qui remet le fascisme à « l’ordre du jour ». C’est dans ces mêmes coordonnées que, quelques semaines après la parution de ton livre, on a vu l’émergence du mouvement des Gilets Jaunes, le plus fort et le plus long mouvement social de ces dernières décennies. Bien que celui-ci ne se répercute pas automatiquement vers une progression politique de la gauche, comme on le voit dans les sondages pour les élections européennes, le scénario français est sans conteste plus favorable quand on songe qu’aux États-Unis, par exemple, l’opposition aux politiques néolibérales s’est d’avantage exprimée à travers un phénomène politique de droite dure. En ce sens est-ce que la situation ne serait-elle pas davantage ouverte que ce que ton livre laisse penser, et n’y a-t-il pas finalement un phénomène de course contre la montre entre révolution et contre-révolution, dans lequel l’objectif principal de l’extrême gauche ne serait pas de « prendre au sérieux » le danger du fascisme mais plutôt de prendre ses responsabilités pour sortir de la logique purement défensive qui est la sienne depuis plusieurs années ?

Je ferais d’abord remarquer que la situation est contradictoire, pas seulement en France mais aux États-Unis pour prendre l’exemple que tu mentionnes : on a vu l’élection de Trump mais aussi une intensification des luttes sociales et politiques (le mouvement Black Lives Matter, les grèves enseignantes, de très larges manifestations féministes, des mobilisations antifascistes), auxquelles il faut ajouter, dans le champ politique, l’émergence – qui aurait été inimaginable il y a encore dix ou quinze ans – de figures de gauche comme Bernie Sanders, Alexandria Ocasio-Cortez ou Ilhan Omar, qui ne sont pas des révolutionnaires mais qui expriment une critique partielle du capitalisme, ce qui signale un processus significatif et important de politisation à gauche et de polarisation politique.

Pour en venir à ta question, je pense qu’il faut distinguer au moins deux niveaux. À un niveau très abstrait, il n’est pas faux d’affirmer que l’alternative fondamentale se situe entre révolution et contre-révolution, entre communisme et fascisme. Et si le fascisme apparaît comme le mouvement réel qui perpétue le capitalisme sous des formes dictatoriales et terroristes, on ne peut s’opposer à lui efficacement – c’est-à-dire s’en débarrasser véritablement – qu’en lui opposant « le mouvement réel qui abolit l’ordre existant », c’est-à-dire le communisme tel que défini par Marx.

Mais au niveau de la politique concrète, qui se déploie dans des conjonctures toujours spécifiques et complexes, on voit bien que les révolutionnaires ont affaire à des situations beaucoup plus contradictoires et que l’antagonisme fondamental entre bourgeoisie et prolétariat ne se transcrit jamais politiquement dans une lutte à deux termes, bloc contre bloc, entre le parti de l’Ordre et le parti du Mouvement, entre un pouvoir bourgeois unifié et un mouvement de contestation homogène.

Le mouvement des gilets jaunes, dans ses contradictions internes (sociales, politiques et idéologiques), illustre d’ailleurs cette complexité des situations dans lesquelles nous sommes contraints d’agir, qui est à la fois une contrainte et un atout. Une contrainte parce que notre camp social – l’ensemble des exploité·e·s et des opprimé·e·s, c’est-à-dire une large majorité de la population – est socialement, politiquement et idéologiquement fragmenté ; ce qui suppose une politique de construction de fronts (le LKP guadeloupéen, qui a permis l’énorme mouvement de grève générale en 2009 sur l’île, continue de constituer un bon exemple en la matière). Mais un atout parce que notre ennemi de classe peut aussi être divisé et il faut savoir jouer de ces divisions et tenter, par nos luttes, de les renforcer.

Pour répondre plus directement à ta question, mon livre dit précisément que la situation est ouverte, non seulement au pire (le fascisme) mais aussi au meilleur (une révolution anticapitaliste). Pour le comprendre, il faut revenir au centre de la démonstration que j’ai tentée, à savoir que nous faisons face à une « crise d’hégémonie généralisée » (pour reprendre une catégorie de Gramsci retravaillée par Poulantzas) : une crise qui affecte la capacité des dominants à produire le consentement des dominés, plus spécifiquement à faire accepter à la majorité de la population la légitimité des politiques menées ; mais une crise qui touche aussi les formes traditionnelles de contre-hégémonie portées par le mouvement ouvrier dans ses différents segments (syndical et politique, communiste et socialiste).

Or ces formes traditionnelles avaient un rôle contradictoire : elles permettaient de résister, même partiellement, aux attaques patronales et gouvernementales mais, notamment dans les périodes de haute conflictualité sociale, elles entravaient les luttes et les contraignaient généralement à un registre défensif et strictement revendicatif. Ce caractère bien balisé a montré ses limites au cours des 10 dernières années en France, puisqu’une mobilisation aussi puissante que le mouvement de 2010 contre la réforme de retraites – le mouvement social le plus imposant numériquement depuis mai 1968, qui a duré environ deux mois – n’est pas parvenu à faire plier le gouvernement de Sarkozy, pourtant très impopulaire.

Il y a donc une brèche dans la domination politique de la bourgeoisie, ce qui ne veut absolument pas dire une crise pré-révolutionnaire où il suffirait d’un petit coup d’épaule des mouvements populaires pour que le « système » s’écroule. L’argument du livre, c’est que de cette crise peut effectivement sortir une rupture avec le capitalisme mais que les forces nationalistes et réactionnaires ont pris une longueur d’avance, en France comme dans de nombreux pays. J’avance donc qu’est possible une renaissance du fascisme, sous des formes nouvelles mais tout aussi oppressive et que, si nous ne parvenons pas à vaincre, si nous ne réussissons pas à élargir nos forces, à les unifier et à les employer de manière stratégiquement productive contre notre ennemi, à savoir un système politique et économique qui n’a pas seulement le visage de Macron ou de Merkel mais aussi de mouvements néofascistes, nous ne risquons pas simplement la reconduction du même mais une plongée dans l’abîme.

Dans ton troisième chapitre tu reviens sur la dimension autoritaire de l’État français, dimension qui s’approfondit à mesure que la crise d’hégémonie perdure. Par ailleurs tu écris à raison que « l’État autoritaire n’est nullement synonyme de fascisme (...) l’État fasciste ne désigne pas en effet un gouvernement un peu plus répressif que les gouvernements ordinaires mais un régime d’exception ». Dans les années 30, Trotsky a élaboré la catégorie de bonapartisme, qu’il reprend à Marx. Il me semble que cet outil conceptuel permet de caractériser un ensemble de situations intermédiaires, contradictoires ou combinées, entre la démocratie bourgeoise parlementariste, et le fascisme, et qu’il est particulièrement pertinent pour comprendre la situation française de manière plus nuancée et envisager les scénarios à venir. Qu’en penses-tu ?

En réalité nous sommes déjà depuis longtemps en France, avec la Cinquième république notamment, dans un régime qui ne relève pas de la démocratie parlementaire ou libérale au sens classique : parce que le Président de la République y dispose de pouvoirs démesurés, parce que la séparation entre le législatif et l’exécutif est largement fictive (c’est essentiellement dans les cabinets ministériels que s’élabore la loi, celle-ci étant ensuite généralement votée comme un seul homme par des députés de la majorité parlementaire hautement dépendants des sommets de l’exécutif), mais aussi parce que les libertés publiques fondamentales ont d’ores et déjà été rognées ces deux dernières décennies par l’empilement de lois anti-terroristes et l’instrumentalisation de ces dernières contre des segments de la population (les musulman·e·s en particulier, construits politiquement comme un ennemi de l’intérieur, inférieur mais menaçant) et contre les mouvements sociaux.

J’ai largement développé ce dernier aspect dans mon livre mais on peut pour s’en convaincre lire l’entretien récent donné au Monde par le président de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, Jean-Marie Delarue, ou le dernier rapport rendu par le Défenseur des droits, Jacques Toubon : le fait que ces critiques émanent de figures qui ne sont guère connues pour leur radicalité anticapitaliste ou anti-autoritaire donne à voir la décomposition du régime politique bourgeois, particulièrement en France où celui-ci s’éloigne de plus en plus de standards démocratiques minimaux.

Donc je dirais qu’il n’y a pas de danger bonapartiste puisque nous sommes déjà dans le type de situation intermédiaire que tu qualifies de bonapartiste. Ce qui nous guette, à une échelle de dix ou vingt ans, ce n’est plus « seulement » une hypertrophie du pouvoir exécutif ou une limitation des libertés publiques, mais bien le fascisme, c’est-à-dire la constitution d’un régime d’exception, impliquant une destruction des organisations ouvrières et des mouvements de contestation (le mouvement ouvrier mais aussi les mouvements antiraciste, antifasciste, féministes, etc.), et une intensification de la persécution des minorités (pouvant aller jusqu’à la déportation généralisée, prônée par l’extrême droite organisée sous le nom de « remigration » mais aussi par Éric Zemmour, voire des crimes de masse). En somme non plus « simplement » le nassage et le matraquage des manifestant·e·s mais l’enfermement généralisé des opposant·e·s, l’interdiction systématique des manifestations, et/ou l’emploi d’armes à feu contre les manifestants.

Qu’un intellectuel bourgeois de premier plan comme Luc Ferry, par ailleurs ancien ministre de l’Éducation, ait plaidé pour cette dernière solution contre les Gilets jaunes ne doit pas être pris à la légère : quelque chose est en train de se passer dans les classes dominantes. Comme y a insisté l’historien du fascisme Robert Paxton, c’est quand ces dernières ont le sentiment de perdre la maîtrise politique qu’elles sont amenées à envisager puis à mettre en œuvre des solutions ultra-autoritaires. Ce processus n’est pas sans lien avec un fait qu’on observe partout dans le monde, à savoir une sécession croissante des bourgeoisies, autrement dit une coupure de plus en plus forte vis-à-vis du reste des populations, documenté à la fois par des économistes (T. Piketty, B. Milanović, etc.) et par des sociologues (M. Pinçon-Charlot et M. Pinçon, ou encore S. Paugam, C. Giorgetti, B. Cousin, J. Naudet dans Ce que les riches pensent des pauvres).

Plus précisément, quand la classe dominante dispose de moins en moins d’appuis et de relais dans la population (parce qu’elle les marginalise elle-même pour favoriser l’accumulation du capital), des secteurs de plus en plus larges de cette classe se détachent de ses représentants politiques traditionnels (généralement la droite conservatrice ou libérale) pour se tourner vers des forces qui leur paraissent mieux à même d’aller le plus loin dans la mise au pas des mouvements populaires, et qui ont acquis une audience de masse.

Ces forces, ce sont principalement aujourd’hui les mouvements qui ont actualisé l’héritage fasciste sous des formes « respectables » (le FN/RN en France, la Lega en Italie, le FPÖ en Autriche, etc.), autour desquelles gravitent des groupes violents avec lesquels ces grands mouvements entretiennent des relations d’affinité idéologique et de coopération (pensons aux rapports entre le FN et les identitaires). Une fois au pouvoir, des organisations comme le FN/RN pourraient ne pas avoir besoin des bandes armées de masse qui ont caractérisé le fascisme classique, tant ils n’ont pas à faire face à un mouvement ouvrier aussi puissamment organisé que dans l’entre-deux-guerres et tant l’État capitaliste dispose aujourd’hui de moyens de surveillance et de répression sans équivalent avec le passé, qui leur permettraient d’écraser toute contestation (outre le fait que les appareils répressifs d’État sont déjà largement acquis aux affects, aux idées et aux mouvements d’extrême droite).

Pour revenir aux rapports entre classes dominantes et mouvements néofascistes, c’est précisément ce qui s’est passé au Brésil, puisqu’après avoir rompu son compromis avec le PT, en destituant Dilma en 2016 puis en emprisonnant Lula (qui se trouvait en tête dans les sondages d’opinion pour les élections présidentielles alors à venir), et devant faire face à une crise de la droite, des secteurs entiers de la bourgeoisie brésilienne se sont tournés vers Bolsonaro, un clown minable parvenu à l’emporter en mobilisant une rhétorique misogyne, homophobe, raciste et nostalgique de la dictature militaire, mais aussi un discours violemment anti-PT, anti-mouvements et anti-ouvrière.

S’il avait annoncé avant le 2e tour que les militants de gauche auraient le choix après son élection entre « l’exil ou la prison », rien n’est pourtant joué : entre l’élection d’un fasciste et l’imposition d’une dictature fasciste ou militaire, il y a un pas qu’il n’est pas toujours aisé de franchir (Mussolini mit plusieurs années avant de pouvoir se débarrasser de toute forme de pluralisme politique). Si l’élection de Bolsonaro constitue une très sérieuse défaite pour les classes populaires, les minorités et les mouvements d’émancipation, ce sont les luttes sociales et politiques qui trancheront dans les mois et années à venir.

Dans un certain sens, sans reprendre l’intégralité du programme explicite, ou implicite, du FN et de son avatar actuel, on peut dire que « la préférence nationale », c’est l’État qui l’applique, et ce depuis toujours, à travers un certain nombre d’interdictions qui pèsent dans la fonction publique, où certains concours ne peuvent pas être présentés par les étrangers par exemple. Il en va de même pour les ratonnades : elles sont pratiquées, à grande échelle et en toute « légalité », par la police en uniforme, dans le cadre de ses opérations de surveillance des quartiers et de maintien de l’ordre, mais également dans le cadre des arrestations et expulsions de « sans-papiers ». En ce sens, se focaliser sur « l’extrême droite » ou sur le péril fasciste, alors qu’il se manifeste, déjà, aujourd’hui, et depuis toujours, dans les mécanismes mêmes de cette république impérialiste, et pas seulement en raison de la « triple offensive [actuelle] – néolibérale, autoritaire et raciste – qui en nourrit la progression » (p. 14), est-ce que ce n’est pas se tromper d’ennemi ? Est-ce que ce n’est pas courir le risque que l’antifascisme, en dernière instance, soit fonctionnel à ce système, ou du moins détourne, à la fois dans la pratique et la nécessité de s’armer politiquement, du principal combat à mener ? 

Dire cela, ce serait affirmer que l’État est déjà fasciste, ce qui peut permettre d’obtenir facilement des succès de tribune mais qui ne correspond pas à la réalité (heureusement d’ailleurs sinon notre situation serait bien plus difficile que celle que nous connaissons).

Qu’il y ait déjà des poches d’exception (en particulier dans le traitement répugnant imposé aux migrant·e·s), que le fascisme existe en pointillés, à l’état moléculaire, et imprègne d’ores et déjà les subjectivités et certains segments de l’État (notamment les services préposés aux tâches les plus brutales de maintien de l’ordre, notamment dans les quartiers populaires), c’est à mon sens évident. Mais le fascisme au pouvoir c’est la cristallisation sous une forme organisée et systématique de tout ce qui existe actuellement à l’état latent, disséminé et partiel : un régime d’exception.

Si nous avons à défendre les libertés publiques et les droits démocratiques, nos organisations et nos mobilisations, c’est précisément qu’ils ne sont pas détruits (destruction qui est la caractéristique propre des régimes fascistes). S’il y a des batailles démocratiques à mener, sur le plan des libertés publiques mais aussi en faveur de mesures anti-discriminatoires, contre les contrôles au faciès ou pour que les violences policières soient condamnées en justice, c’est parce que nous pensons que l’État de droit n’est pas réduit à néant et qu’il est possible de limiter dans ce cadre les oppressions subies par des millions de personnes.

Et de fait il a été possible au 20e siècle, au prix de luttes massives et radicales de la classe travailleuse d’obtenir certains droits démocratiques et sociaux importants dans le cadre de l’État capitaliste, y compris dans des périodes où celui-ci était au moins aussi violent qu’aujourd’hui. S’il est évident que, pour détruire les racines mêmes de l’oppression et de l’exploitation, il faudra rompre avec le capitalisme et avec son État, tous les droits et toutes les protections que nous pouvons arracher dès maintenant sont des preuves de l’intérêt qu’il y a à lutter et de notre capacité collective à transformer la société, mais aussi des points d’appui pour aller beaucoup plus loin.

Pour revenir à ta question, prenons la « préférence nationale ». Il est très juste de rappeler qu’elle existe d’ores et déjà sous les formes que tu indiques, et il faudrait d’ailleurs beaucoup aller plus loin en ajoutant que la préférence raciale existe aussi à travers la multitude de discriminations que subissent quotidiennement les non-blanc·he·s dans la société française (à l’embauche, à l’avancement, au logement, etc.). Mais croit-on sérieusement que l’extrême droite ne souhaite en la matière qu’entériner l’existant et ne ferait que reconduire les politiques menées par les gouvernements successifs ?

Ce que fera l’extrême droite si elle parvient au pouvoir, si elle réussit à s’y maintenir durablement, à écraser les oppositions et à imposer son projet, c’est pousser jusqu’au bout toutes les oppressions existantes, donc légaliser et intensifier les discriminations, accroître très fortement les violences subies par les migrant·e·s mais aussi les habitant·e·s des quartiers populaires en donnant toute licence aux secteurs des appareils répressifs d’État les plus avides d’un grand « nettoyage », et favoriser notamment une incarcération de masse des hommes non-blancs (sur le modèle du nouveau système ségrégatif observable aux États-Unis, nommé « New Jim Crow »).

Se battre contre l’extrême droite ce n’est pas se tromper d’ennemi parce que l’extrême droite constitue l’un des visages de notre ennemi, le visage grimaçant que prend le capitalisme impérial, racial et patriarcal quand il entre dans une phase de décomposition. Il est donc d’autant plus important d’intégrer le combat antifasciste à notre lutte que l’extrême droite se développe en se faisant passer pour une alternative à un système dont elle ne conteste pourtant jamais les fondements.

Je dois dire en outre que je me méfie comme de la peste de cette division entre combat « principal » et combat « secondaire » car, à ce jeu, tout ou presque tend à devenir secondaire : la lutte antiraciste ou féministe ne détourne-t-elle pas du « combat principal » contre le capitalisme ? Le combat syndical ne détourne-t-il pas de la lutte « vraiment » révolutionnaire ? Etc. Il ne suffit pas de prôner la « convergence des luttes » ou la « poussée révolutionnaire » contre le système : faire œuvre révolutionnaire c’est trouver les moyens de mener jusqu’au bout chaque lutte dans tout ce qu’elle a d’émancipateur et de potentiellement révolutionnaire mais toujours spécifique (objectifs, acteurs, rythmes et logiques de mobilisation, modalités d’action, etc.), tout en cherchant à bâtir des fronts entre ces luttes, mais aussi à élaborer et à populariser une alternative globale au système que nous combattons.

L’antifascisme n’est fonctionnel au système que s’il est réduit à un appel purement électoral à faire barrage au FN/RN et s’il est coupé de toute lutte contre le système qui produit et nourrit le cancer fasciste. Mais on voit bien que cela n’a rien à voir avec ce que les militants et les collectifs antifascistes font vivre au quotidien, à savoir un militantisme qui combine la lutte frontale contre l’extrême droite organisée, c’est-à-dire contre la tendance la plus brutalement raciste du nationalisme français, et l’organisation de la solidarité avec les migrant·e·s, le combat contre les violences policières et l’islamophobie, la bataille contre les régressions néolibérales ou pour les droits des femmes.

D’ailleurs, si l’antifascisme était fonctionnel au système, on comprendrait mal pourquoi les militants antifascistes font, à ce point et depuis des années, l’objet de la surveillance et de la répression de l’État : on a encore vu tout récemment des militants incarcérés pour s’être opposés physiquement à des milices fascistes dont il est crucial d’enrayer le développement. Il faut d’ailleurs au passage rendre hommage aux militants antifascistes pour le travail réalisé depuis des mois pour chasser ces milices des manifestations de Gilets jaunes, et il serait juste d’organiser une large campagne de solidarité avec les militants emprisonnés pour obtenir la levée de toutes les poursuites auxquelles ils font face actuellement.

Tu stigmatises, à juste titre, ce que tu qualifies « d’antifascisme bourgeois » (p. 246), visant à construire des « fronts républicains ». Pour autant, tu continues à affirmer qu’il « peut être désagréable sur un plan individuel mais politiquement juste d’utiliser un bulletin de vote pour se débarrasser provisoirement d’un ennemi dont on pressent qu’il est beaucoup plus dangereux que l’adversaire auquel on est accoutumé » (id.), et tu cites un extrait assez connu de Trotsky de 1931, sur la politique du KPD en Allemagne, qui souligne que « Si l’un de mes ennemis m’empoisonne chaque jour avec de faibles doses de poison, et qu’un autre veut me tirer un coup de feu par derrière, j’arracherais d’abord le revolver des mains de mon deuxième ennemi, ce qui me donnera la possibilité d’en finir avec le premier. Mais cela ne signifie pas que le poison est un "moindre mal" en comparaison du revolver ». Non seulement, la question du vote, posée d’un point de vue « individuel », me semble problématique, mais penses-tu néanmoins qu’il fallait « faire barrage » dans les urnes en votant Macron ou Chirac, au second tour des élections, en 2002 ou en 2017 ? Tu me diras, sans doute, que tout est affaire de conjoncture dès lors que l’on parle de tactique. Mais même s’il peut être pertinent de reprendre cette citation de Trotsky, les conclusions qu’on peut en tirer n’ont rien à voir avec le fait de voter (ou d’appeler à voter) pour un candidat bourgeois, dont le programme est essentiellement anti-ouvrier et bonapartiste... qu’en penses-tu ?

Oui, contre toutes les formes de fétichisation (de ceux qui s’opposent au vote par principe ou de ceux qui font du vote l’acte politique par excellence, et donc de l’abstention une infamie ou un symptôme de bêtise), il faut dire que le vote c’est tactique. Dire cela, c’est affirmer que le vote doit reposer sur une évaluation des forces en présence, de la nature de leurs projets, du rapport de forces qui peut sortir de telle ou telle élection, etc. Je ne pose pas la question d’un point de vue individuel ; je dis au contraire qu’il importe peu, tactiquement et politiquement, de savoir s’il est désagréable individuellement de voter pour quelqu’un auquel on s’oppose par ailleurs. Le problème n’est pas celui-là.

Je signale au passage que la focalisation sur la tactique électorale est certainement un symptôme de la crise stratégique dans laquelle les gauches et les mouvements sociaux sont englués depuis longtemps. Puisque nous n’avons pas (encore) bâti et popularisé un nouveau projet stratégique et un nouvel horizon utopique sur les cendres de la social-démocratie néolibéralisé, chaque question tactique tend à être surinvestie et l’on voit se créer à partir de ces débats des clivages qui peuvent finir par être insurmontables, par exemple ici entre des naïfs qui auraient accepté de « faire barrage » (parfois nommés péjorativement « castors ») et des lucides qui auraient vu clair dans le jeu de Macron (mais qui pouvait manquer le fait que Macron instrumentalisait le danger représenté par l’extrême droite ?). Le problème c’est que cette focalisation sur la tactique se fait au détriment du débat stratégique et de l’élaboration programmatique, mais aussi qu’elle rend difficile la construction durable d’organisations larges où cohabitent nécessairement des options tactiques divergentes à un moment donné.

Cela étant dit, fallait-il voter pour Macron contre Le Pen au second tour en 2017 ? Ou encore : fallait-il voter pour Haddad contre Bolsonaro au Brésil en 2018 ? Comment aborder cette question ? Si l’on se reporte dans le temps, le problème n’était pas de savoir en avril 2017 si la politique de Macron serait « anti-ouvrière » et « bonapartiste » ; on savait pertinemment qu’elle le serait, puisque Macron était l’un des hommes forts du quinquennat Hollande. Il était donc évident que Macron accélérerait les contre-réforme néolibérales de destruction des conquêtes sociales (c’était son programme présidentiel !), et que cela impliquerait l’approfondissement de la dérive autoritaire. On pouvait éventuellement avoir quelques illusions concernant le traitement fait aux migrants, mais Macron a vite montré par l’intermédiaire de son ministre de l’Intérieur Gérard Collomb que la politique abjecte de la République française serait maintenue en la matière.

Donc la question n’était pas celle-là ; elle était de savoir si le rapport de force serait meilleur, pire ou identique pour les exploité·e·s et les opprimé·e·s si Le Pen était élu. Au passage, il n’est jamais satisfaisant de résoudre le problème en prétendant que, Le Pen n’ayant aucune chance d’être élue, il ne servirait à rien d’aller voter pour éviter son élection et que cela permettrait de maintenir sa pureté de « vrai révolutionnaire » : on ne peut pas proposer une politique en la matière sans se demander ce qui se produirait si celles et ceux à qui l’on s’adresse la suivaient. Or si chaque électeur de gauche appliquait cette tactique, l’abstention grimperait et avec elle les chances d’une victoire de l’extrême droite. On en revient donc à la question du rapport de force, ou plus précisément : pour la majorité de la population, les conditions de la lutte seraient-elles meilleures, pires ou identiques si Macron ou Le Pen est élu ?

On avance parfois, pour justifier une politique de l’indifférence voire une politique du pire, que l’élection de l’extrême droite provoquerait nécessairement le sursaut populaire tant attendu. Étant donné l’absence quasi-totale de réaction à la présence de Le Pen au second tour, ou la difficulté d’organiser la résistance dans les villes conquises par le FN/RN, on peut sérieusement en douter. On prétend également que cela permettrait de montrer une fois pour toutes que l’extrême droite n’est pas une solution ou une alternative ; souhaite-t-on vraiment prendre ce risque ? Une fois aux commandes de l’État, l’extrême droite disposerait de moyens de propagande et de répression mille fois plus importants qu’auparavant et l’histoire montre non seulement qu’il est bien difficile de la déloger.

Un autre argument souvent formulé c’est que le vote ne permettrait pas de faire véritablement et durablement reculer l’extrême droite. C’est tout à fait juste : le fascisme ne peut être brisé qu’en construisant une société libérée du capitalisme, émancipée des structures d’exploitation et d’oppression. Mais la question posée au second tour d’une élection présidentielle n’est pas d’en finir avec le fascisme une fois pour toutes ; il s’agit simplement de repousser provisoirement un danger. On a raison de considérer que le vote n’est pas un instrument efficace à long terme pour lutter contre le fascisme, mais, à moins d’avoir les moyens réels d’accomplir une révolution dans l’entre-deux-tours d’une élection présidentielle, empêcher par le vote l’élection d’une candidate d’extrême droite est la seule option raisonnable qui se présente dans ce moment précis.

L’objection la moins fantaisiste au vote visant à barrer la route électoralement à l’extrême droite consiste à affirmer qu’il n’y aurait plus aujourd’hui de différence qualitative entre l’extrême centre sauce Macron et l’extrême droite façon Le Pen, seulement des différences secondaires et même négligeables. Il n’est pas possible de donner une réponse définitive à cette question pour la simple et bonne raison qu’elle repose, non sur l’observation, mais sur des hypothèses concernant ce que serait la politique menée par Le Pen au pouvoir. Mais cet argument de l’équivalence (ou de la quasi-équivalence) entre Macron et Le Pen ne tient pas à mon avis.

Un parti qui parvient au pouvoir a généralement tendance à chercher à satisfaire sa base électorale. Or, l’électorat du FN se caractérise – de manière systématique depuis des décennies, selon les enquêtes interrogeant les électeurs sur les raisons de leur vote – par une demande de mesures xénophobes et racistes mais aussi d’un renforcement de la répression (contre les migrant·e·s, les musulman·e·s, les rrom·e·s, mais aussi contre les mouvements sociaux considérés comme des fauteurs de trouble). Dans cette configuration, il est très improbable que le FN parvenu au pouvoir se contenterait de reconduire les politiques menées successivement par Chirac, Sarkozy, Hollande ou Macron ; au contraire, il intensifierait considérablement le niveau de violence d’État vis-à-vis des minorités et chercherait à terme, non à limiter, mais à réduire à néant les droits démocratiques et les libertés publiques les plus élémentaires, rendant quasi impossible toute mobilisation sociale.

Il le ferait en mobilisant tout un répertoire juridique et administratif mis en place par les gouvernements précédents, dont Macron qui dès son arrivée au pouvoir a transcrit dans le droit commun une partie des mesures qui ne pouvaient être appliquées auparavant qu’en décrétant l’état d’urgence, mais aussi en s’appuyant sur les services les plus brutaux des appareils répressifs d’État, qui sont largement acquis à la cause des néofascistes ; il trouverait également dans la Cinquième République les moyens, si nécessaire, de suspendre la légalité. Enfin, il utiliserait intensivement tous les moyens de propagande dont dispose un parti au pouvoir pour légitimer ses mesures en présentant systématiquement comme des ennemis de la Nation les cibles de son action répressive, minorités comme militants.

Tu insistes sur la nécessité de sortir l’extrême gauche d’une position simplement défensive et tu appelles en ce sens à la formation d’un « bloc subalterne » pour désigner la coalition sociale et politique capable de produire une contre-hégémonie qui soit une issue progressiste à la crise actuelle. Quel est le contour d’un tel bloc ? Quels sont selon toi les moyens d’y parvenir ? Et quel(s) sujet(s) social/sociaux ou politique(s) serai(en)t capable(s) d’articuler et de diriger l’ensemble des luttes des opprimés et des exploités ? autour de quel projet de société ?

Il s’agit ici de retravailler la perspective stratégique du « front uni », issue des 3e et 4e congrès de l’Internationale communiste et approfondie par Trotsky dans ses textes lumineux sur la montée du nazisme et la faillite des partis ouvriers.

La manière typique de comprendre cette perspective consistait traditionnellement à chercher à unir dans l’action le mouvement ouvrier, donc de prôner l’alliance entre partis sociaux-démocrates et communistes, en toute indépendance des partis bourgeois (même « de gauche »), mais aussi entre les franges du mouvement syndical sous l’influence des premiers et celles sous l’influence des seconds. On voit bien que cela n’est plus opérant sous cette forme : après des décennies d’adaptation néolibérale les partis sociaux-démocrates n’ont presque plus aucun lien, nulle part, avec la classe travailleuse ; les partis communistes ont quant à eux été marginalisés à peu près partout.

La situation est un peu différente quant au mouvement syndical. S’il s’est largement dépolitisé et a perdu une partie importante de son implantation (notamment en raison de la désindustrialisation qui a détruit les grandes forteresses ouvrières qui étaient le cœur du syndicalisme de classe), les organisations syndicales restent les plus fortement implantées dans les classes populaires et c’est un enjeu crucial d’agir non seulement pour leur développement et pour l’unité syndicale, mais aussi pour que cette unité soit mise au service des luttes, dans une perspective qui n’oppose pas la défensive (se battre contre des régressions, attaques et autres contre-réforme) et l’offensive (lutter pour de nouveaux droits et pour rompre avec le capitalisme).

De même, les organisations de la société civile, comme Attac ou Copernic, ou des acteurs de la lutte pour le respect des libertés publiques, comme la LDH ou le Syndicat de la magistrature, devraient nécessairement trouver leur place dans un tel front. Les organisations et mouvements écologistes qui ne sombrent pas dans la collaboration avec les pouvoirs en place et dans la promotion d’un « impossible capitalisme vert » (pour reprendre la formule de Daniel Tanuro), ont tout leur rôle à jouer dans le combat antifasciste, tant les grandes organisations néofascistes se caractérisent par une absence totale de remise en cause du productivisme, et même fréquemment par la négation pure et simple du basculement climatique en cours (un ministre de Bolsonaro a récemment affirmé que le changement climatique était un « complot marxiste »).

Le front uni doit donc nécessairement être repensé mais plusieurs points cruciaux demeurent : le fait de se situer sur le terrain des intérêts fondamentaux des exploité·e·s et des opprimé·e·s, c’est-à-dire de la grande majorité de la population, ce qui exclut les organisations bourgeoises ; la nécessité de construire l’unité dans l’action entre toutes celles et ceux qui se tiennent sur ce terrain, malgré les divergences de méthodes, de tactiques et d’objectifs politiques ; la liberté de critique à l’intérieur de ce front et donc la possibilité pour chaque composante d’exprimer librement ses positions ; l’importance pour les courants révolutionnaires d’intervenir activement dans le cadre de ce front pour gagner le mouvement à la perspective, non simplement d’une défense des conquêtes, mais d’une rupture avec le pouvoir bourgeois et avec le capitalisme.

Parler de bloc des subalternes plutôt que de front unique ouvrier permet d’insister sur le fait que ce front devrait inclure, non simplement la gauche de transformation sociale et les syndicats de salarié·e·s mais aussi tous les mouvements, organisations, courants, collectifs qui luttent pour l’émancipation sur des terrains qui peuvent être divers, ce qui inclut nécessairement en France aujourd’hui les différentes composantes de l’antiracisme politique, les mouvements qui font vivre un « féminisme des 99% » (pour parler comme Cinzia Arruzza, Tithi Bhattacharya et Nancy Fraser), c’est-à-dire un féminisme de classe et décolonial, les mouvements queer, etc.

C’est ce bloc qui devrait prendre en charge la lutte à la fois contre le fascisme et la construction d’une alternative émancipatrice à l’extrême-centre néolibéral (incarné en France par Macron). On ne décrète pas le passage à l’offensive, parce que les conditions d’une offensive révolutionnaire ne sont pas toujours réunies (ne serait-ce que la disponibilité des plus larges masses pour une action collective radicale, sans lesquelles il n’y a pas de révolution), et parce que nous subissons de fait, qu’on le veuille ou non, les effets de décennies de défaites sociales, d’échecs politiques et de reculs idéologiques.

On ne peut pas dès lors esquiver un moment défensif, qui inclut la reconstruction d’une culture antifasciste, d’un sens commun antifasciste qui devrait être largement partagé par l’ensemble des mouvements de contestation ; c’est aussi à cela que j’ai cherché à contribuer à travers mon livre. Mais ce moment défensif doit préparer le terrain pour l’offensive, bien sûr sur le terrain militant mais aussi en articulant sur le plan programmatique la défensive et l’offensive : la défense des libertés publiques fondamentales avec l’offensive pour conquérir une démocratie réelle (en insistant sur le fait qu’aucune démocratie véritable n’est possible sans rupture avec le contrôle de l’économie par la bourgeoisie) ; des mesures conséquentes contre les discriminations racistes et sexistes avec la bataille politique contre le racisme systémique et le patriarcat ; la défense des conquêtes sociales (en particulier la Sécurité sociale, les services publics et le Code du travail) avec la rupture anticapitaliste.

Pour répondre à ta dernière question, je dirais qu’un tel front devrait nécessairement avoir son centre de gravité parmi celles et ceux qui ont le plus intérêt à un changement radical de société et qui, par la position qu’ils occupent dans l’économie, ont une capacité de blocage du système dont ils n’ont généralement pas conscience ou dans laquelle ils et elles n’ont (pour l’instant) pas confiance. Si l’on reprend les catégories imparfaites de l’INSEE, on peut considérer que ce sujet social de la transformation révolutionnaire, le prolétariat au sens large, concerne au minimum 50 % de la population (en incluant « ouvriers » et « employés »), et 75 à 80% si on décide d’inclure les « professions intermédiaires » et une partie des « cadres et professions intellectuelle supérieures, qui occupent des positions contradictoires dans la structure de classe (exploité·e·s mais pouvant exercer des fonctions de pouvoir pour le compte du capital).

Cela étant dit, il faut dire que, même si l’on s’en tient aux classes populaires salariées (ouvriers et employés), il s’agit d’un ensemble social très divisé politiquement et très fragmenté socialement. En raison des discriminations racistes et sexistes structurelles, de différences de qualification et des inégalités de situation qui en découlent, mais aussi des niveaux inégaux de conscience politique, l’unité de ce bloc social n’est absolument pas donnée ; elle doit être construite dans l’action. Il faut donc trouver les moyens pour que les catégories socialement les plus précaires ne soient pas marginalisés politiquement mais qu’elles soient au contraire au cœur du mouvement, en favorisant des formes d’auto-éducation politique, ce qui suppose notamment de stimuler dans le mouvement les débats nécessaires, même ceux qui fâchent, plutôt que de les mettre sous le tapis.

On voit avec les Gilets jaunes qu’un mouvement social large et radical ayant son centre de gravité dans les classes populaires n’a rien d’impossible mais que la menace plane toujours d’une domination du mouvement par celles et ceux qui occupent des positions plus avantageuses (petits patrons, franges « intellectuelles » des couches intermédiaires, etc.), et que la tentation est toujours présente d’esquiver les débats internes, au nom de l’unité du mouvement, plutôt que de les prendre à bras le corps (ce qui peut entraver la nécessaire politisation).

Dernier élément sur ce point : parce que le capitalisme est imbriqué avec le patriarcat et le racisme systémique, la composition du prolétariat est marquée par la présence massive des non-blanc·he·s et des femmes. Les combats antiracistes et féministes ne sont donc pas un supplément d’âme pour celles et ceux qui luttent pour une alternative révolutionnaire ; elles sont au cœur de cette alternative, sous peine de reconduire les inégalités statutaires, de genre et de race, qui traversent et structurent la société capitaliste. C’est aussi une dimension fondamentale de l’antifascisme nécessaire, dans la mesure notamment où le fascisme se développe en grande partie en faisant appel à des affects racistes et sexistes, et en se proposant de régénérer la nation en intensifiant toutes les oppressions.

Entretien réalisé par Marina Garrisi
L’ouvrage d’Ugo Palheta, La possibilité du fascisme. La France, trajectoire du désastre, 17 euros, 268p., est publié à La Découverte

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