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La deuxième vague qui vient

Les soignants toujours désarmés alors que le gouvernement veut déconfiner

Des milliers de soignants contaminés, une quinzaine de morts. Ces chiffres et les stratégies sanitaires adoptées jusqu’à présent font très fortement douter de la capacité du gouvernement à protéger la population alors qu’un déconfinement progressif est annoncé à partir du 11 mai. Tant qu’il n’y aura pas de tests massifs systématiques, le port du masque obligatoire, le matériel médical suffisant, toute la communauté hospitalière sera en danger, et la population aussi.

Cécile Manchette

15 avril 2020

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Crédits photo : THOMAS COEX / AFP

Pas de tests, pas de masques dans les hôpitaux : des soignants contaminent des unités entières

Début avril l’AP-HP comptabilisait 1629 soignants contaminés. Selon Jérôme Marty pour exiger du gouvernement une estimation réelle du nombre de soignants contaminés.

Des entretiens récoltés auprès de soignants par Révolution Permanente montrent des cas de contamination entière de services non dédiés au CoVid comme à l’hôpital d’Arles. Des contaminations en chaîne de personnels d’un même service qui avaient pour directive de ne pas porter systématiquement des masques. C’est la même situation dans la Nièvre à Cosne où un service entier a dû fermer car la quasi-totalité du personnel était contaminé ou présentait des symptômes du Coronavirus. Une infirmière racontait alors : « J’étais CoVid positif sans le savoir et j’allais dans les autres unités pour aider les patients en détresse. J’ai sûrement contaminé des collègues et des patients. Et cela a été un cercle vicieux, on l’a ramené à la maison. Mon conjoint est contaminé par ma faute ».

Dans certains hôpitaux le taux de contamination du personnel atteint des niveaux inquiétants, tant pour le personnel, que pour les patients, comme aux Hospices Civils de Lyon où près d’un tiers du personnel a été diagnostiqué positif au CoVid, soit 478 soignants sur 1578. Pour les sections CFDT et CGT de l’hôpital nul doute que la raison du nombre élevé de contamination est dû au manque de matériel, la CFDT a d’ailleurs décidé de porter plainte pour « homicide involontaire » et « mise en danger de la vie d’autrui ». A l’hôpital de Nîmes, le chiffre de personnel contaminé, dépasse même le nombre de patients contaminés.

Face à la colère des personnels, le gouvernement a multiplié ces dernières semaines les déclarations promettant des tests massifs dans les Ehpad ou encore l’approvisionnement prioritaire de masques pour les hôpitaux et des services de réanimation. Plus d’un mois après le confinement, David aide-soignant à l’hôpital Henri Mondor estime qu’il y a les tests suffisants pour les malades mais par contre que la situation reste critique pour les soignants : « le problème est surtout au niveau du dépistage des soignants. On est dépisté seulement si on présente de nombreux signes du CoVid ».

Pour Eric Tricot, infirmier anesthésiste dans le même hôpital «  la doctrine nationale, c’est qu’il faut avoir de la température ». Les soignants sont ensuite normalement mis en quatorzaine mais David comme Eric racontent que le délai n’est pas toujours respecté, et que de nombreux soignants malades continuent de travailler avec des masques : « On est en sous-effectifs, tu viens travailler avec un masque, même malade. Tu es arrêté seulement huit jours pour pouvoir revenir travailler (…) Tu dois continuer, au risque de contaminer les collègues, parce qu’on n’a pas assez de personnel ».

«  J’ai plusieurs de mes collègues de l’arrondissement qui sont soit malades eux-mêmes, soit dont les proches sont malades (…) Même malades, il nous est difficile d’être nous-mêmes testés, il n’y a pas assez de tests : la filière déjà créée pour dépister les soignants est déjà saturée... (…) Nous avons pour consigne de venir travailler tant que nous pouvons, même en étant positifs... » écrivait une médecin généraliste en Maison de Santé Pluriprofessionnelle à Paris, ancienne interne des Hôpitaux de Paris dans le Huffington Post le 26 mars dernier, confirmant les témoignages précédents.

A partir du 11 mai, le gouvernement veut faire croire qu’il sera « préparé »

Macron a reconnu ce lundi que la France n’avait pas « était assez préparée », avant d’ajouter que « le moment a révélé des failles, des insuffisances » citant notamment « le manque de "masques", de "blouses" et de "gels" ». Concernant les tests, l’exécutif a promis qu’à partir du 11 mai la France sera en mesure de « tester toute personne présentant des symptômes ».

Pour autant, aucun mot n’a été prononcé sur les raisons profondes de ces « insuffisances » liées à des choix politiques passés, pas plus que sur les difficultés actuelles pour l’approvisionnement en termes de matériel médical, des masques aux blouses en passant par les tests. Pas un mot non plus sur la politique menée jusqu’à présent concernant les tests qui consiste à refuser, comme on l’a vu, toute systématisation des tests, même pour les soignants.

Pourtant, une étude datée de fin mars, relayée dans le journal Boursorama, montre la différence en termes de personnes de contaminées et de décès entre la Vénétie, une région en Italie, qui a appliqué une politique de tests systématiques notamment sur les personnes asymptomatiques, avec d’autres régions de l’Italie. Et les résultats parlent d’eux-mêmes : « 11.142 morts ont été recensées (plus de 1.100 morts par million d’habitants) en Lombardie contre 906 en Vénétie (184 par million) ». La stratégie de la Vénétie a été celle de « l’endiguement » comprenant centralement « la réalisation d’une étude épidémiologique sur l’ensemble de sa population soumise à des tests. Les personnes positives étaient placées en quarantaine. » Une approche qui « a été élargie à l’ensemble de la Vénétie où des tests précoces ont été réalisés sur des patients symptomatiques mais aussi sur ceux présentant peu ou pas de symptômes, susceptibles de transmettre le virus sans le savoir ».

Une stratégie à l’opposé de celle du gouvernement français qui jusqu’à aujourd’hui consistait à limiter les tests aux personnes « à risque » : les soignants symptomatiques, les personnes âgées symptomatiques, les personnes présentant des difficultés respiratoires sévères ou des comorbidités, ou encore les personnes hospitalisés, tout en estimant encore la semaine dernière que le port du masque n’est pas « nécessaire ». Lundi, le gouvernement a annoncé qu’à partir du 11 mai la France testera toute personne présentant des symptômes tout en refusant toujours une systématisation des tests jusque dans les hôpitaux. Une absurdité d’autant plus frappante que plusieurs professionnels de santé insistent aujourd’hui sur le fait que le virus se propage particulièrement dans les hôpitaux. C’est d’ailleurs pour cela qu’en Vénétie le traitement à domicile a été privilégié pour éviter que les malades contaminent l’ensemble des services hospitaliers.

Sans campagne de tests massifs, systématiques et sans matériel médical suffisant, on court à la catastrophe

Suite aux déclarations de Macron ce lundi, le ministre de la santé Olivier Véran a annoncé mardi matin une augmentation de tests par semaine pour passer de 150 000 réalisés actuellement à 200 000 tests. Le gouvernement veut assurer la population que pour le 11 mai cette fois « ils seront préparés », en mesure de fournir les tests suffisants pour tester chaque personne avec des symptômes et des masques à l’ensemble de la population.

A quels tests le gouvernement fait-il référence ? Ceux qui sont utilisés aujourd’hui majoritairement sont les tests naso-pharyngés réalisés avec la technique dite PCR. Il permet de savoir au moment du test si la personne symptomatique est infectée ou non. Des tests dont plusieurs spécialistes critiquent la fiabilité qui dépend de la qualité du prélèvement : « .La qualité du prélèvement, c’est 90% de la qualité d’un test » résume Bruno Pozzetto, chef du service de virologie au CHU de Saint-Etienne, sur France Info. Sur France Inter, Anne Goffard, virologue explique elle : « On sait depuis un mois que lorsqu’on fait le test à partir d’un prélèvement nasal, dans 40% des cas c’est positif et dans 60% c’est négatif. Alors que si on fait un prélèvement profond, dans la trachée, dans les bronches […] dans 80% des cas, c’est positif ». Pour Hugues Aumaître, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital de Perpignan, président du Syndicat national des médecins infectiologues, ils sont toutefois les plus adaptés à la situation pour des raisons de rapidité.

L’autre type de test est le test sérologique, pratiqué comme une prise de sang, qui permet de déterminer « si des personnes ont été en contact avec la maladie même si elles n’ont pas développé de signes cliniques, car elles étaient asymptotiques » explique Marc Eloit, chercheur à l’institut Pasteur. Ce que promet le gouvernement c’est de mettre tout en œuvre « pour disposer en quantité des deux tests » tout en exprimant le souhait de pouvoir bientôt développer en quantité des tests sérologiques « rapides ».

Gilles, infirmier en psychiatrie dans un hôpital parisien, nous confiait au lendemain de l’allocution : « on attend avec impatience les tests pour tout le personnel soignant mais aussi on voudrait vraiment qu’on test le plus largement toute la population avec des test de sérologie ».

Ce qui interroge aujourd’hui légitimement dans la nouvelle stratégie de gouvernement est de savoir à quel point ils seront en mesure de se doter de masques et de tests sérologiques « rapides » en l’espace de quelques semaines alors même que cela a été un échec jusqu’à présent. Par ailleurs, contrairement au souhait exprimé par un grand nombre de soignants comme Gilles, la promesse reste celle de ne tester que les personnes présentant des symptômes, et non les personnes asymptomatiques comme les jeunes qui iront répandre le virus une fois retournés à l’école, tout en garantissant « à chaque français le port d’un masque « grand public » » sans savoir de quel type de masque il s’agit (et donc son niveau de qualité), ni si son port sera obligatoire.

Lundi soir, le professeur Jacques Reynes, patron de l’infectiologie au CHU de Montpellier, expliquait qu’à l’heure d’aujourd’hui alors qu’il manque toujours ne serait-ce que des tests viraux, le confinement est nécessaire « pour avoir plus de tests et de masques ». Un confinement qui jusqu’à présent n’a d’ailleurs jamais été qu’un confinement partiel où des secteurs entiers du salariat, dont l’activité n’était pas essentielle, ont continué à travailler et ce sans les protections nécessaires.

Il semblerait que le gouvernement confronté à une situation insoluble pour lui ait opté une nouvelle fois pour une stratégie qui conduit à sacrifier le volet sanitaire au profit d’un déconfinement aventureux, sans test massif systématique pour tous et toutes, et de relancer ce qui lui est le plus cher, l’économie. Nous ne pouvons avoir confiance en ce gouvernement qui est celui qui a mis en danger les soignants depuis le début et continue de les laisser dans la détresse malgré ses déclarations d’intention, tout en occultant qu’ils pourraient eux même du fait de la gestion catastrophique de la "première phase" de la crise sanitaire constitués une partie non négligeable de la "deuxième vague" du virus.


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