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PRIVATISATION DU RAIL

La privatisation sur les rails à la SNCF : la formation des conducteurs en partie confiée au secteur privé

Après des années de dégradation des conditions de travail à la SNCF sur fond de privatisation progressive, la direction a décidé de sous-traiter la formation des cheminots à une entreprise privée dans certaines régions pour faire face à une « pénurie » de conducteurs. Une première dans l’histoire de l’entreprise.

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Comme le révèle Libération, la SNCF a décidé de sous-traiter la formation des conducteurs de TER à l’entreprise privée Digirail dans les régions Auvergne-Rhône-Alpes, Grand Est et Hauts-de-France contre une facturation de 10 000 euros par conducteur, ainsi que sur le réseau Transilien de la région Paris-Saint Lazare.

Si les conseils régionaux, en charge de la gestion et du financement des transports régionaux, feignent l’étonnement en expliquant ne pas avoir été mis au courant, cette décision est loin d’être surprenante. En effet, elle s’inscrit dans la droite lignée de la vaste opération de privatisation du rail, commencée par la remise en cause de la structuration de la SNCF en monopole et son découpage en plusieurs entreprises distinctes et dans la continuité de l’ouverture progressive à la concurrence de l’entreprise du ferroviaire. Dans la suite logique de la privatisation de l’exploitation des lignes dans certaines régions, comme récemment dans le Centre-Val de Loire, c’est aujourd’hui la formation qui commence ainsi à être ouverte à la concurrence.

Une expérimentation qui touche à la sécurité ferroviaire

Comme le dénonce le syndicat Sud-Rail dans un communiqué : cette externalisation de la formation « pose un souci de sécurité ferroviaire ». En effet, la privatisation de la formation induit un renforcement des logiques de rentabilité qui pourrait mettre en danger la sécurité de l’ensemble du personnel et des usagers du rail. Alors que la formation estampillée SNCF est de 12 mois (8 mois en formation allégée dans la nouvelle version 2022), auxquels s’ajoutent différents modules tout au long de la carrière pour garantir une sécurité continue du transport ferroviaire, la gestion privée pourrait impliquer la recherche d’une minimisation des couts et donc des délais plus courts, une discontinuité et une plus grande superficialité de la formation. Sud-Rail conclue : « Vouloir aujourd’hui jouer les « apprentis sorciers » en mettant en place à la va-vite des nouvelles formules dispensées par des prestataires extérieurs c’est tout simplement dangereux ».

Sur cette voie, il y a un risque de dégradation des garanties de sécurité. A la SNCF la formation initiale des conducteurs est découpée en "modules" qui font l’objet d’un contrôle continu qui élimine, de fait, les candidats qui ne maitriseraient pas la totalité des connaissances nécessaires à la conduite de milliers de personnes ou de marchandises dangereuses. Si bien, qu’à la fin du processus, il ne reste souvent qu’un peu plus de la moitié des candidats de départ. Cet examen aura toujours lieu et sera réalisé par la SNCF. Mais impossible même avec un oral, un examen de conduite et un test écrit de connaitre les forces et faiblesses d’un candidat et de l’accompagner ensuite précisément sur ses premiers "tours de de roues". Pourtant c’est bien ce contrôle continu et ce suivi personnalisé des élèves conducteurs qui garantit progressivement la confiance et la sérénité à nécessaires à la prise de décision rapide et parfois lourde de conséquence impliquée par la conduite sur rail.

Par ailleurs, comme le montre l’exemple de la gestion du rail au Royaume-Uni, le lien entre la privatisation du rail et l’augmentation des accidents n’est plus à démontrer. C’est l’une des raisons principales pour laquelle le gouvernement britannique a été contraint de revenir à davantage de gestion publique du rail. Comme l’expliquait Le Monde en 2021, à l’occasion de la renationalisation partielle du réseau ferroviaire britannique après 25 ans de gestion privée : « Dès 2002, les voies ferrées sont repassées sous le contrôle de l’Etat. Deux graves accidents provoqués par un manque de maintenance avaient convaincu de la nécessité de mettre fin à l’expérience dans ce domaine. »

Une perte progressive des capacités de formation de la SNCF

Comme le syndicat SUD-Rail l’indique dans un tract adressé aux conducteurs le problème auquel s’affronte la SNCF par « manque d’anticipation » ou par « volonté d’alléger sa masse salariale pour favoriser ses profits » est double. Il existe à la fois une carence en formateur d’entreprise et en conducteurs, ce qui interdit de retirer certains conducteurs du flux ferroviaire pour en faire des formateurs car le chemin de fer est déjà en surchauffe.

En effet, ces dernières années, le nombre de formateurs a fondu comme neige au soleil entraînant une détérioration de la formation prodiguée. Pour combler son retard, la Direction SNCF, a lancé en mai 2022 des Formations Initiales allégées (8 mois au lieu de 12) sur la région de Paris Nord, déqualifiant de fait le métier de conducteur. Plus largement, la mutation du métier de cadre traction (certification et formation) lancée ces dernières années s’est accélérée dans l’optique de faire des économies sur la formation et le management de la sécurité. Ainsi, depuis quelques années les formateurs sont chargés de "manager" des équipes de plus en plus nombreuses. Et ce faisant, « contrôlent » de plus en plus leurs conducteurs en observant "des mouchards" (bande informatique ATESS, ou papier) plutôt qu’en les accompagnant directement en cabine. En outre, ces derniers sont de plus en plus fréquemment mobilisés pour la conduite, notamment en période de grève, mais aussi et de façon récurrente ces derniers temps pour combler le sous-effectif. Enfin, du fait des politiques austéritaires appliquées à la formation et de la déqualification du statut, les jeunes cadre-traction ne possèdent généralement plus les connaissances techniques et réglementaires de haut niveau qu’avaient leurs ainés. Voilà comment la SNCF en est réduite à faire appel au privé, se privant par la même progressivement de ce qui a fait sa marque de fabrique : son savoir-faire.

D’une manière générale bien des métiers de la SNCF sont touchés par cette baisse du niveau de formation. Les nouvelles générations de cheminots sont formées à la va-vite par des agents qui l’ont eux-mêmes été. Cela se ressent tout particulièrement dans les postes d’aiguillages (pour les procédures rares notamment) mais pas seulement. Afin de combler au plus vite le sous-effectif dans tous les métiers, que les dirigeants n’avaient pas anticipé (la politique de l’entreprise était encore à la suppression de poste à tous prix il y a peu), ils embauchent aujourd’hui quasiment systématiquement en CDD (voir même en intérim), ce qui permet de réduire les formations à trois fois rien (par exemple 6 semaines pour un contrôleur embauché en CDD, au lieu de 5 mois minimum pour un CDI). Cette gestion « dans la précipitation » des ressources humaines crée tous les jours de nouvelles difficultés, d’attente aux guichets, de défauts technique, d’anomalies et au final de risques ferroviaires. Et cela ne va pas s’arranger avec l’arrivée à marche forcée de la concurrence.

Une fausse solution face au manque de personnel

Alors que la direction de la SNCF et les élus justifient cette décision par la nécessité de faire face à une « pénurie de conducteurs », cherchant à placer la responsabilité des dysfonctionnements induits par le manque de personnel sur les candidats qui ne voudraient plus travailler, cette situation résulte en premier lieu de la dégradation des conditions de travail (fin des embauches au statut depuis 2020, retraite continuellement repoussée, monotonie des roulements, productivité accrue), du manque d’attractivité des salaires et d’une gestion des ressources humaines au jour le jour sans aucunes anticipation sérieuse. Dans le cadre d’une gestion privée, rien ne garantit que les conditions soient meilleures, bien au contraire. Comme le montrait encore récemment le témoignage d’un salarié d’ONET, entreprise de nettoyage sous-traitée par la SNCF, gravement blessé sur son lieu de travail au technicentre de Chatillon, la sous-traitance vient toujours avec une maltraitance accrue du personnel.

Alors que l’inflation atteint des niveaux historiques, les cheminots étaient massivement en grève, le 6 juillet derniern pour vivre et non survivre. La question du manque de personnel et de la surcharge de travail qui met les cheminots en surtension ne peut se résoudre sans une lutte acharnée pour des augmentations de salaires et leur indexation sur l’inflation. De plus pour arrêter la machine de la privatisation, il est urgent d’articuler ces revendications avec la perspective d’une entreprise unifiée sous contrôle des travailleurs et des usagers plutôt que du patronat qui se montre visiblement incapable de faire du train un moyen de transport sûr et fiable, comme l’exigerait la situation écologique.

La date du 29 septembre, journée de grève nationale interprofessionnelle pour l’augmentation des salaires, pourrait être un point d’appui important pour commencer à construire un plan de bataille d’ensemble, à même de porter ce combat au-delà du secteur des transports et rendre possible la construction d’un véritable rapport de force pour faire plier l’État et le patronat.


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