Pour gagner et pas seulement résister

La radicalité que l’on voit depuis les Gilets jaunes doit s’incarner dans un grand parti révolutionnaire

Daniela Cobet

La radicalité que l’on voit depuis les Gilets jaunes doit s’incarner dans un grand parti révolutionnaire

Daniela Cobet

Pour en finir avec le paradoxe entre la radicalité croissante chez les exploités et l’absence totale d’une alternative politique lui correspondant.

Les Gilets jaunes ont tout chamboulé

Presque un an après ce fameux 17 novembre où les gilets jaunes ont fait irruption dans les ronds-points tout au long du pays, force est de constater qu’ils ont profondément transformé le paysage politique en France et n’ont certainement pas été pour rien dans l’ouverture d’un cycle de lutte de classes à l’échelle internationale avec les soulèvements populaires en Algérie et au Soudan, la mobilisation à Hong Kong et plus récemment en Equateur, au Chili, en Catalogne, au Liban, en Haïti…

En France, cette ouverture d’un nouveau cycle de la lutte de classes s’exprime par une sorte de contagion de la radicalité incarnée par les gilets jaunes vers des secteurs du mouvement ouvrier. Si on l’avait déjà pressenti avant l’été avec les mouvements des urgentistes ou des enseignants, en cette rentrée les grèves dans les réseaux de transports parisien (RATP), puis à la SNCF, sont venues nous confirmer que quelque chose de profond est en train de changer dans l’état d’esprit des travailleurs de ce pays.

Un paradoxe plein de dangers

De nouvelles formes de lutte brisant la routine syndicale commencent à voir le jour dans plusieurs secteurs : mise en arrêt maladie massive chez les urgentistes, blocage du Bac chez les enseignants, droit de retrait et grève sauvage à la SNCF… Les directions syndicales se trouvent d’ailleurs assez souvent débordées et obligées de suivre, comme c’est le cas à la RATP.

Puis, contrairement à ce qui était reproché au mouvement des gilets jaunes à ses débuts, au cœur de tous ces mouvements se trouvent des valeurs et des thèmes qui historiquement ont été ceux de la gauche : la justice sociale et fiscale, la défense des services publics, le nivellement par le haut du régime de retraites.

C’est donc un énorme paradoxe qu’au moment même où les exploités commencent à relever la tête et sont à la recherche de solutions plus effectives et radicales que celles auxquelles on les avait habitués, l’incarnation de cette radicalisation à gauche dans des alternatives politiques soit presque nulle.

L’image la plus saillante de ce paradoxe est le fait que les mêmes travailleurs qui aujourd’hui font peur aux patrons et au gouvernement avec leurs nouvelles méthodes et leur nouvelle disposition de lutte risquent d’être confrontés en 2022 à un deuxième tour des élections présidentielles entre Macron et Le Pen, avec cette fois-ci un danger réel de victoire de la deuxième !

Les vieilles recettes ne fonctionneront pas

Certains voudraient résoudre ce problème avec les mêmes recettes qui ont conduit la gauche institutionnelle à la débâcle, ce qui a poussé au passage des pans entiers de notre classe à chercher une alternative à une droite et une gauche menant pour l’essentiel la même politique dans des projets réactionnaires comme celui porté par le Rassemblement National (RN) ou dans des formes de complotisme. C’est le cas notamment des tentatives de recomposition de la gauche par le haut, que ce soit celle du Big Bang proposé par Clémentine Autain, ou le « tous derrière moi » de Jadot et d’Europe Ecologie – Les Verts (EE-LV).

Or, sur le terrain politique, comme sur celui des luttes, c’est d’une radicalité nouvelle que les travailleurs et les classes populaires de ce pays sont en recherche. Cette radicalité doit néanmoins pouvoir s’incarner dans une organisation, un parti politique portant les intérêts des exploités, et développant une stratégie pour gagner. Un parti qui, tout en utilisant la tribune des élections pour diffuser largement son programme, a pour centre de gravité la lutte de classes.

Car nous ne voulons pas juste leur faire peur, nous voulons gagner !

Car une des leçons qu’il faut tirer du mouvement des Gilets Jaunes c’est que la spontanéité des masses (et elle y était la spontanéité !) a des limites lorsqu’il ne s’agit pas juste de bousculer le pouvoir et ses forces de répression mais de penser à les vaincre de façon durable, en mettant à bas leur système pour en ériger un autre à la place, au service de la majorité exploitée de la population.

Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui sont convaincus que le système capitaliste ne va plus, qu’une révolution serait nécessaire pour tout remettre à plat, même s’ils ne savent pas forcément ni comment ni par quelle nouvelle société remplacer la société capitaliste.

Et paradoxalement, dans ce contexte, la gauche qui se réclame révolutionnaire n’a presque jamais été aussi faible et peu audible. Ceci est le résultat de son incapacité à comprendre et à intervenir correctement dans les phénomènes de la lutte de classes de ces dernières années et en particulier celui des gilets jaunes.

Les responsabilités de l’extrême-gauche

Si on est révolutionnaire et qu’on est un tant soit peu sérieux, on doit se poser le problème de comment le processus de radicalisation en cours se dote de fins politiques émancipatrices et d’une pensée stratégique nourrie de plus de 200 ans d’histoire du mouvement ouvrier et révolutionnaire.

C’est pourquoi les membres du Courant Communiste Révolutionnaire, à l’initiative du quotidien en ligne Révolution Permanente, ont proposé au Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA) dont ils sont partie intégrante, de lancer un processus de discussion en vue de la création « d’un grand parti révolutionnaire regroupant des militants et courants de traditions et milieux différents à commencer par les organisations d’extrême-gauche telles que le NPA et Lutte Ouvrière, mais aussi des secteurs de l’avant-garde qui ont émergé depuis 2016, au sein du mouvement ouvrier comme dans une frange de la jeunesse, dans des collectifs tels que le Comité Adama, dans une aile du mouvement des gilets jaunes, etc., qui se sentent anticapitalistes et révolutionnaires et que nous nous devons de convaincre de la nécessité de s’organiser en parti politique pour pouvoir peser sur les événements. 

Un parti "pas comme les autres", qui cherche à unifier derrière une stratégie pour gagner les différentes couches de la classe ouvrière et de ses alliés, en dépassant les divisions et l’éparpillement qui ne rendent service qu’aux patrons et au gouvernement. »

Quel programme pour un tel parti ?

La question du programme dont se doterait un parti révolutionnaire en France devra faire l’objet d’un débat à part entière. Néanmoins, la situation actuelle permet, voire impose d’en poser quelques jalons.

Tout d’abord, au regard du caractère mondial du système actuel, mais aussi des problématiques affrontées par les exploités, comme on voit dans la vague de lutte de classes ouverte actuellement, ce parti devrait être résolument internationaliste, ce qui implique de refus de toute défense d’intérêts nationaux aux dépens de ceux des exploités d’autres pays.

Au contraire, ce parti dénoncerait fermement l’exploitation, le pillage et les massacres commis par la France dans d’autres pays du monde, dont font d’ailleurs partie certains des pays traversés par des mobilisations aujourd’hui et qui ont été des colonies françaises, comme l’Algérie ou Haïti. Il serait en ce sens également anti-impérialiste.

Il serait enfin opposé à toute forme de discrimination et d’oppression de personnes de par leur couleur de peau, leurs origines, leur religion, leur genre ou leur orientation sexuelle et serait ainsi profondément antiraciste et féministe.

Ce parti devrait aussi tirer les leçons des limites de la gauche de gouvernement se limitant à gérer les institutions capitalistes, pour défendre un projet de renversement total du système et de la création de nouvelles institutions issues de la lutte des exploités et serait en ce sens anti-institutionnel et ouvertement révolutionnaire.

Loin des caricatures héritées du stalinisme, ce détournement de l’idéal communiste qui avait animé la révolution russe de 1917, ce parti serait opposé à toute bureaucratie, qu’elle soit syndicale ou politique, s’estimant légitime à décider à la place des travailleurs et des travailleuses eux-mêmes. Il serait ainsi (en syntonie avec des tendances qui s’expriment depuis une année, au sein du mouvement des gilets jaunes mais aussi du mouvement ouvrier) profondément anti-bureaucratique et chercherait à développer partout les cadres de démocratie directe des exploités, telles que les assemblées générales, les coordinations, les comités de grève ou d’action, etc.

Un parti qui serait également porteur d’un projet de société alternatif en positif, basé sur la socialisation des moyens de production et des services, leur gestion démocratique par les exploités eux-mêmes, sans besoin de police ni d’État et serait en ce sens (et pas dans celui qui a été donné à ces mots dans l’histoire récente) socialiste ou communiste. Seule une société de ce type, où la production serait mise au service du bien-être commun et non pas des profits faramineux d’une poignée, pourrait apporter des solutions efficaces à la crise climatique engendrée par le capitalisme et répondre ainsi à la nécessaire démarche écologiste que devrait avoir un tel parti.

Ouvrir le débat

Depuis Révolution Permanente, qui n’est pas seulement un journal, mais une tendance du NPA et un collectif militant engagé, nous souhaitons ouvrir le débat sur la nécessité et les contours de ce parti révolutionnaire dans la situation actuelle avec le reste de l’extrême-gauche, de même qu’avec tous ceux qui dans les différents mouvements (gilets jaunes, grèves ouvrières, collectifs antiracistes ou contre les violences policières, mobilisation pour le climat, etc.) partagent l’objectif de renverser ce système pour le remplacer par un autre, débarrassé de toute forme d’exploitation ou d’oppression.

Cet article est donc le premier d’une série, autour de laquelle nous souhaitons discuter également avec nos lecteurs, dont les réactions à notre proposition et les contributions au débat seront plus que les bienvenues !

Crédits photos : Photothèque Rouge /Martin Noda

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