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Justice de classe

Le Mirail. Témoignage d’un étudiant condamné à 3 mois de prison avec sursis pour avoir manifesté

A., étudiant en lettres de l'université du Mirail a été condamné le 5 octobre à 3 mois de prison avec sursis et 1200 euros d'amende pour être descendu dans la rue le 12 mai contre la loi Travail et son monde. Comme pour beaucoup d'autres interpelés, ses chefs d'inculpations de « violence sur agent » ne sont fondés que sur la bonne parole des forces de l'ordre, qui de concert avec l’arsenal judiciaire cherchent à faire passer un message clair : A. n'aurait pas dû manifester, pas dû contester la loi Travail. Mais si l'objectif des violences physiques et juridiques était de l'intimider, lui et les autres étudiants toulousains qui se sont mobilisés au printemps, elles auront renforcé la conviction d'A. qui a rédigé ce témoignage à la suite de son procès, en septembre. Nous le reproduisons ici à la suite du rendu final de justice et à quelques jours de la réunion qui se tiendra mardi 18 à 13h à la fac, appelée par plusieurs signataires de la tribune de Libération contre les violences policières, ayant pour but d'échanger entre étudiant.e.s profs et personnel.le.s sur la répression et l'état d'urgence.

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Au cours des mois d’avril-mai, ma curiosité politique naturelle m’a poussé à me rendre à quelques AG des Nuit Debout Toulouse au Capitole. Un rapprochement relativement léger cependant, avec presque aucune intervention en AG et seulement trois participations à des manifestations. Un beau jour de mai, alors que le cortège de la manifestation contre la Loi Travail se voyait forcé de se disperser suite à des lancers de grenades lacrymogènes, j’ai été arrêté – sauvagement, donc – par les autorités présentes : CRS et BAC. Je préfère passer ici le scénario des violences policières, elles sont aujourd’hui connues de tous ceux qui ont été sensibilisés d’une manière ou d’une autre à la véritable nature de ces événements, que ce soit par leur effort de s’informer via des médias indépendants plus honnêtes ou par leur implication directe dans les manifestations. De plus, il est toujours pénible de revenir sur des faits déjà répétés de trop nombreuses fois et malheureusement noyés dans une masse de témoignages rendus obèses par la force des rumeurs auxquelles on les rapproche.

Ce n’est peut-être pas quelque chose que l’on croit juste de dire, mais selon moi les violences physiques que j’ai subies passent encore : ce n’est qu’un traumatisme supplémentaire sur lequel je pourrai travailler… En revanche, ce qui me gêne et ce pourquoi je souhaite continuer de prendre la parole à ce sujet, c’est l’intolérable pression morale qu’on m’a fait sentir comme à d’autres depuis ce joyeux jour de mai. Cette pression morale, elle s’exerce par une sérieuse organisation judiciaire qui a le talent de grossir l’effet qu’aurait sur la société le petit poisson qu’on vient d’arrêter. Je veux évoquer ici ce qui ressemble à tout point de vue à un acharnement judiciaire, et alors que le tribunal n’a encore rendu à cette heure aucune décision me rendant effectivement « coupable » ; je veux mettre en garde, encore, devant l’assimilation fallacieuse qui est faite, et que l’on verra de plus en plus banalisée, entre « manifestants » et « terroristes » : car c’est sous ce terme que nous autres inculpés avons été rapprochés dans les nombreux arrêtés préfectoraux qui nous ont été adressés.

D’abord, cette interpellation, où je pense l’espace d’un instant qu’on va bien sûr me sortir de là, qu’on va bien se rendre compte que je n’ai fait que manifester selon mes droits, et qu’on ne peut pas malmener trop longtemps une personne normalement présumée innocente. Ensuite, on me sort du fourgon et on m’apprend que ce n’est pas ma simple présence en manifestation qui est mise en cause, mais que je suis accusé de, je cite : « Violences aggravées sur personne dépositaire de l’ordre public », ce qui signifie dans ce jargon fort obscur : jet de projectiles sur CRS ; rien que ça. Je crois alors que l’innocence demeure encore possible à prouver dans ce pays, et puis peu à peu, les heures de garde-à-vue s’écoulant, je mets en doute ce présupposé navrant qui ne repose, je m’en rends compte un peu tard, que sur de grossiers cours d’éducation civique en classe de 3ème. On avait alors omis de nous dire que le jeu, étant adulte (ou pas, d’ailleurs), consistait en fait à ne surtout pas tomber sur la case Prison au cours de la partie de Monopoly de notre vie ; et pour cela éviter de l’ouvrir trop. Parce que dans ce pays aussi on traque et on interpelle moins pour des faits que pour des idées. Ce constat, méditant dans ma cellule de plexiglas, il m’a sérieusement fait douter de l’avenir des tempêtes sous les crânes des réfractaires.

Ce triste constat, cet immense sentiment d’impuissance et de liberté personnelle tout à coup en danger, peut-être est-ce cela qui m’a poussé à formuler une demande de renvoi pour mon jugement lorsqu’on m’a présenté le lendemain de ma garde-à-vue, menotté, pour une comparution immédiate au tribunal correctionnel de Toulouse. Je sais maintenant ô combien une demande de renvoi est nécessaire afin de réellement préparer sa défense au cours d’un procès dont les dés semblent grossièrement et ostensiblement pipés dès le départ. L’aimable procureur ayant demandé à mon égard une détention provisoire en attente de mon procès (admirez la vitesse de choc des décisions d’une justice se préoccupant si peu du principe de présomption d’innocence !), on m’a finalement collé un contrôle judiciaire aux fesses (obligation de pointer 2 fois/sem à jours fixes à l’Hôtel de Police de Toulouse) jusqu’à une date d’audience fixée à la fin du mois de juin. Persuadé que j’étais (et que je suis toujours) de la nécessité de poursuivre les manifestations, j’ai répondu par une dénégation à un gars de La Dépêche, venu m’interroger au sortir du tribunal : « Donc, j’imagine que vous n’irez plus manifester ? » Résultat, il titre son article du lendemain d’une assez singulière façon, comme seules savent le faire les machines à propagande du pouvoir. Résultat second, j’ai fait par la suite l’objet de cinq arrêtés préfectoraux visant à m’interdire de circuler en divers endroits de la ville les jours de manifestation. J’ai demandé à lever à chaque fois ces arrêtés avec mon avocat, une seule audience au tribunal administratif nous a été accordée : un rejet.

Quant au procès, fixé à la fin du mois de juin, je l’avais préparé au moyen d’attestations de moralité et de l’appel de témoins à la barre. Tous ces détails énumérés pourraient laisser croire en une fine connaissance de ma part des quelques engrenages judiciaires et des moyens qu’ils laissent à la défense ; et cependant il n’en est rien : forcé de m’y intéresser par les circonstances, j’essaie de me défendre, du mieux que je le peux depuis ces dernières semaines. Finalement, les doux oiseaux qui ont créé de toutes pièces les barreaux de mon ennui ont formulé de leur côté, et contre toute attente, une autre demande de renvoi (procès remis début septembre), au prétexte qu’ils n’avaient pas disposé du temps nécessaire pour préparer leurs témoins au dossier.

Ce qui est inquiétant c’est que malgré l’absence totale de preuves pouvant être retenues à notre charge et malgré des incohérences graves dans les déclarations des policiers, nous sommes beaucoup à demeurer dans une gigantesque incertitude quant à l’issue de nos procès futurs. Ballotés entre des prismes de pouvoirs que l’on connait trop mal, avec le sentiment que l’on ne peut justement décider de notre destin, le constat d’une autorité très injustement équilibrée entre le Tribunal et la Défense, et fatigués d’observer que pour espérer être bien défendu en France il faudrait avant tout être riche et peut-être même se montrer soumis, absolument ignorant de ses droits (et plus encore si possible) et forcément prêt à être reconnu coupable sans qu’il y ait besoin finalement d’aucune preuve ; il faudrait en tous cas, selon ce que nous prétendent ces grands clercs aux formules enrobées, ne chercher en aucune façon à se défendre soi-même, car cela nuirait sans doute au commerce de la Justice ! Bah ! Bah ! Bah ! Voudraient-ils à ce point faire de nous des Dreyfus ? Qu’ils ne s’inquiètent car, à ce jeu, nous sommes déjà bien nombreux à être convaincus de la nécessité de faire de nous-mêmes des Zola !

Accusons, alors. Car si mon procès maintenant a bel et bien eu lieu, il reste néanmoins au Tribunal de rendre sa décision finale courant du mois d’octobre. Et si ce n’est moi qui m’avance à la barre, c’est bien mon frère, celui qui espère comme moi la tombée du Capitalisme pauvre en valeurs ; alors, pour lui, pour toi, pour nous, je continue d’écrire, ce que je vois, observe, entends, ressens. Il y a en effet quelques observations intéressantes à soulever quand on a assisté à plusieurs procès au tribunal correctionnel. La configuration d’une salle d’audience est telle, comme je l’ai remarqué, que la salle venue soutenir un.e proche, un.e ami.e, à la barre ne peut entendre que faiblement, en tendant l’oreille, ce qui est supposé être de l’ordre du démocratiquement public. Le fond de la salle d’audience est construit, dûment ou non (mais je vous laisse décider), de telle sorte que le son des voix ne se répercute pas sur les murs comme le pourraient faire ceux d’un hémicycle, d’une salle de concert… configurés ainsi pour leur acoustique. Tout est donc dit en catimini, réservé presque à la seule estrade. A chaque entrée du Tribunal après délibération de celui-ci : une petite sonnerie de cantine retentit et les hommes en bleus invitent le parterre à se lever en signe de respect (peut-être est-ce d’ailleurs pour cette raison que beaucoup d’avocats qui s’apprêtent à prendre la parole restent debout pendant la délibération pour ne pas avoir à assurer les juges de leur profond respect en se relevant ; à ce titre, peut-être pourrions-nous faire de même dans le reste du parterre en signe de contestation de ce rituel hérité des grandes seigneuries et royautés de l’Ancien Régime). On peut estimer au regard de ces audiences que l’ordre de l’Ancien Régime, s’il est évidemment dissimulé dans l’exercice quotidien de la société, est maintenu au grand jour dans les instances de pouvoir. La cour royale ou seigneuriale d’un côté, la basse cour de l’autre, impressionnable et réduite au silence.


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