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Massacre des narco-trafiquants... et des autres

Phillippines. Le nouveau président Rodrigo Dutertre tient ses promesses de campagne : plus de 3 800 morts en 4 mois

Entre le 30 juin dernier, jour de son installation au palais présidentiel, et la mi-décembre, la guerre « contre la drogue », étendard du candidat « Rody » et cheval de bataille du président élu, est menée sans merci. Plus de 3 800 morts dont un tiers environ abattus par la police et les deux tiers restants, par des assassins de l’ombre. Cette extermination, pour laquelle il s’affranchit des règles de droit, ne va pas sans susciter des réactions multiples dont celles d’Obama, de l‘ONU et du parlement Européen. Mais après une victoire considérée comme « écrasante » et une popularité qui ne se dément pas avec 76% d’opinion favorable, selon un sondage récent, Rodrigo Dutertre a pu se permettre de répondre mardi dernier aux critiques de l’UE par une diatribe bien sentie et un doigt d’honneur. Claude

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Un passé de « Punisher » en tant que maire de Davao

Sa réputation d’ennemi irréductible des dealers et des « toxicos » est de longue date, alors qu’il était maire de Davao, ville du sud des Philippines. Après la révolution de février 1986 et l’éviction du dictateur Marcos, il devient maire de Davao et y développe une politique de « tolérance zéro » à l’égard des « criminels ». Ce qui conduit le Time à le surnommer le « Punisher ». Il restera maire de Davao pendant vingt ans (sauf une courte interruption en 2010 -2013) et, selon lui, transformera la ville de « capitale du crime » en « ville la plus sûre du monde ». Il ne se vante pas du fait que cette même Davao détient la première place du pays en nombre de meurtres et la deuxième en nombre de viols.

C’est en tout cas là qu’il a rôdé ses méthodes. Il est accusé d’avoir participé, lorsqu’il était maire de Davao, à des escadrons de la mort qui auraient tué, selon le Canard Enchaîné, plus de 1 700 personnes dans les années 1990. Interrogé par les médias de son pays, il ne nie pas avoir commis des meurtres pour « montrer l’exemple à la police ». Il a même été jusqu’à déclarer, en 2009 : « si vous exercez une activité illégale dans ma ville, si vous êtes un criminel ou un gangster qui s’en prend aux innocents, tant que je suis maire, vous êtes une cible légitime d’assassinat ».

Et une guerre qui n’est pas près de s’arrêter

Pour mener campagne contre son prédécesseur, il se présente comme le candidat du peuple et des provinces face aux dynasties politiques de Manille. Mais c’est sur la base d’une campagne forcenée contre les narcotrafiquants que Dutertre a bâti son succès aux élections présidentielles. Son slogan : « Vous, les dealers, les braqueurs et les vauriens, vous feriez mieux de partir, parce que je vais vous tuer ». Dès son élection, il ordonne qu’ils soient mis derrière les barreaux ou tués. Il demande également aux citoyens de s’associer à cette chasse et de sortir dans les rues pour les exterminer. Justice sommaire qui porte ses fruits. 3 800 morts après 4 mois. Narco-trafiquants, toxicos et autres balles perdues, la comptabilité n’est pas tenue.

En tout cas le nouveau chef d’Etat ne compte pas en rester là. Il annonce que l’ampleur du phénomène de « la drogue », supérieur à ce qu’il avait prévu, exige au moins six mois de plus de campagne de « nettoyage ». Il se fixe un objectif de 100 000 personnes à tuer.

Dans son déchaînement meurtrier, il invoque avec force la peine de mort. Il envisage de mettre en place un quota quotidien d’exécutions capitales. Le 17 décembre, il affirme : « Il y avait bien la peine de mort avant, mais rien ne se passait. Donnez-la-moi et je l’appliquerai chaque jour à cinq ou six criminels ! ». La peine de mort a été abolie dans l’archipel en 2006 avec une pression importante des évêques dont l’influence n’est pas négligeable dans un pays à 81 % catholique. Cette déclaration suscite un certain émoi dans les rangs de l’épiscopat qui déclare à l’AFP « Les Philippines seraient considérées comme un pays barbare et deviendraient la capitale mondiale de la peine de mort ».

Un exécuteur sanglant mais aussi un routier de la politique

Cet avocat, diplômé de sciences politiques, est un personnage complexe qui manie la langue avec facilité, provocation et grossièreté et oblige régulièrement ses services diplomatiques à des retropédalages précipités. La semaine dernière, il a soulevé l’indignation en faisant un parallèle entre sa campagne contre le crime et l’extermination de six millions de juifs pas Hitler. Il a dû faire machine arrière et présenter ses excuses tout en réitérant sa volonté de massacrer les toxicomanes.

En bute aux critiques, il a déclaré à plusieurs reprises qu’il ne violait aucune loi, que la police agissait en légitime défense et que de nombreux décès résultaient de règlements de compte entre bandes criminelles. Et pour faire bonne mesure, il n’a pas hésité à faire pleuvoir les injures. Après avoir traité Obama de « fils de pute », il a conseillé à l’UE d’ « aller se faire foutre », en accompagnant son conseil d’un doigt d’honneur. Quant au secrétaire de l’ONU, Ban Ki-moon, il s’est fait traiter « d’imbécile ».

Mais malgré ce caractère incontrôlable et provocateur, le nouveau président philippin est capable de jouer des jeux de politique interne et de géopolitique qui obligent à lui reconnaître quelques capacités stratégiques et justifient certainement en partie la popularité dont il jouit malgré ses pratiques sanglantes, sa grossièreté et son machisme invétéré.

En politique interne, et bien que se proclamant lui-même « dictateur » il entretient son image de candidat « du peuple » par un certain nombre de mesures de pacification « démocratiques ». Il défend une approche pacifique quant à la résolution des conflits armés aux Philippines, qui se traduit rapidement par une proposition de négociations de paix faite à la guérilla communiste de la Nouvelle armée du peuple, qui y répond favorablement, et aux séparatistes musulmans. Il s’engage en faveur de la transparence des pouvoirs publics aux Philippines en signant un décret permettant à chaque citoyen d’accéder aux archives gouvernementales.

Mais c’est surtout en termes géopolitiques qu’il faut regarder de plus près les intentions réelles auxquelles ses « sorties intempestives » font diversion. Alors qu’un traité de défense existe entre les Philippines et les États-Unis depuis 1951, renforcé en 2014, Rodrigo Dutertre exprime sa volonté de se détourner de l’allié traditionnel américain pour se rapprocher de la Chine à qui il proclame : « je me suis réaligné sur votre mouvance idéologique, je vais me rendre aussi en Russie pour parler à Poutine et lui dire qu’on est trois contre le reste du monde ».


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