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Discriminations, inégalités entre les peuples, disparités sociales…

Sida. Epidémie meurtrière du capitalisme

Camilla Ernst « Moi je ne suis ni raciste ni homophobe – Le Sida ». Tel était le slogan, raciste et homophobe justement, de la dernière campagne de prévention de l’association de lutte contre le VIH/sida AIDES, que l’on pouvait lire dans les métros parisiens en ce début d’été. Entretenant l’idée encore trop répandue, et martelée à l’enclume dans la tête de nos médecins depuis leurs toutes premières années d’études, que le sida est une maladie qui touche préférentiellement les communautés homosexuelles et immigrées, ce genre de slogans simplistes perpétue les discriminations à l’égard des personnes concernées, les diabolisant encore et toujours dans une société où les oppressions envers les minorités sont pourtant déjà fortes. Et si les dernières statistiques prouvent justement qu’à l’échelle de la France, le sida touche tout autant les Français.es que les immigré.e.s, et les hétérosexuel.le.s que les homosexuel.le.s, elles éclairent à pleins phares les inégalités profondes subsistant au niveau mondial en matière de prévalence de l’infection et d’accès à la prévention et aux traitements. Ces inégalités sont bien évidemment en défaveur des pays semi-colonisés, et sont ainsi très révélatrices du fonctionnement d’un système capitaliste qui maintient un certain nombre de pays dans un état de précarité nécessaire au développement des pays impérialistes.

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En France, plus de 30 ans de stigmatisation des communautés immigrées et LGBTI

Afin de déraciner les deux idées reçues dont le spectre plane toujours dans le ciel français, à savoir que l’épidémie du VIH, le virus de l’immunodéficience humaine responsable de la maladie du sida, est liée aux communautés immigrées et LGBTI qui seraient donc responsables de sa propagation, il est nécessaire d’intégrer les informations largement diffusées dans les médias traditionnels au développement du système qui régit l’ordre mondial actuel : le système capitaliste.

En effet, on a découvert récemment que la principale souche du virus a été transmise à l’homme par l’intermédiaire des grands singes d’Afrique de l’Ouest. Le virus s’est ensuite répandu par voies sexuelle et sanguine, jusqu’à constituer une épidémie massive qui a atteint les pays industrialisés dans les années 80, largement favorisée par les mouvements de population et l’immigration dans un système mondialisé soumis aux intérêts des pays impérialistes. L’épidémie a été entretenue par les conditions d’accueil des migrants : insalubrité des logements, conditions sanitaires déplorables et difficultés d’accès aux systèmes éducatifs et de protection sociale garantissant un accès aux soins qui devrait pourtant être un droit fondamental pour tout être humain. Et si le mode de transmission prépondérant durant cette décennie a été les relations sexuelles entre hommes, on ne peut que le relier à l’invisibilisation de le communauté homosexuelle dans notre système patriarcal, marginalisée au point que l’information à la prévention par la protection lors des rapports sexuels y était nulle. Si ces communautés ont donc été les premières victimes de l’épidémie, on ne peut certainement pas les tenir pour responsables d’un mal qui s’intègre parfaitement à la logique de développement capitaliste de la société mondiale.

Aujourd’hui encore ces préjugés persistent, largement véhiculés par les campagnes de prévention axées sur les communautés LBTI et immigrées. Médias et médecins ne sont pas en reste : pendant que les médias traditionnels se font le relais de l’idéologie dominante , les médecins eux-mêmes, à qui on a inculqué certains réflexes dès leur plus jeune âge sur les bancs de la fac, continuent à proposer un dépistage du VIH chez toute personne homosexuelle ou originaire d’un pays semi-colonisé qui ose se présenter au cabinet ou aux urgences, quel que soit son motif de consultation. Pourtant les statistiques pour la période 2003-2013 sont claires : en France plus de la moitié (55%) des personnes contaminées par le virus du sida l’ont été par des rapports de type hétérosexuel, et il s’agit en majorité de personnes nées en France. De quoi logiquement ébranler l’imaginaire collectif. Et pourtant les discriminations sont encore bien réelles, de l’exclusion systématique des personnes homosexuelles du don du sang à la conception de traitements préventifs les ciblant comme population préférentielle à risque, en passant par la stigmatisation ancrée dans l’esprit de tout un chacun et resurgissant sans cesse sur les lieux de travail, à l’occasion de visites médicales ou lors de la souscription de contrats d’assurances. Premier exemple de stigmatisation, la sur-représentation de la communauté LGBTI dans ces statistiques comparativement à sa proportion dans la population générale, puisque 43% des rapports contaminants sont de type homosexuel masculin alors que la part d’hommes gays au sein de la population française est moindre, atteste d’un dépistage privilégié ciblant cette population, dont on imagine les conséquences psychologiques et le sentiment de mise à l’écart permanent pour ces personnes.

A l’échelle mondiale, un gouffre d’inégalités intolérable quant à la prise en charge de l’épidémie


Selon le dernier rapport de l’ONUSIDA, paru en juillet 2015, près de 37 millions de personnes vivent actuellement avec le VIH dans le monde – dont 6% seulement en Europe occidentale et centrale et en Amérique du Nord, les 94% restant se répartissant sur le reste du globe, majoritairement en Afrique subsaharienne. Parmi elles, 15 millions ont accès à une trithérapie antirétrovirale – ce dont ce même rapport se félicite. Pas de quoi se réjouir pourtant, surtout quand on peut lire que la couverture thérapeutique ne concerne que 41% des personnes infectées en Afrique subsaharienne, pour descendre à seulement 14% au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ! Beaucoup de chiffres, mais qui illustrent à la perfection l’absurdité de l’auto-satisfaction des scientifiques de l’ONU, bien contents de présenter à l’opinion publique ces statistiques comme synonymes de progrès, quand on ne peut que dénoncer le nombre exorbitant (plus de la moitié !) de personnes recensées comme infectées par le VIH mais qui ne sont pas traitées, ainsi que la part considérable de la population mondiale nouvellement infectée chaque jour par le virus quand on connaît parfaitement ses modes de transmission et les moyens de la prévenir.

La première explication à donner n’est autre que le poids du système économique capitaliste écrasant les possibilités de développement des pays semi-colonisés. Quand les pays impérialistes, européens en premier lieu, viennent piller les ressources naturelles de ces pays et y implanter leurs entreprises, exportant ainsi les capitaux issus du travail des hommes vers leurs propres comptes, on imagine difficilement comment développer un système de soins et des conditions sanitaires décentes, permettant l’achat de traitements à des prix exorbitants, ainsi que l’édification de structures capables d’accueillir des malades atteints d’une pathologie aussi lourde et de toutes les complications qui peuvent en découler – quand, même en France, de plus en plus de services de ce type ferment, faute de moyens.

Autre point de réjouissance pour les experts de l’ONU : la baisse des nouveaux cas d’infection, dont le nombre s’élève pourtant à 2 millions pour la seule année 2014. Si le mode de transmission privilégié reste la voie sexuelle, on ne peut que relier ces chiffres au tabou qui entoure encore la sexualité, dans un système patriarcal oppressant, et aux conditions dans lesquelles s’exerce la sexualité, dans des pays où l’impérialisme fait naître guerres, famines, déplacement de populations, engendrant la prostitution et les viols, vecteurs de la persistance de l’épidémie. Ainsi, dans des pays où le poids de la religion est encore considérable, les déclarations des différents papes qui se sont succédé ces dernières années, de Benoît XVI qui assurait en 2009 que l’utilisation du préservatif augmentait le problème du sida, jusqu’à François Ier qui n’aborde jamais le sujet du préservatif mais incite à « la chasteté », « la responsabilité sexuelle, « la monogamie » et « la fidélité », sont non seulement incroyablement réactionnaires et ancrées dans un système de relations patriarcales, mais par ailleurs, se bercent d’illusions quant à une sexualité qui est bien loin de s’inscrire dans le contexte traditionnel de la famille mononucléaire. Les tentatives pour nous faire croire à une sexualité qui pourrait s’exercer librement aujourd’hui sont bien loin des revendications légitimes qu’on peut avancer, d’une émancipation sexuelle, grâce à laquelle chacun pourrait vivre ses relations sans oppression ni contrainte. C’est à cette condition seulement que les campagnes d’éducation à la prévention et de distribution de préservatifs prendraient tout leur sens.

La logique des laboratoires pharmaceutiques, un frein à la recherche et à la diffusion des traitements


Le coût encore trop élevé des thérapies antirétrovirales est le principal frein à la diffusion plus large de ces traitements évoquée par les responsables d’organisations telles que MSF (Médecins Sans Frontières). Un constat bien hypocrite quand on sait que le développement de ces traitements est aux mains de laboratoires pharmaceutiques privés, qui fixent leurs prix de manière quasi-libre, répondant à une logique de profits, dans une situation où ils ne sont que quelques uns à se partager le monopole de toute la filière. Et l’ouverture récente du marché aux médicaments génériques n’est qu’une illusion, masquant de nouvelles inégalités qui se créent quant à l’accès aux traitements les plus en pointe. En effet, les génériques ne sont disponibles que pour les molécules les plus anciennes, encore lourdes d’effets secondaires pour l’organisme de celui qui les avale, et n’existent que sous des formes contraignantes, nécessitant la prise de plusieurs comprimés plusieurs fois par jour. En comparaison, à chaque nouveau générique mis sur le marché, les labos répondent par la sortie d’un nouveau traitement, plus efficace, quasi-nul d’effets indésirables, combinant trois ou quatre molécules en un seul cachet, et ne nécessitant qu’une seule prise par jour, couvert de brevets qui assurent aux labos la possibilité de commercialiser leur produit à des prix excessifs, et de bénéficier d’un certain délai avant de devoir proposer de nouvelles avancées en matière de recherche. Les inégalités se creusent parallèlement en matière d’accès aux thérapies les plus performantes, entre les territoires à l’échelle internationale, mais également en France, entre ceux qui peuvent se permettre d’avancer les frais liés à l’achat d’un médicament non-générique, et ceux qui doivent se contenter du générique couvert par le tiers-payant, en dépit de ses effets néfastes pour l’organisme. Le système de santé public se situe aujourd’hui dans une impasse, quand ses fournisseurs sont des acteurs privés qui font passer leurs intérêts avant tout, et seule l’expropriation des grands laboratoires pharmaceutiques et leur réappropriation par les travailleurs, principaux consommateurs de soins, pourront réorienter le système de soins en leur faveur.

Après plus de 30 ans d’évolution de l’épidémie, le développement de traitements de plus en plus performants, permettant de vivre quasiment normalement avec le VIH, voire en rémission complète comme le montre le cas récent d’une jeune femme de 18 ans qui vient de passer douze ans sans traitement sans développer aucun symptôme, le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon appelle à un investissement d’encore 29 milliards d’euros par an jusqu’en 2020 dans la recherche, pour espérer en finir avec le sida d’ici quinze ans. Il est totalement illusoire de penser qu’un tel investissement sera réellement mis en place, quand une évolution aussi longue d’une maladie aussi dévastatrice aurait pu signifier une implication bien supérieure des pouvoirs publics, dont la priorité d’investissement se situe visiblement à des années-lumières.


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