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La pauvreté n'en finit pas

Les Restos du cœur ont 30 ans. Encore un anniversaire de trop

Claire Manor La longévité et la popularité des Restos du cœur attestent de trois choses : d'abord qu'il existe en France – n'en déplaise aux Marine Le Pen de tout poil – des personnes capables de consacrer leur temps et leurs ressources à la solidarité avec les plus pauvres, sans distinction de couleur, de sexe, d'âge ou d'origine ; ensuite, que le système dans lequel nous vivons est une machine à fabriquer des pauvres et des exclus ; enfin, que les gouvernements de gauche comme de droite qui se succèdent se désengagent de plus en plus des aides apportées aux plus démunis et n'oublient jamais de privilégier les plus riches.

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Des ressources de plus en plus difficiles à trouver

Coluche lui-même, à sa mort en 1986, n’imaginait sans doute pas que son idée ferait long feu et que lesRestos atteindraient les trente ans. Ce n’était d’ailleurs pas, dans son esprit, un but mais un remède temporaire aux carences de la prise en charge publique.

La première campagne lancée en 1985 avait bénéficié à environ 70000 personnes dans une centaine de centres. En 2015, plus d’un million de personnes ont été accueillies par 69600 bénévoles, aidés de quelques salariés, dans 2111 centres. De l’aide alimentaire initiale, la vocation des « Restos du cœur » s’est étendue à l’hébergement et à « l’inclusion sociale ». La question des subsides et ressources a donc toujours été posée.

La première ressource de l’association ce sont les bénévoles, qui, par leurs apports volontaires représentent un travail non rémunéré équivalent à 194 millions d’euros.

La seconde ressource, ce sont les donateurs et particulièrement les Enfoirés qui versent intégralement les gains recueillis chaque année à l’occasion de l’hymne et du concert qu’ils réalisent pour lancer la campagne de dons en faveur des Restos. Ce sont eux que Marine le Pen a jugé bon de traiterde« millionnaires bobos » à l’occasion du « badbuzz » suscité par l’hymne de la campagne 2015, récupérant ainsi la polémique à son profit populiste.

Viennent en troisième position seulement les financements des pouvoirs publics, largement appuyés sur une politique de déduction fiscale.

Aujourd’hui, devant l’inquiétude suscitée par l’accroissement du nombre de personnes en très grande difficulté et la stagnation de leurs ressources habituelles, les Restos recherchent de nouvelles voies, dons agricoles, dons en nature des entreprises et des grandes surfaces… Mais les oreilles sont très souvent sourdes car il n’y a guère de profit à escompter de telles actions.

Un besoin qui n’est pourtant pas près d’être endigué

Pourtant l’accroissement des besoins déjà constatés ne peut que se renforcer. Les Restos du cœur constituent un véritable observatoire sociologique des effets des politiques d’austérité en France. Les organisateurs parlent « d’une pauvreté qui prend un autre visage avec la venue des travailleurs pauvres ». Les personnes accueillies bénéficiant de ces aides sont des personnes dans la précarité, et tous les profils sont représentés, qu’il s’agisse de personnes seules ou de familles monoparentales, de chômeurs en fin de droit, de retraités ne disposant que du « minimum vieillesse » ou encore de jeunes de moins de 25 ans n’accédant pas au RSA.

Cette population pauvre ne fait que s’accroître. Bien qu’ils semblent en deçà de la réalité, les chiffres fournis au 2 septembre 2015 par l’INSEE sont plus qu’alarmants : depuis 2002, le nombre de personnes pauvres –au seuil de 50% du revenu médian – a augmenté d’un million, soit de 30%. Au total, selon l’INSEE, la France compte entre 4,9 et 8,5 millions de pauvres en fonction du mode de calcul adopté (50 % ou 60% en dessous du revenu médian).

La destruction des acquis du mouvement ouvrier, l’accroissement du chômage, l’austérité qui s’abat sur les travailleurs et les réductions drastiques des budgets publics ne pourront que renforcer cette tendance qui effraie les Restos du cœur.

Une solidarité louable mais sans issue

On ne peut que saluer l’initiative d’un Coluche, la solidarité sans faille des donateurs « enfoirés » ou non, et surtout le dévouement inépuisable des bénévoles qui depuis la création des restos ont servi plus d’un milliard de repas et ont sauvé de la misère, et parfois de la mort, des milliers de personnes.

Mais on voit bien que c’est le tonneau des Danaïdes, une quête sans fin de moyens toujours insuffisants et une volonté sans cesse renouvelée pour « tenir », au risque de l’épuisement.

Coluche lui-même en était conscient. Un an après la création des Restos du cœur, constatant que les dons les plus fréquents et les plus élevés venaient des plus pauvres, il a lancé sa nouvelle idée au cours d’une émission télévisée réalisée en janvier 1986 sur TF1 : unedisposition fiscale qui permettrait à tous les particuliers de déduire de leurs impôts 70% d’un don plafonné à 1000 F. Le plafonnement avait pour objectif d’empêcher les plus riches de bénéficier d’une déduction proportionnelle au montant des dons d’autant plus substantielle que leurs revenus auraient été plus élevés. Il souhaitait également que l’État prenne une part active dans le règlement des charges en assumant au moins la moitié des petits dons faits par les particuliers.

D’abord oublié pendant plusieurs années, le projet de loi a été repris par Mitterrand et voté en 1988. Depuis cette date, plusieurs ministres du Budget ont élevé le plafond autorisé pour déduire les dons du montant de l’impôt, favorisant ainsi les contribuables aux revenus plus élevés.

Menacé durant cinq mois par le vote de la loi sur le mécénat en août 2003, cet avantage fiscal, défendu par une forte mobilisation des Restos du cœur a été conforté et renforcé par les votes unanimes de l’Assemblée Nationale et du Sénat.

Aujourd’hui la déduction fiscale portée par la « loi Coluche » s’applique non seulement à tous les revenus, avec des plafonds de plus en plus élevés, mais elle a pris une autre tournure que Coluche ne soupçonnait pas. Elle s’applique désormais aux entreprises sous forme de « crédit d’impôt » et transfère donc des sommes initialement destinées aux pauvres et à leurs soutiens dans les poches des patrons.

Une leçon posthume que Coluche tirerait peut-être aujourd’hui

L’intention de Coluche est donc trahie. Il lui manquait, malgré toute sa générosité, la boussole politique et l’expérience de la période néolibérale post-« 30 glorieuses » qui lui auraient fait pressentir la suite. En recourant à du travail gratuit, en comblant les carences d’un État de moins en moins « providence », en mettant le doigt dans l’engrenage d’un système fiscal entièrement pensé dans l’intérêt de la bourgeoisie, il est parvenu certes à apporter sans défaillance des repas quotidiens aux plus démunis, mais sans considérer que patronat et gouvernement, eux, ne donnent jamais rien gratuitement.


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