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Mobilisation massive des barreaux de France

Les avocats, bientôt en gilets jaunes ?

Mercredi 15 janvier, ce sont plusieurs milliers d’avocats et d’acteurs de la justice qui se sont réunis à Paris pour manifester et mener des actions partout en France. De la destruction des tribunaux de proximité au renforcement des pouvoirs répressifs du parquet, la nouvelle réforme de la justice suscite de l’inquiétude, non sans lien avec l’accentuation de la répression des Gilets Jaunes.

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A l’appel du Conseil National des Barreaux (CNB), le mouvement a débuté au printemps 2018 par une première manifestation nationale, à l’occasion d’une journée "justice morte". Hier, beaucoup d’actions ont été recensées, comme à Rouen où 130 avocats ont barré l’entrée du palais de justice pour empêcher les transferts de détenus, selon Eric Di Costanzo, bâtonnier de Rouen. A Paris, des codes de procédure pénale ont été plantés sur les grilles du palais de justice, à l’occasion d’une grève générale des audiences. « Depuis mardi dernier, pratiquement toutes les audiences ont été renvoyées ,, a souligné le bâtonnier.

Les implications du projet de loi dit de « programmation de la justice » soutenu par la Garde des Sceaux Nicole Belloubet sont multiples mais la logique générale opère selon deux grands principes. Sur le volet civil, il s’agit d’appliquer l’austérité au service public de la Justice ce qui entraine notamment la destruction des tribunaux dits de proximité, la privatisation des procédures et la surexploitation de certains fonctionnaires comme les greffiers qui réclament le paiement de leurs heures supplémentaires. Sur le volet pénal, sous couvert d’impératifs « sécuritaires », la réforme renforce les pouvoirs du parquet et de la police, au détriment des droits de la défense.

La création de déserts juridiques et la privatisation des petits litiges

En principe, les tribunaux d’instance, répartis sur tout le territoire tranchent les « petits litiges » de moins de 10 000 euros. Avec la réforme, les litiges de moins de 4000 euros seront totalement dématérialisés et les autres renvoyés aux tribunaux de Grande Instance. Dès lors, plus de justice de proximité et certains justiciables devront effectuer plus de 300 km pour avoir accès à un juge.

Pour la procédure en ligne, celle-ci sera déléguée à des entreprises privées et la décision sera prise par un algorithme sans que le requérant n’ait jamais d’interlocuteur. Laure Heinich, avocate au barreau de Paris, explique dans une tribune publiée par le Nouvel Observateur : « Ce ne sont pas les litiges du grand capital qui seront concernés, mais ceux du quotidien : les gens viennent avec leur valise, leur paperasse amoncelée qu’ils ne parviennent plus à lire et demandent à être éclairés en droit. (…) Aux déserts médicaux s’ajouteront les déserts juridictionnels. » Pour faire simple, une justice plus chère pour ceux qui n’en n’ont pas les moyens.

Dans le même sens, sous couvert d’économies, certains postes clés sont supprimés. Par exemple les greffes des conseils des Prud’hommes seront rattachés aux tribunaux de Grandes Instances. Ainsi, Floriane Barthez, attachée d’administration au ministère de la Justice à Paris et secrétaire de la section de l’administration centrale de la CGT chancelleries et services judiciaires dénonce : « encore une fois, (…) on grignote encore sur cette juridiction spécialisée pour laisser les mains libres au patronat. »

Alors que les Gilets Jaunes luttent depuis maintenant deux mois contre la casse du service public, des hôpitaux aux transports en passant par l’éducation, les acteurs de la justice, à la manière des stylos rouges, dénoncent à leur tour la mise en place d’une justice au service des plus riches.

Vers un renforcement des pouvoirs répressif du parquet et de la police

Mais ce n’est pas tout, Nicole Belloubet entend également étendre les pouvoirs du parquet, soit le ministère de la Justice lui-même ainsi que ceux de la police. Par exemple, la police pourra dorénavant recourir aux techniques spéciales d’enquête que sont les écoutes téléphoniques et la géo-localisation, d’ordinaire employées de manière très restrictive. De même, dans les enquêtes criminelles, la sonorisation, la captation de données informatiques ou de données de connexion mobile seront possibles. De plus, les services de police ou de gendarmerie pourront procéder à des enquêtes sous pseudonyme pour tous les crimes ou les délits punis d’emprisonnement commis sur des sites Internet ou des réseaux sociaux. Il s’agit là de l’intégration d’une revendication de longue date des syndicats de police.

Derrière cette réforme aux mille amendements et aux contours très techniques, la logique est d’une clarté sans appel. Laure Heinich, explique que « ce projet nous propose un monde où des suspicions de commissions des délits les moins graves justifient des perquisitions, des écoutes téléphoniques, des géolocalisations, des retranscriptions de communications numériques. Veut-on que ces techniques puissent être utilisées au prétexte d’un vol de pomme et donc possiblement détournées à l’encontre de contestataires ? ».

En plein mouvement des Gilets Jaunes, l’assertion est loin d’être anodine. Les seuls fonds mobilisés seront alloués à la construction de nouvelles prisons. Avec l’augmentation du périmètre de la justice pénale, des procédures de comparution immédiate et des peines très lourdes prononcées à l’encontre des manifestants, le but est bel et bien de criminaliser toute forme de contestation politique.

Pour des avocats au service de la lutte des Gilets Jaunes

Si Christiane Féral-Schuhl, présidente du Conseil national des barreaux appelle à ce que la question de « l’égalité d’accès à la justice dans les territoires » soit intégrée aux thèmes du Grand Débat, c’est surtout aux côtés des Gilets Jaunes et dans la rue qu’il faudra se battre. Alors que la répression s’intensifie et que des centaines de manifestants sont gravement blessés, il n’y a pas de demi-mesure et ceux qui appellent à une justice égalitaire doivent choisir leur camp.

Non seulement car les Gilets Jaunes n’auront plus de juge pour examiner leurs demandes de revalorisation de pension alimentaire mais aussi parce que le gouvernement s’apprête à réprimer dans le sang et par la prison ceux qui se révoltent. A l’heure où la crise politique s’approfondit, il est clair que ni le « Grand Débat » ni les bancs des tribunaux correctionnels ne sont une issue. Ceux qui dénonçaient hier une « instrumentalisation de la procédure pénale au service du maintien de l’ordre » doivent mettre leur savoir-faire au service de la défense de ceux qui en ont besoin.

Des centaines d’avocats recensent en ce moment les blessés au flash-ball, accompagnent les Gilets Jaunes sur les bancs des tribunaux, ou informent lors des manifestations sur les droits en garde à vue. Pour cela, certains sont même aujourd’hui accusés de rébellion, comme c’est le cas de Maître Vallas, avocat au barreau d’Epinal, pour avoir rappelé, devant les forces de l’ordre quels étaient les droits des manifestants nassés. A titre d’exemple, la page Facebook « Robes noires et Gilets Jaunes » qui regroupe 12 000 membres organise des avocats qui cherchent à venir en aide aux Gilets Jaunes. Si la justice laisse Dettinger croupir en prison quand Benalla se promène librement, c’est bien que « l’égalité » est loin derrière nous et que c’est aux côtés des Gilets Jaunes qu’il faut se battre pour faire reculer Macron et Belloubet.


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