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Les cochons malades du productivisme capitaliste

Gérard Florenson Moins de six mois après les actions de l’été dernier les éleveurs de porcs sont à nouveau dans la rue, preuve que les problèmes de fond n’ont pas été réglés par les mesures d’urgence prises par le ministère de l’agriculture. La cause de ce regain de colère est un nouvel effondrement du prix de la viande, celui payé au producteur bien entendu, pas celui que nous trouvons dans les rayons. La baisse du cours mondial des céréales a certes des répercussions sur le coût des aliments mais les recettes des éleveurs diminuent davantage. Beaucoup d’entre eux, étranglés par les dettes, sont proches de la faillite et n’ont plus de couverture sociale faute de pouvoir s’acquitter de leurs cotisations. Certains, et pas seulement les plus petits, ont déposé le bilan. C’est ce désespoir qui s’exprime à nouveau bruyamment, affolant les pouvoirs publics qui ont une idée de l’accueil réservé par les éleveurs aux membres du gouvernement lors du proche salon de l’agriculture.

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Mais revenons sur le semestre écoulé. Durant l’été 2015 les manifestations des éleveurs de porc, débordant la seule Bretagne qui représente 60% de la production, avaient ciblé à juste titre les industriels et la grande distribution qui leurs imposaient des prix trop bas pour couvrir les coûts et dégager un revenu. Ce mouvement n’était pas exempt d’illusions sur le « produisons français » mais il mettait confusément en cause un système qui écrase les agriculteurs pour dégager toujours plus de profit. Insupportable pour la FNSEA qui se devait de reprendre les choses en main : le 3 septembre 2015 la grande manifestation de la « solidarité paysanne » avec le blocage de Paris par des centaines de tracteurs sifflait en fait la fin de la récréation et le début des négociations « responsables ». Message entendu par Stéphane Le Foll puisque le jour même de la manifestation le ministre annonçait un plan en faveur des éleveurs, renforçant les mesures d’urgence en vigueur depuis le 22 juillet.

Cependant la mesure phare, celle qui répondait aux revendications des éleveurs de porc à savoir un prix minimum de 1,40 € le kilo, allait être promptement enterrée. Alors que le ministre se faisait fort d’obtenir ce niveau équilibré, négocié entre toutes les parties, ce sont les industriels transformateurs qui ont refusé d’augmenter leur prix d’achat ne fut-ce que de quelques centimes, menaçant de s’approvisionner davantage en Espagne et en Allemagne. Cette fermeté n’était pas au service des consommateurs, le prix de la viande à la production ne représentant que 25 % du prix à l’étalage, la proportion étant encore plus faible pour les produits transformés comme la charcuterie et les plats cuisinés.

Qui sont ces industriels assez puissants pour résister avec succès aux exigences des éleveurs et aux demandes, il est vrai bien timides, du gouvernement ? Les « résistants » les plus importants sont deux groupes qui représentent 40% du marché, le privé Bigard et la coopérative Cooperl ; il faut ajouter les grandes marques de la charcuterie comme Fleury Michon mais aussi d’autres coopératives qui se comportent comme des entreprises capitalistes. Toujours est-il que non seulement le gouvernement a rapidement capitulé mais que les « représentants officiels » ont donné un coup de poignard dans le dos. En effet le 24 septembre la section porcine de l’union des producteurs bretons annonçait qu’elle renonçait à la revendication des 1,40 € du kilo « pour préserver l’existence du marché du porc breton ».

Qu’est-il resté des engagements ministériels ? Outre les aides d’urgence, indispensables pour éviter des faillites mais qui ne règlent rien sur le fond, et le baratin sur l’étiquetage « origine France » qui ne serait en rien une preuve de qualité, le ministre de l’agriculture et la FNSEA se retrouvent pour mettre en avant la « restauration de la compétitivité ». Le dogme est que non seulement il n’est pas possible d’augmenter les prix du fait de la concurrence mondiale mais qu’il faudrait les abaisser et pour cela diminuer les coûts de production. Ressortent alors les vieilles recettes chères aux « indépendants » : moins d’impôts et de cotisations sociales (étrange contribution aux équilibres budgétaires), moins de « contraintes » sociales et environnementales. L’objectif non avoué est de concentrer davantage, d’aller vers des « usines à cochons » géantes sans grand souci du bien-être animal) et de laisser disparaître les petits et moyens élevages « non rentables ». Dans le même temps il faudrait regrouper un peu plus ce qui reste d’abattoirs spécialisés (actuellement 23 pour la France entière). L’entreprise agricole, avec des salariés mal payés et la liberté de polluer serait donc l’avenir.

Malheureusement les éleveurs qui manifestent ces dernières semaines, souvent coiffés de bonnets roses et regroupés dans le collectif « Sauvons l’élevage français », restent dans ce cadre idéologique. Certes ils reprennent à juste titre la revendication d’un prix minimum mais ils restent sur le terrain d’une compétitivité qui serait entravée par des distorsions de concurrence. De plus la dénonciation des intermédiaires fleure le Poujadisme : selon René Le Gouvidès, porte-parole parole du collectif, « Il y a un nombre très important de structures et de coopératives qui font toutes la même chose. Elles ont toute une bardée de salariés, avec des bâtiments, des voitures, des charges fixes que nous, éleveurs, on doit supporter, sauf que notre kilo de cochon, il n’en peut plus aujourd’hui ». Le collectif se déclare apolitique et indépendant des syndicats, mais son souhait de restructuration de la filière reprend les thèmes favoris de la Coordination Rurale, plutôt marquée à droite. On y retrouve aussi la volonté d’économiser sur le dos des salariés. Nous restons sur le terrain de l’agriculteur « chef d’entreprise », bien éloigné du « paysan travailleur » solidaire des autres classes exploitées.

René Le Gouvidès peut ajouter la demande d’espaces dédiés aux produits issus du porc français dans les grandes surfaces, cela ne fait pas un programme. Et les Bonnets roses qui réclament une augmentation des débouchés par le développement de l’achat de porcs dans les cantines, outre ce que cela trimballe de pseudo laïcité alimentaire, sont également à côté de la plaque : les viandes étant substituables plus de cochon dans les assiettes signifierait moins de bœuf, d’agneau, de volailles et de poissons, donc le report des difficultés sur d’autres producteurs. En fait la baisse constatée depuis quelques années de la consommation de viande affecte moins le porc et la volaille que les viandes plus chères et les ventes de charcuterie se portent plutôt bien. Miser sur un marché intérieur en expansion est illusoire et va à l’encontre des préconisations sanitaires et environnementales. Quant aux exportations, la balance commerciale de la France est équilibrée en tonnage et déficitaire en euros : on exporte de la viande fraiche et importe de la charcuterie, logiquement plus chère. Cependant des pays fortement consommateurs comme l’Ukraine ont restructuré leur filière et augmenté leur production en porc mais aussi en volaille, ce qui pourrait provoquer une surproduction à l’échelle européenne.

« On aura beau rajouter de l’argent à l’enveloppe, cela ne suffira jamais, si on ne se décide pas à accompagner les paysans vers des systèmes qui les rendent moins dépendants de ceux qui n’ont pas d’autre intérêt que la taille de leur portefeuille ! Il est temps de changer le cap de cette agriculture qui va dans le mur et multiplie les drames humains ». Nous ne pouvons que souscrire au communiqué du 22 janvier de la Confédération Paysanne. En fait le gouvernement tourne le dos à une véritable organisation des marchés pour satisfaire les industriels de l’agroalimentaire et la grande distribution qui ont besoin d’usines à cochons, comme d’usines à poulets, à œufs ou à lait, pour tirer les prix vers le bas et engraisser leurs actionnaires. Dans ce système les paysans, toujours moins nombreux, deviennent de simples rouages privés d’autonomie qui exploitent à leur tour des salariés et se prennent de ce fait pour des vrais patrons.

Cette crise de l’élevage qui n’en finit pas devrait être l’occasion d’avancer un programme qui ne soit pas seulement d’urgence. Dans la filière porcine comme dans d’autres telle la production laitière, un prix garanti passe obligatoirement par la maîtrise de la production ; on voit les conséquences catastrophiques de la suppression des quotas laitiers. Mais ne faut-il pas parler de revenu plutôt que seulement de prix ? En effet un prix identique au kilo favorisera toujours les plus performants, au détriment de la qualité et de l’aménagement du territoire (la concentration de l’élevage porcin dans quelques départements de l’ouest génère trop de transports et de pollutions). Or favoriser la quantité et la compétitivité n’a guère de sens quand les volumes produits sont suffisants voire excédentaires. Il est encore possible de revenir à des élevages plus nombreux et moins gros et de construire un véritable modèle coopératif, au niveau de la ferme où l’association des producteurs – pas forcément dans un cadre familial - remplacerait les rapports patrons-salariés, avec une rémunération par unité de travail garantie par des aides ciblées. A cette coopération des producteurs correspondrait le contrôle par les agriculteurs, les travailleurs de l’industrie et du commerce et par la population de tous les niveaux de la filière.

Cet article prolonge l’analyse proposée dans l’article"Crise porcine et spécificité des crises agricoles" publié dans le dossier "Le monde paysan à une croisée des chemins" de la revue L’anticapitaliste, mensuel du NPA, n° 72, janvier 2016..


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