L’Amérique verte

Les illusions du Green New Deal

Igor Krasno

Les illusions du Green New Deal

Igor Krasno

L’idée d’un Green New Deal (GND) n’est pas récente aux États-Unis. Les candidats du Green Party ont proposé un projet de reforme verte dès 2007, dont le but consistait à ne plus utiliser d’énergies fossiles au profit des énergies renouvelables. Mais un tel changement ne pourrait s’implémenter qu’au niveau fédéral et nécessiterait donc un cadre politique fort, comme celui du New Deal de Roosevelt dans les années 1930.

Le parallèle du Green New Deal avec le New Deal n’est pas anodin. Il fait référence à une période de l’histoire américaine où les forces « progressistes » avaient pu faire sortir les États-Unis de la crise économique. En effet, le New Deal, même s’il a eu de puissants détracteurs, a réussi à garder pour les Américains une forte signification de reprise en main de l’économie par l’État. Le New Deal reste ainsi l’une des lois les plus populaires aux États-Unis parce qu’il semble avoir rempli tous ses objectifs.

Parler de GDN permet donc que le public identifie cette initiative à quelque chose de positif : un New New Deal, mais aussi un New Deal dans l’air du temps, c’est-à-dire celui de la transition écologique où tout ce qui est vert est « mieux ».

Pourtant, en réalité, le projet de loi cadre proposé par Alexandria Ocasio-Cortez (AOC) et le sénateur démocrate Edward Mackey n’a pas grand-chose à voir avec le New Deal. Il est plutôt question d’allègements fiscaux pour les entreprises qui acceptent d’investir dans le secteur des énergies renouvelables et des subventions pour les entreprises qui sont déjà actives dans ces secteurs. Il s’agit d’un transfert des allègements fiscaux et des subventions qui existent pour les entreprises énergétiques spécialisées dans les énergie fossiles vers les structures qui préconisent les énergies renouvelables, avec comme objectif la neutralité carbone en 2035. Il ne s’agit pas d’un investissement massif de l’État dans la production de structures et d’infra-structures, mais plutôt d’un pacte avec des nouveaux acteurs de l’énergie et de la construction. En effet, le rôle que joue le secteur privé dans le GDN est central. D’ailleurs, l’opposition qui se construit contre ce projet ne vient pas du fait qu’il serait socialisant, mais plutôt du fait qu’il remet en question le pouvoir des lobbies du charbon et du pétrole qui sont très influents aux États-Unis.

Un projet de transformation du Parti démocrate
Le GND est aussi devenu central dans les débats internes au Parti démocrate dans le cadre de ses élections primaires.

Après la défaite de Bernie Sanders pendant la primaire démocrate de 2016, des responsables de sa campagne ont fondé un certain nombre d’associations ou d’organisations politiques comme Justice Democrats, Brand New Congress ou encore Our Revolution, qui ont pour but de faire émerger et de soutenir des candidats progressistes, principalement au sein du Parti démocrate. Ces groupes promettent un soutien logistique au candidat qui accepte de signer un engagement à promouvoir un ensemble de lois que Sanders défend, dont le GND. Cependant, à cette époque il ne s’agit encore que d’un concept.

L’échéance pour laquelle ces groupes se préparent en premier lieu, ce sont les élections de mi-mandat. En effet, un énorme travail est fourni pour dénicher de jeunes candidats démocrates qui pourraient accepter de signer l’engagement. Si des nombreux candidats qui ont signé l’engagement n’ont pas été élus, sept personnalités très médiatisées (entre lesquelles Ro Khanna, Ayanna Pressley, Rashida Tlaib, Ilhan Omar et Alexandria Ocasio-Cortez) remportent des sièges et deviennent des supporter actifs de Sanders et de son programme (GND, sécurité sociale universelle et université gratuite) au sein de la chambre des représentants.

Alors qu’elle ne siège pas encore à la chambre des représentants, AOC soumet le projet de rédaction de la résolution parlementaire du GND et devient membre du Sunrise Mouvement, principal groupe militant de soutien au GND. Seulement quelques semaines après l’inauguration du 116e congres, AOC et Edward Mackey déposent cette résolution. Si celle-ci est adoptée par la chambre des représentants, elle est rejeté par le Sénat républicain.

La résolution a permis de donner une réalité législative à un concept. Elle a permis donc de faire émerger une plateforme qui a pour objectif de définir une norme au sein du Parti démocrate. En effet, alors que la campagne pour les primaires débute à partir d’avril 2019, la résolution du GDN fait son chemin au sein du Parti démocrate. La campagne commune des activistes du Sunrise Mouvment auprès du grand public et l’activité de lobbying auprès des élus démocrates a permis que le GND fasse partie du débat public. Dès septembre 2019 et du fait du soutien populaire pour le projet, la grande majorité des candidats aux primaires défend une forme de GND dans son programme.

Les efforts pour faire adopter le GND dans le programme de la majorité des candidats démocrates permettent également d’élargir le terrain d’action des groupes d’influence tel que Justice Democrats ou Brand New Congress qui continuent leur travail de recrutement et de soutien des candidats pour le renouvellement partiel du congres en novembre 2020. La capacité à faire apparaître le GND dans le débat public permet à ces groupes d’acquérir une crédibilité auprès de l’establishment démocrate. Cela permet aussi que les autres sujets défendus par la gauche du Parti ne se cantonnent pas à des cercles restreints, mais accède au niveau national des débats, comme on l’a vu récemment avec la sécurité sociale universelle.

Le GND n’a donc pas comme objectif premier d’avoir une réalité législative, mais est plutôt utilisé comme un outil de différenciation politique entre ceux qui le soutiennent et ceux qui le dénoncent ou ceux qui ne soutiennent qu’une version édulcorée du GND, comme c’est le cas de Joe Biden. Dans la mesure où cette résolution n’exprime pas un positionnement idéologique très marqué, elle obtient du soutien plutôt facilement. En effet, on remarque que la majorité des candidats qui défendent cette résolution le fait car la rupture avec les énergies fossiles correspond à un autre objectif électoral : celui de mener campagne sans le soutien financier des lobbies industriels et pétroliers. Effectivement, ceux qui associent la GND à leur programme électoral, ce sont des candidats relativement jeunes, qui ont adopté la méthode que Barack Obama et Bernie Sanders avaient déjà mise en place lors des précédentes primaires, à savoir des campagnes basées sur la participation populaire avec la majorité des dons en dessous de 100 dollars.

Cette manière alternative de faire campagne pourrait être le signe d’une pratique politique nouvelle qui serait plus proche des citoyens. En fait, il s’agit tout simplement de la réalité des campagnes électorales américaines : les campagnes avec un financement populaire permettent plus facilement de mettre en avant des thèmes qui sont chers à la population, comme l’écologie et la sécurité sociale, thèmes que les lobbies industriels et pétroliers n’accepteraient jamais dans le programme d’un candidat qu’ils soutiennent financièrement.

Le GND n’est pas socialiste
Le GND profite d’une conjoncture internationale favorable aux questions environnementales, pour proposer un projet qui peut sembler novateur, parce qu’il remet en question l’hégémonie des lobbies pétroliers sur la politique américaine. Mais en fait il propose seulement l’émergence de nouveaux acteurs du secteur de l’énergie. Par ailleurs le GND est aussi soutenu par les géants du web (GAFA : Google, Apple, Facebook, Amazon) qui accueillent à bras ouverts toute initiative qui affaiblit les lobbies concurrents. Le GND n’est donc ni un projet de rupture avec le capitalisme, ni une solution écologique durable. Il ne remet pas en question la propriété des moyens de production, il propose seulement de passer d’un système énergétique basé sur les énergie fossiles à un système basé sur les énergies renouvelables.

Il est essentiel que les socialistes aux États-Unis ne soient pas dupes face à ce type de projet et s’engagent à combattre le greenwashing du capitalisme. Loin de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, le Sunrise Movement, organisation qui s’adresse à des milliers de jeunes militants peu politisés, sème des illusions quant aux solutions possibles dans le cadre du capitalisme, le tout avec un verni de radicalité. Le Sunrise Movement participe localement et nationalement à des manifestations pour la sauvegarde du climat, en même temps qu’il s’en remet à tout un secteur industriel sous prétexte qu’il produirait moins de carbone. En outre, le mouvement concentre ses activités sur les rdv électoraux : ce n’est qu’au début de la campagne des primaires que le mouvement reprend du poil de la bête.

Il est intéressant de constater que depuis sa victoire aux primaires démocrates de 2018 qui consacrait sa future victoire à la chambre des représentants, AOC n’a cessé de s’éloigner de sa base politique et du courant qu’elle était censée représenter dans le Parti démocrate, les Democratic Socialists of America (DSA). Depuis, elle a soutenu pendant la campagne de mi-mandat des candidats appartenant à l’aile droite du Parti démocrate en Californie, où elle participe à des événements qui la placent toujours plus dans le cadre politique de l’establishment démocrate, alors même que c’est contre eux qu’elle avait fait campagne dans son district. Le fait qu’elle rejoigne le Sunrise Mouvement et qu’elle présente le projet de résolution du Green New Deal va également dans ce sens.

DSA devrait contrer cette cooptation. La société américaine vit une transformation majeure, les idées qui se rapprochent du socialisme ont le vent en poupe et il est important de ne pas laisser ce terrain aux réformistes en tout genre. Il est central de mettre en avant que si les Américains veulent une société plus saine et plus respectueuse de l’environnement, ce n’est pas simplement en se rendant au bureau de vote qu’ils l’obtiendront. On le voit avec les luttes amérindiennes contre Keystone XL ou encore contre le Dakota Access Pipeline, avec les nombreuses grèves qui ont marqué 2018 et 2019 : c’est dans la rue et sur le terrain de la lutte de classes qu’il faut se battre.
Si, en effet, la combativité est forte, il est d’autant plus impératif d’intervenir dans ce combat pour proposer une vision alternative de la société.

Le GND promet des emplois stables et un air plus pur ; une perspective attrayante, mais impossible dans le cadre du capitalisme. L’objectif d’une société où les travailleurs contrôlent les outils de production et décident en commun des besoins de la société renvoie à une stratégie qui voit bien plus loin que 2035. Et c’est cette perspective révolutionnaire que les socialistes américaine.s devraient adopter.

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