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Culture en danger

Les travailleurs de la culture mobilisés contre la "galère économique" et le mépris du gouvernement

À la date anniversaire des premières fermetures de lieux culturels, un millier de personnes ont manifesté à Paris pour la culture méprisée par le gouvernement. Trois mois après la date du 15 décembre qui avait massivement mobilisé les travailleurs de la culture, leur situation est toujours critique et l’heure est venue de poser la question du plan du plan de bataille pour sauver la culture.

Camille Lupo

4 mars 2021

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La culture, une “perte acceptable” pour le gouvernement Macron

Ce jeudi 4 mars, à la date anniversaire des premières fermetures de lieux culturels dues à la crise du COVID-19, c’est environ un millier de personnes qui se sont rassemblées une nouvelle fois à Paris pour faire entendre le cri du monde de la culture à l’arrêt depuis un an.

Pendant la manifestation, un élément revient sur toutes les lèvres : le sentiment d’un mépris du gouvernement pour la culture. Tant pour les travailleurs du secteur que pour ceux venus en soutien, beaucoup pointent une différence de traitement entre les entreprises et les lieux culturels, et comme le souligne Eva, artiste de comédie musicale interviewée par Révolution Permanente : “le traitement est clairement inéquitable”. Beaucoup ressentent également le poids psychologique des mesures répressives du gouvernement face à la crise sanitaire qui voudrait imposer depuis les premières mesures de couvre-feu une vie qui se résume à “métro, boulot, dodo”.

Alors que la date de réouverture des lieux culturels paraît de plus en plus lointaine, l’urgence se fait d’autant plus pressante pour les travailleurs de la culture, en particulier les plus précaires. Le ministère de la culture a annoncé en janvier "prolonger l’accompagnement économique et financier" du secteur culturel, c’est-à-dire les mesures patronales comme l’exonération des charges sociales ou l’activité partielle sans reste à charge. Autant de mesures réclamées par les syndicats patronaux des grandes structures culturelles qui bénéficient de fonds conséquents qui, en plus de ces exonérations, leur permettront de rester à flot le temps de la crise, pendant que les patrons des petites structures, et surtout les travailleurs de la culture encaissent la facture.

Car comme le souligne Ilo, une lycéenne venue à la manifestation pour soutenir son père intermittent du spectacle, la crise a plongé dans l’insécurité économique un grand nombre de travailleurs déjà parmi les plus précaires. L’année blanche, aumône octroyée à ceux qui dépendent du régime de l’intermittence, arrive à son terme en août 2021, sans volonté de reconduction de la part de la ministre de la culture. La situation est encore plus critique pour les autres travailleurs occasionnels hors du régime d’intermittence, qui n’ont eu le droit qu’à une aide de 900€, octroyée uniquement à ceux ayant déjà travaillé 60% de l’année précédente.

Une chose est claire : pour le gouvernement, la culture et ses travailleurs sont considérés comme une “perte acceptable” dans le cadre d’une gestion de la crise qui privilégie les profits des entreprises du CAC 40. Car de l’argent, il y en a, comme le souligne Fred, machiniste.

La mobilisation s’est conclue sur une action coup de poing de la CGT Spectacle et des intermittents, au cours de laquelle ils ont envahi le théâtre de l’Odéon, pour alerter contre la réforme de l’assurance chômage et l’urgence dans la culture. Ils réclament notamment la prolongation de l’année blanche. Si la police a empêché des soutiens de les rejoindre, l’occupation est toujours en cours au moment où nous écrivons ces lignes.

Quelle unité pour sauver la culture ?

Mais l’appel à cette mobilisation du 4 mars a de quoi susciter quelques interrogations : si il est signé par plusieurs organisations syndicales des travailleurs comme la CGT Spectacle ou Force Ouvrière, il est également signé par des organisations patronales, notamment le SYNDEAC. Si la crise sanitaire a mis à l’arrêt la totalité du monde de la culture, tous ne sont pas logés à la même enseigne.

Au contraire, la situation sanitaire a mis en lumière la crise latente dans le monde de la culture, où derrière des “métiers passions” se cachent souvent des situations de précarité extrême, une souffrance au travail passée sous silence et un fonctionnement hiérarchique très dur. C’est ce dont témoignait déjà une musicienne de l’Opéra de Paris à Révolution Permanente en décembre dernier : “Pour moi il y a tout de même de grandes incohérences. Pourquoi les artistes sont testés [gratuitement par l’employeur pour le virus] et pas les techniciens ? Pourquoi ce luxe ne revient qu’à certains corps de métier ? Pourquoi les gens qui nous servent des cafés à la cafétéria ne sont pas testés hebdomadairement comme nous alors qu’ils sont les plus exposés ? Incohérences aussi fortes que les incohérences gouvernementales”.

Le risque est que, dans un contexte de crise sanitaire après 1 an de pertes et où les coupes budgétaires et la logique du manque à gagner sont plus présentes que jamais, la reprise de l’activité se fasse sur les termes du patron, au dépend des travailleurs. C’est déjà la situation dans les bibliothèques, les seuls lieux culturels ayant pu ré-ouvrir, comme en témoignait Aurélie, travailleuse à la Bibliothèque Publique d’Information et secrétaire de la section syndicale SNAC-FSU : “La clef c’est que la volonté et le souci de la direction, dans cette situation sanitaire grave, n’était pas de se poser la question de ce qui allait être en mesure de protéger les agents. Que ce soit par rapport à leur santé ou pour le paiement des contractuels”.

C’est pour cela que ce sont les travailleurs qui font tourner la culture qui sont les seuls à même d’être décisionnaires pour sa relance. Pour ré-ouvrir, il faut des commissions décisionnaires constituées majoritairement de travailleurs qui encadrent les mesures sanitaires nécessaires à la ré-ouverture et pour chaque corps de métier. Pour sauver la culture, il faut avant tout préserver ceux qui la font tourner au jour le jour : les travailleurs.

Depuis le début de la crise, la logique du gouvernement a été celle de diviser les travailleurs et d’étaler dans le temps les conséquences de la crise pour éviter le plus possible la convergence des colères, et cette division a ciblé en particulier les plus précaires en distribuant les aides au compte-goutte. À cette stratégie de la division, il s’agit de revendiquer de manière unitaire un plan d’urgence pour tous les précaires, seule condition pour que le secteur de la culture puisse sortir de la crise.

Comme nous l’écrivions déjà sur Révolution Permanente : C’est pour cela qu’il est nécessaire aujourd’hui de revendiquer une « année blanche » pour tous les travailleurs précaires : c’est à dire le renouvellement automatique des droits des intermittents jusqu’à un an après la fin de la crise, mais aussi des allocations d’urgence à la hauteur minimale du SMIC pour tous les précaires, y compris ceux hors du régime d’intermittence, et ce également jusqu’à la fin de la crise. De l’argent, il y en a, comme en témoigne le « plan de relance » du gouvernement qui arrose de milliards d’euros les entreprises du CAC 40.


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