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Crise sanitaire

Lettre ouverte. « Je suis soignant mais je n’oublie pas. Il y a quelques mois je faisais grève »

Nous relayons ci-dessous la lettre ouverte d’un infirmier anesthésiste aujourd’hui en première ligne de la crise sanitaire. « Je suis soignant mais je n’oublie pas. Il y a quelques mois je faisais grève ».

20 avril 2020

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Je suis soignant

Je suis infirmier anesthésiste à l’hôpital public et depuis plusieurs semaines je suis confronté à notre prise en charge désastreuse du Covid 19. Mais ce qui me fatigue, m’irrite le plus n’est pas le changement de planning permanent, les horaires, ce n’est pas le fait de me retrouver avec des patients en état de souffrance et de côtoyer la mort. Tout cela je le vie depuis des années. Ce qui me fatigue est de rentrer chez moi et d’entendre les pouvoirs publics, notre président se souvenir qu’on existe et tenir un discours qui n’a aucun rapport avec ce que l’on vit.
Je veux dire à mon président que non,
Je suis soignant mais pas en guerre, car je n’aurais jamais accepté de partir en guerre avec un président qui comme ses prédécesseurs et depuis des années à diminuer notre capacité de soins : nous avons moins de lit pour les patients, moins de personnel soignant pour nous en occuper. Nos équipements sont vétustes, notre formation s’est détériorée au niveau pratique, car nous manquons de personnel pour former à la pratique les étudiants infirmiers qui viennent dans nos services.
Je suis soignant mais pas en guerre, car je n’aurais jamais accepté de partir à la guerre sans équipement ; Pas ou peu de masques chirurgicaux, encore moins de masques FFP2, peu de solutions hydroalcooliques, peu de tests, pas de combinaison, pas de respirateur pour tout le monde.

Je suis soignant mais pas en guerre, car je n’aurais jamais accepté de partir à la guerre avec une tel infériorité numérique. On manque de soignant, les vrais, les infirmiers, les aides-soignants, ASH, médecins. Des chefs, sous-chefs et grand-chefs, il y en a plein, confinés dans des bureaux, qui travaillent certes dans d’interminables réunions, à nous pondre des nouveaux protocoles. Mais ceux-ci sont irréalisables car toutes ces personnes sont déconnectées de la réalité du travail des soignants.

Je suis soignant mais pas en guerre, car je n’aurais pas accepté de partir en guerre sans alliés. Où est passée cette belle entente européenne ? Nous avons laissé mourir les italiens, nous les avons regardés dans un désarroi le plus profond en priant pour que cela ne nous arrive pas. Et maintenant les pays européens en viennent à dérober les commandes de matériel des autres pays. Et même au niveau français, la région parisienne et le Grand Est sont à saturation depuis 3 semaines, quand les hôpitaux ailleurs sont remplis à 40 %. Il y a encore une semaine, nous étions nombreux à nous tourner les pouces dans mon hôpital en attendant la « vague », pendant qu’on voyait, impuissants, nos collègues de ces régions saturés. (Et même là, nous ne sommes même pas à 50 % de notre capacité maximale.)
En revanche Mr le Président,
Je suis soignant mais j’ai peur, peur d’aller au travail, de risquer de me contaminer, de contaminer ma femme, mes enfants, et les autres patients. De m’imaginer que la personne qui a des difficultés pour respirer, celle qui ne le peut que grâce au respirateur, ça peut être moi ou ma femme, elle aussi infirmière qui a encore moins accès aux équipements de protection que moi.
Je suis soignant, mais je suis courageux, courageux d’affronter mes peurs, de partir et m’occuper de patients qui vont mal, qui souffrent et qui redoutent le pire. D’appeler les familles pour donner des nouvelles de leur parent hospitalisé.

Je suis soignant mais je suis humble, car en étant délocalisé dans des services de réanimation ou soins intensifs que je ne connais pas, même muni d’un niveau d’étude supérieur aux infirmiers déjà en place, je me retrouve en grandes difficultés quasiment comme quand j’étais étudiant. J’apprends de mes nouveaux collègues.
Je suis soignant mais je suis fatigué. Je cumule la fatigue physique et psychologique de mon travail. J’enchaine les heures, les jours et les nuits, puis j’enchaine à la maison avec mes enfants. Ils me redonnent de l’énergie, par leur joie et insouciance, mais aussi qu’est-ce que j’aimerais pouvoir me poser plus.

Je suis soignant et heureux. Heureux de voir celle solidarité entre le personnel hospitalier. Ces collègues, ami(e)s qui se dévouent pour soulager celui craque. Cette solidarité aussi avec la population, qui nous applaudit, qui nous fait parvenir de la nourriture au travail.

Je suis soignant mais je relativise., j’ai un jardin et un salaire qui tombe tous les mois. Aussi difficile qu’est ma vie actuellement, je n’échangerais pas ma place avec celle d’un commerçant, d’un auto entrepreneur, un artisan. Toutes ces gens qui vivent sur le revenu de leur travail qu’ils n’ont plus. Je n’échangerais pas mal place non plus avec ceux qui sont confinés dans un appartement de 40 m2 avec femme et enfants. Ma fatigue et mes peurs, ne sont rien comparés à ce qu’ils vivent.

Je suis soignant mais je n’oublie pas. Il y a encore quelques mois, je faisais grève. Les soignants tirés la sonnette d’alarme sur le déclin du système hospitalier. Mais nous n’avons pas été entendu. Bien sûr que j’aimerais un salaire plus élevé, j’ai 20 ans d’ancienneté, un bac +5 et touche 2300 euros/mois. Mais nos revendications bien plus que le salaire, sont pour avoir plus de personnel soignant. Des soignants, pas des cadres, sur-cadres et sous-cadres, pas d’administratifs avec leur tableau Excel qui nous disent comment travailler. Mais des soignants qui sont aux contacts des patients. Qui sont là quand le patient souffre, se pose des questions, a besoin d’être lavé, changé, rasé, accompagné, rassuré, écouté et pas seulement médicamenté. Tout ce temps de travail qui n’est pas pris en compte dans les tableaux Excel, car pour eux il faut « optimiser les soins. »
Toutes ces grèves, nous soignants, mais aussi les autres mouvements de grève, les transports, les gilets jaunes, n’ont eu comme réponse qu’une fin de non-recevoir, car l’Etat doit économiser. Austérité, austérité. J’aimerais bien savoir combien l’Etat aura « économiser » après tout ça.

Vous parlez maintenant du déconfinement. Il faut déjà admettre que le confinement ne s’est pas fait par choix, mais par obligation. Comme les tests et les masques n’étaient pas disponibles en quantité suffisante pour contenir l’épidémie, le confinement est devenu la seule alternative pour éviter un nombre de morts exponentiel. Et maintenant vous avez posé la date du 11 mai pour sortir du confinement. Avons-nous les masques suffisants ? Avons-nous les tests et quels tests ? Sérologique ou virologique ? Car les mêmes manques aboutiront malheureusement aux mêmes conséquences.
J’espère que vous ne prenez pas le risque de sortir du confinement et donc celui de revoir les hôpitaux se remplir, de peur que d’un crise sanitaire actuelle, ne s’ajoute une crise sociale et économique.
Tout comme le Covid a révélé les lacunes de notre système de santé, le confinement révèle les lacunes de notre système social et économique.

Crédits photo : Marin Driguez


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